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07/06/2012 | FRANCE | N°11LY01612

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre - formation à 3, 07 juin 2012, 11LY01612


Vu la requête, enregistrée à la Cour le 1er juillet 2011, présentée par le PREFET DU PUY-DE-DÔME ;

Le PREFET DU PUY-DE-DÔME demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1100563, du 7 juin 2011, par lequel le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé ses décisions du 16 février 2011, refusant la délivrance d'un titre de séjour à Mme Béatrice , épouse , l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai d'un mois et désignant le pays à destination duquel elle serait reconduite à l'expiration de ce délai, à défaut pour elle d'obtempérer à l'obli

gation de quitter le territoire français qui lui était faite ;

Il soutient que, ...

Vu la requête, enregistrée à la Cour le 1er juillet 2011, présentée par le PREFET DU PUY-DE-DÔME ;

Le PREFET DU PUY-DE-DÔME demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1100563, du 7 juin 2011, par lequel le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé ses décisions du 16 février 2011, refusant la délivrance d'un titre de séjour à Mme Béatrice , épouse , l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai d'un mois et désignant le pays à destination duquel elle serait reconduite à l'expiration de ce délai, à défaut pour elle d'obtempérer à l'obligation de quitter le territoire français qui lui était faite ;

Il soutient que, dès lors que l'enfant français de la requérante ne réside pas en France au sens du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sa décision par laquelle il a refusé la délivrance d'un titre de séjour à Mme ne méconnaît pas ces dispositions ; que sa décision par laquelle il a fait obligation à Mme de quitter le territoire français n'a pas pour effet de porter atteinte au droit de son enfant à résider sur le territoire national, dès lors que ce dernier a la possibilité de demeurer en France auprès de son père ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire enregistré le 2 août 2011, présenté pour Mme Béatrice , épouse , domiciliée chez M. Caloger , ... qui conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4000 euros, au profit de son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

Elle soutient qu'à la date de l'arrêté en litige, son enfant résidait en France, auprès de son père, et était scolarisé ; que la décision par laquelle le PREFET DU PUY-DE-DÔME lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour est donc contraire aux dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que si la décision par laquelle le PREFET DU PUY-DE-DÔME lui a fait obligation de quitter le territoire français n'a pas obligatoirement pour effet d'obliger sa fille mineure française, qui peut rester en France auprès de son père français, de quitter le territoire national, elle emporte néanmoins séparation de cet enfant de l'un de ses deux parents ; qu'elle est donc contraire aux stipulations de l'article 20 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ainsi qu'aux articles 3-1 et 7 de la convention internationale des droits de l'enfant et à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la décision du 19 octobre 2011, par laquelle le bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Lyon (section administrative d'appel) a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à Mme ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Vu la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant du 20 novembre 1989, signée par la France le 26 janvier 1990 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

Vu la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 8 mars 2011, grande chambre, affaire C-34/09, Zambrano c/ ONEM ;

Vu la décision de la Cour de Justice de l'Union européenne du 15 novembre 2011, grande chambre, affaire C-256/11, Murat Dereci, Vishaka Heiml, Alban Kokollari, Izunna Emmanuel Maduike, Dragica Stevic c/ Bundesministerium für Inneres :

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 mai 2012 :

- le rapport de M. Le Gars, président,

- et les conclusions de M. Reynoird, rapporteur public ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée ; " ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme , ressortissante béninoise, est entrée une première fois sur le territoire français le 21 mai 2007, sous couvert d'un visa de court séjour ; qu'elle a donné naissance en France, le 21 juin 2007, à sa fille Priscilla, de nationalité française par son père, lequel l'a reconnue prénatalement dès le 2 février 2007 ; que Mme et sa fille sont toutefois reparties au Bénin trois semaines après la naissance de l'enfant pour ne revenir en France, sous couvert d'un visa de court séjour, que le 2 octobre 2010, soit quatre mois seulement avant la décision en litige ; qu'il n'est pas allégué que la jeune Priscilla ait entretenu des contacts avec son père vivant en France durant les trois années de leur séparation ; que, par suite, et nonobstant la présence en France du père de l'enfant et l'éventuelle scolarisation de la jeune Priscilla en classe de maternelle à la date de la décision en litige, compte tenu de la très faible durée de séjour de ce jeune enfant en France, pays où sa mère n'est revenue que sous couvert d'un visa de court séjour, la jeune Priscilla doit être regardée comme résidant habituellement au Bénin à la date de l'arrêté en litige ; qu'en conséquence, le PREFET DU PUY-DE-DOME n'a pas commis d'erreur de droit en considérant qu'elle ne résidait pas en France au sens du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour refuser la délivrance d'un titre de séjour sur ce fondement à sa mère, Mme , par décision du 16 février 2011 ; qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé, pour ce motif, la décision de refus de délivrance de titre de séjour prise à l'encontre de Mme par le PREFET DU PUY-DE-DOME ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les autres moyens soulevés par Mme , tant en première instance qu'en appel ;

Sur la décision de refus de délivrance de titre de séjour :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 20 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : "1. Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre. La citoyenneté de l'Union s'ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. / 2. Les citoyens de l'Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités. Ils ont, entre autres : / a) le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ; / (...) Ces droits s'exercent dans les conditions et limites définies par les traités et par les mesures adoptées en application de ceux-ci. " ; qu'il résulte de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 8 mars 2011, grande chambre, affaire C-34/09, Zambrano c/ ONEM " que l'article 20 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un État membre, d'une part, refuse à un ressortissant d'un État tiers, qui assume la charge de ses enfants en bas âge, citoyens de l'Union, le séjour dans l'État membre de résidence de ces derniers et dont ils ont la nationalité et, d'autre part, refuse audit ressortissant d'un État tiers un permis de travail, dans la mesure où de telles décisions priveraient lesdits enfants de la jouissance effective de l'essentiel des droits attachés au statut de citoyen de l'Union " ; qu'il résulte également de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 15 novembre 2011, affaire C-256/11, Murat Dereci, Vishaka Heiml, Alban Kokollari, Izunna Emmanuel Maduike, Dragica Stevic c/ Bundesministerium für Inneres que : "Le droit de l'Union, et notamment ses dispositions concernant la citoyenneté de l'Union, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce qu'un État membre refuse à un ressortissant d'un État tiers le séjour sur son territoire, alors que ce ressortissant vise à résider avec un membre de sa famille qui est citoyen de l'Union demeurant dans cet État membre dont il possède la nationalité et qui n'a jamais fait usage de son droit de libre circulation, pour autant qu'un tel refus ne comporte pas, pour le citoyen de l'Union concerné, la privation de la jouissance effective de l'essentiel des droits conférés par le statut de citoyen de l'Union, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. " ;

Considérant, qu'ainsi qu'il l'a déjà été dit, la France ne saurait être regardée comme l'Etat de résidence habituelle de Mme et de sa fille Priscilla à la date de la décision de refus de délivrance de titre de séjour en litige, laquelle, en tout état de cause, ne s'oppose pas à ce que la jeune Priscilla demeure en France auprès de son père et ne fait pas obligation, par elle-même, à Mme , de quitter le territoire français ; que, par suite, le moyen tiré de la violation, par la décision du PREFET DU PUY-DE-DOME refusant la délivrance d'un titre de séjour à Mme , des stipulations précitées de l'article 20 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ne peut qu'être écarté ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " et qu'aux termes de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. " ;

Considérant qu'ainsi qu'il a déjà été dit, Mme a séjourné en France, en 2007, où elle a donné naissance à sa fille Priscilla, moins de deux mois avant de repartir avec son enfant au Bénin, où toutes deux sont restées éloignées et sans contact établi avec le père de cet enfant durant plus de trois ans, pour ne revenir sur le territoire français que quatre mois avant l'édiction de la décision en litige ; qu'il résulte ainsi de ce qui précède qu'en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, le PREFET DU PUY-DE-DOME n'a pas porté au droit de Mme au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux motifs du refus et n'a, par conséquent, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il n'a pas davantage méconnu, en tout état de cause, les stipulations précitées de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

Considérant, en troisième et dernier lieu, qu'aux termes du 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale " et qu'aux termes de l'article 24 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne : "1. Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. (...) / 2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu'ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. / 3. Tout enfant a le droit d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt. " ;

Considérant que la décision par laquelle le PREFET DU PUY-DE-DOME a refusé la délivrance d'un titre de séjour à Mme , qui ne s'oppose pas à ce que la jeune Priscilla demeure en France auprès de son père et ne fait pas obligation, par elle-même, à Mme , de quitter le territoire français, n'a méconnu, ni les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ni, en tout état de cause, celles de l'article 24 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

Considérant que, pour les motifs énoncés dans le cadre de l'examen de la légalité du refus de titre de séjour, et en raison notamment de l'absence d'ancienneté de séjour en France, à la date de l'arrêté en litige, de Mme et de sa fille Priscilla, qui n'ont jamais résidé de façon habituelle sur le territoire français et ont vécu éloigné du père de Priscilla depuis la naissance de cet enfant et durant ses trois premières années, et alors que Mme a la possibilité de revenir régulièrement sur le territoire français munie d'un visa de long séjour, dans les circonstances de l'espèce et compte tenu des effets d'une obligation de quitter le territoire français, la séparation temporaire de la cellule familiale n'est susceptible, ni de porter au droit de Mme au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts poursuivis par la mesure d'éloignement, ni de méconnaître l'intérêt supérieur de la jeune Priscilla ; que, par suite, l'obligation de quitter le territoire français qui a été faite à Mme par le PREFET DU PUY-DE-DOME n'a méconnu, ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni celles des articles 7 et 24 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ni celles du 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant et que le moyen tiré de la violation de l'article 20 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne saurait davantage prospérer ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DU PUY-DE-DOME est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé ses décisions du 16 février 2011 et lui a enjoint de délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " à Mme ;

Sur les conclusions de Mme tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente affaire, quelque somme que ce soit au profit de la SCP Borie et Associés, avocat de Mme , au titre des frais exposés en appel et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1100563, rendu le 7 juin 2011, par le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme devant le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Béatrice , épouse , au PREFET DU PUY-DE-DÔME et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 24 mai 2012 à laquelle siégeaient :

M. Le Gars, président de la Cour,

M. Bézard, président,

M. Zupan, président assesseur.

Lu en audience publique, le 7 juin 2012,

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N° 11LY01612


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 11LY01612
Date de la décision : 07/06/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. LE GARS
Rapporteur ?: M. Jean Marc LE GARS
Rapporteur public ?: M. REYNOIRD
Avocat(s) : SCP BORIE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2012-06-07;11ly01612 ?
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