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12/07/2012 | FRANCE | N°11LY01462

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 3, 12 juillet 2012, 11LY01462


Vu la requête et le mémoire ampliatif, enregistrés respectivement les 31 mai et 21 novembre 2011, présentés pour la SOCIETE KODAK INDUSTRIE dont le siège social est 26 rue Villiot à Paris (75012) ;

La SOCIETE KODAK INDUSTRIE demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 1er du jugement n° 0901416 du 29 mars 2011 par lequel le Tribunal administratif de Dijon a annulé la décision de l'inspectrice du travail de Chalon-sur-Saône du 15 octobre 2008 autorisant le licenciement de M. Patrick A, ensemble la décision confirmative du ministre du travail, des relations sociales,

de la famille, de la solidarité et de la ville du 16 avril 2009 ;

2°) de...

Vu la requête et le mémoire ampliatif, enregistrés respectivement les 31 mai et 21 novembre 2011, présentés pour la SOCIETE KODAK INDUSTRIE dont le siège social est 26 rue Villiot à Paris (75012) ;

La SOCIETE KODAK INDUSTRIE demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 1er du jugement n° 0901416 du 29 mars 2011 par lequel le Tribunal administratif de Dijon a annulé la décision de l'inspectrice du travail de Chalon-sur-Saône du 15 octobre 2008 autorisant le licenciement de M. Patrick A, ensemble la décision confirmative du ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville du 16 avril 2009 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A devant le Tribunal administratif de Dijon ;

3°) de mettre à la charge de M. A, la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le groupe Kodak, dont elle est une filiale, a subi la mutation technologique relative au passage de la photographie argentique traditionnelle à l'imagerie numérique ;

- la fabrication des pellicules grand public ayant été regroupée sur un seul site aux Etats-Unis, elle s'est recentrée dans un premier temps sur l'activité de radiographie et d'industrie cinématographique ;

- néanmoins ces activités ont été elles aussi affectées par la mutation vers le numérique ; c'est dans ce contexte que le groupe auquel elle appartient a été contraint de mettre en oeuvre une réorganisation pour s'adapter à cette mutation technologique, qui a conduit à des suppressions d'emploi, dont celui du requérant ;

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, elle s'est pleinement conformée à ses obligations en matière de reclassement ;

- les premiers juges n'ont pas tenu compte des décisions de l'inspectrice du travail et du ministre du travail ; cependant, dès lors que ces autorités administratives ont eu l'occasion d'apprécier les conditions dans lesquelles elle s'était acquittée de l'obligation qui lui incombait en matière de reclassement, en considérant qu'aucun grief ne pouvait lui être adressé à ce titre, le tribunal administratif se devait de tenir compte de ces éléments, ce qui n'a pas été le cas ;

- s'agissant de litiges l'opposant à 97 anciens salariés ayant été licenciés dans le cadre de la même réorganisation que celle ayant entraîné le licenciement du requérant, la Cour d'appel de Dijon a jugé, par trois arrêts du 23 juin 2011, d'une part , que la preuve avait été apportée que la réorganisation décidée par la SOCIETE KODAK INDUSTRIE et le groupe auquel elle appartient était indispensable pour la sauvegarde de leur compétitivité et, d'autre part, qu'elle avait rempli loyalement son obligation de recherche de reclassement interne ; la Cour d'appel a donc jugé que le licenciement des 97 salariés concernés était fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

- il ne saurait lui être reproché que les postes proposés au requérant dans le cadre du reclassement ont été également proposés aux cinq autres salariés protégés se trouvant dans la même situation que lui, ni que ces postes obligeaient l'intéressé à faire acte de candidature ;

- s'agissant de la nature des postes proposés, il ne saurait lui être reproché d'avoir inclus des emplois correspondant à des contrats à durée déterminée ou à des emplois qui n'étaient pas équivalents, dès lors que ces propositions étaient assorties d'une offre de formation ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les mémoires, enregistrés les 23 novembre 2011 et 25 mai 2012, présentés pour M. Patrick A qui conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'État d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- le tribunal administratif a parfaitement exercé son contrôle de l'appréciation faite par l'inspectrice du travail et le ministre du travail de l'obligation de reclassement qui incombait à la SOCIETE KODAK INDUSTRIE ;

- sur la base des pièces du dossier, le Tribunal a estimé que la SOCIETE KODAK INDUSTRIE ne lui a pas fait de propositions sérieuses de reclassement, ni apporté la preuve de l'impossibilité de son reclassement ;

- la SOCIETE KODAK INDUSTRIE n'a pas respecté son obligation de reclassement dès lors que les postes qu'elle lui a proposés étaient également offerts aux autres salariés de l'entreprise ainsi qu'aux cinq autres salariés protégés ;

- ces propositions, qui s'adressaient à l'ensemble des salariés du groupe, ne pouvaient être regardées comme constituant des propositions fermes d'emploi ;

- sur les cinq propositions d'emploi, deux correspondaient à des contrats à durée déterminée et ne pouvaient donc être considérées comme des propositions de reclassement destinées à éviter son licenciement ; les offres de postes de techniciens en contrat à durée indéterminée proposées les 19 mai et 5 juin 2008 nécessitaient la maîtrise de l'anglais et des diplômes ou expériences professionnelles dont il était dépourvu ; ces postes ne correspondaient pas à son profil d'ouvrier, ne parlant pas et n'écrivant pas l'anglais ; dans la mesure où ces postes devaient être pourvus en juin 2008, il n'était pas prévu de lui fournir la formation initiale nécessaire ; aucune recherche individuelle de reclassement n'a été sérieusement effectuée au niveau des très nombreuses implantations du groupe en France et à l'étranger ;

- la SOCIETE KODAK INDUSTRIE n'apporte pas la preuve de l'impossibilité de le reclasser ; l'employeur n'a pas produit le registre unique du personnel des différentes sociétés du groupe, comme l'imposent pourtant les dispositions de l'article L. 1221-13 du code du travail ;

- les décisions litigieuses ne précisent pas en quoi la SOCIETE KODAK INDUSTRIE a satisfait à son obligation de reclassement ; elles méconnaissent les dispositions de l'article L. 1233-4 du code du travail ;

- pendant toute la période de dispense d'activité dont il a bénéficié depuis le 1er août 2006, son employeur ne lui a fait bénéficier d'aucune formation permettant son reclassement ; ce faisant, il a méconnu son obligation de formation et d'adaptation ;

Vu l'ordonnance du 30 septembre 2011 fixant au 25 novembre 2011 la date de clôture de l'instruction ;

Vu l'ordonnance du 8 juin 2012 rouvrant l'instruction ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 28 juin 2012 :

- le rapport de M. Poitreau, premier conseiller ;

- et les conclusions de M. Pourny, rapporteur public ;

Considérant que la SOCIETE KODAK INDUSTRIE a sollicité, le 22 septembre 2008, l'autorisation de licencier pour motif économique M. A, embauché, au sein de cette société, sous contrat à durée indéterminée en tant qu'agent de production et y détenant les mandats de délégué syndical et de représentant syndical au comité d'entreprise, de sécurité et des conditions de travail ; que, par une décision du 15 octobre 2008, l'inspectrice du travail a accordé l'autorisation sollicitée et, sur recours hiérarchique de l'intéressé , le ministre du travail, des relations sociales, de la solidarité et de la ville a, par décision du 16 avril 2009, confirmé la décision de l'inspectrice du travail ; que la SOCIETE KODAK INDUSTRIE fait appel du jugement par lequel, sur la demande de M. A, le Tribunal administratif de Dijon a annulé ces deux décisions ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date des décisions en litige : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. " ; qu'est au nombre des causes sérieuses de licenciement économique la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ;

Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions qu'il exerce normalement ni avec son appartenance syndicale ; que, dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte, notamment, des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ; que pour apprécier les possibilités de reclassement, l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement pour motif économique par une société appartenant à un groupe, ne peut se borner à prendre en considération la seule situation de la société où se trouve l'emploi du salarié protégé concerné par le licenciement ; qu'elle est tenue, dans le cas où cette dernière relève d'un groupe, et pour ceux des salariés qui ont manifesté à sa demande leur intérêt de principe pour un reclassement à l'étranger, de faire porter son examen sur les possibilités de reclassement pouvant exister dans les sociétés du groupe, y compris celles ayant leur siège à l'étranger, dont les activités ou l'organisation offrent à l'intéressé, compte tenu de ses compétences et de la législation du pays d'accueil, la possibilité d'exercer des fonctions comparables ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la SOCIETE KODAK INDUSTRIE fait partie du groupe Eastman Kodak Company qui, compte tenu de l'évolution technologique, a dû réorienter ses activités traditionnelles d'imagerie argentique vers celles de l'imagerie numérique ; que cette société, dont le seul site de production, à Chalon-sur-Saône, est exclusivement dédié à l'imagerie argentique, a été, comme les autres sociétés du groupe oeuvrant dans le même secteur d'activité, affectée par des mesures de restructuration destinées à sauvegarder la compétitivité du groupe ; que, dans le cadre de ces restructurations, un nombre important de postes de travail a été supprimé, dont celui occupé par M. A, l'effectif de l'entreprise étant passé de 172 à 53 salariés, dont 9 en congé de reclassement, entre 2008 et 2009 ; qu'eu égard au déclin de l'activité d'imagerie argentique, la SOCIETE KODAK INDUSTRIE se trouvait dans l'impossibilité de proposer à ce salarié, que ce soit en son sein ou dans les autres sociétés du groupe oeuvrant dans le même secteur d'activité, un poste de travail correspondant à des fonctions de production comparables à celles qu'il exerçait jusqu'alors ; que, dès lors, si les cinq propositions d'emploi faites à l'intéressé ne portaient pas sur des postes équivalents à celui d'agent de production qu'il occupait, et si ces emplois, correspondant à des contrats à durée déterminée, ont été également proposés à d'autres salariés de l'entreprise, cette société ne peut, dans le contexte ci-dessus évoqué, être regardée comme n'ayant pas, en l'espèce, satisfait à l'obligation de reclassement qui lui incombait ; que, par suite, c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur ce motif pour annuler les décisions en litige ;

Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A dans sa demande devant le tribunal administratif et en appel ;

Considérant que le déclin de l'activité de l'imagerie argentique, amorcé au cours des années 1995-1999, s'est accéléré en 2004-2005, notamment dans la division médicale, et qu'il en est résulté une surcapacité, au niveau mondial, de l'outil de production argentique du groupe Eastman Kodak Company, dont fait partie la SOCIETE KODAK INDUSTRIE, mettant en péril la pérennité de ce secteur d'activité ; qu'il ressort ainsi des pièces du dossier que le groupe a connu trois années consécutives de pertes d'exploitation, entre 2004 et 2007 ; que la fabrication et la finition des pellicules " grand public " ont été regroupées aux Etats-Unis et que l'activité du site de Chalon-sur-Saône a été recentrée sur les activités restantes de radiographie et liées à l'industrie cinématographique ; que, dès lors, la réalité du motif économique du licenciement de M. A, lié à la nécessité de sauvegarder la compétitivité du secteur " argentique " du groupe, est établie ;

Considérant que M. A soutient que son employeur n'a pas satisfait à l'obligation de formation que lui imposent les dispositions précitées de l'article L. 1233-4 du code du travail , que toutefois, en l'absence de poste de travail disponible au sein de l'entreprise ou du groupe, que l'intéressé aurait été susceptible d'occuper, la méconnaissance alléguée de cette obligation ne peut être regardée comme établie ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE KODAK INDUSTRIE est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Dijon a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 15 octobre 2008 l'autorisant à licencier M. A et la décision confirmative du ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville du 16 avril 2009 ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la SOCIETE KODAK INDUSTRIE tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce que M. A, partie perdante dans la présente instance, bénéficie de quelque somme que ce soit au titre des frais qu'il a exposés à l'occasion du litige ;

D E C I D E :

Article 1er : L'article 1er du jugement du Tribunal administratif de Dijon du 29 mars 2011 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de M. A sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de la SOCIETE KODAK INDUSTRIE tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIETE KODAK INDUSTRIE, au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et à M. Patrick A.

Délibéré après l'audience du 28 juin 2012 à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

Mme Steck-Andrez, président-assesseur,

M. Poitreau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 juillet 2012.

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N° 11LY01462


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-03-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour motif économique. Obligation de reclassement.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: M. Gérard POITREAU
Rapporteur public ?: M. POURNY
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS ACTANCE

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Date de la décision : 12/07/2012
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 11LY01462
Numéro NOR : CETATEXT000026206956 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2012-07-12;11ly01462 ?
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