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08/02/2007 | FRANCE | N°06LY00822

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, Juge unique - 5ème chambre, 08 février 2007, 06LY00822


Vu le recours, enregistré au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 24 avril 2006, présenté pour le PREFET DU RHONE, par Me Schmitt, avocat au barreau de Lyon ;

Le PREFET DU RHONE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0601876 du 7 avril 2006 par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Lyon a annulé son arrêté du 17 mars 2006 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Isak X et la décision du même jour fixant le pays de destination ;

2°) de rejeter la demande présentée de

vant le tribunal administratif par M. X ;


Vu les autres pièces du dossi...

Vu le recours, enregistré au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 24 avril 2006, présenté pour le PREFET DU RHONE, par Me Schmitt, avocat au barreau de Lyon ;

Le PREFET DU RHONE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0601876 du 7 avril 2006 par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Lyon a annulé son arrêté du 17 mars 2006 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Isak X et la décision du même jour fixant le pays de destination ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif par M. X ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'ordonnance n° 2004-1248 du 24 novembre 2004 relative à la partie législative du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 modifiée, relative au droit d'asile ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 modifié, réglementant les conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 29 janvier 2007 :

- le rapport de M. Bernault, président ;
- les observations de Me Schmitt, pour le PREFET DU RHONE ;

- et les conclusions de M. Raisson, commissaire du gouvernement ;


Sur l'étendue du litige :

Considérant que si l'avocat de M. X a transmis à la Cour, le 29 janvier 2007, une copie des cartes de séjour temporaire « vie privé et familiale » valables un an jusqu'au 28 août 2007 attribuées à chacun des époux X après le jugement dont appel, et s'il fait état de ce qu'il « pense que cela annule de fait les arrêtés de reconduite frontière », il ne résulte pas des autres pièces du dossier, lesquelles ne contiennent aucun désistement émanant du PREFET DU RHONE, que ce dernier ait entendu, en délivrant ces titres temporaires, prendre d'autres mesures que celles qui s'imposaient à lui pour l'exécution du jugement attaqué ; qu'il y a donc lieu de statuer sur son recours ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (…) 6° Si le récépissé de la demande de carte de séjour ou l'autorisation provisoire de séjour qui avait été délivré à l'étranger lui a été retiré ou si le renouvellement de ces documents lui a été refusé (…) » et qu'aux termes de l'article L. 742-6 du même code, « L'étranger présent sur le territoire français dont la demande d'asile entre dans l'un des cas visés aux 2° à 4° de l'article L. 741-4 bénéficie du droit de se maintenir en France jusqu'à la notification de la décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides, lorsqu'il s'agit d'une décision de rejet. En conséquence aucune mesure d'éloignement mentionnée au livre V du présent code ne peut être mise à exécution avant la décision de l'office » ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X, de nationalité serbe et originaire du Kosovo, s'est vu refuser le statut de réfugié par décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides du 19 juillet 2002, confirmée par décision de la commission des recours des réfugiés du 20 mai 2003 et le bénéfice de l'asile territorial par décision du ministre de l'intérieur du 14 juin 2004 ; que, par décision du 3 septembre 2004, notifiée le 8 septembre 2004, le PREFET DU RHONE lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour et l'a invité à quitter le territoire ; que, le 27 septembre 2004, le PREFET DU RHONE lui a, en application des dispositions du 4° de l'article 8 de la loi du 25 juillet 1952 susvisée, refusé la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour, suite à sa demande de réexamen à l'office français de protection des réfugiés et apatrides ; que cet office a, par décision du 25 octobre 2004, rejeté la demande de M. X, qui s'étant maintenu sur le territoire, se trouvait ainsi dans le cas où, en application des dispositions précitées, le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;

Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. » ;

Considérant que M. X est entré irrégulièrement en France en août 2001 avec son épouse et leurs enfants nés en mai 1996 et octobre 1999 ; qu'il a déclaré, sans être contredit, qu'ils avaient été chassés du Kosovo en avril 1999, s'être retrouvés dans un camp de réfugiés en Macédoine et, après un retour au Kosovo, en être reparti pour la France en 2001 ; qu'il ressort des pièces du dossier, que les deux enfants de M. X, âgés de 7 et 10 ans à la date de l'arrêté attaqué, sont scolarisés en France depuis plusieurs années ; que M. X et sa famille sont bien insérés socialement ainsi qu'en attestent les pièces du dossier ; que son épouse et ses enfants maîtrisent la langue française ; que M. X dispose de possibilité d'insertion professionnelle ; que, présent en France depuis près de cinq ans avec sa famille, il a lié sur le territoire certaines attaches ; que, toutefois, aucun des frères et soeurs de M. X ou de Mme X ne vivent en France ; que Mme X fait elle-même l'objet d'une procédure de reconduite ; que les deux soeurs de M. X et les parents et la fratrie de Mme X résident au Kosovo ; que M. X n'établit pas que la vie de la cellule familiale ne pourrait pas se poursuivre au Kosovo, ni qu'il ne pourrait y avoir une activité professionnelle ; que M. et Mme X disposent encore de fortes attaches familiales en Serbie et au Monténégro ; que la durée du séjour en France du couple X, et la continuité de la scolarisation de leurs enfants, est due aux procédures de demande du droit d'asile entreprises par M. X et au respect de ces procédures, ainsi qu'au respect des droits propres de leurs enfants, par l'administration française ; que, dès lors, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière, le PREFET DU RHONE n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels son arrêté a été pris ; qu'il n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'ainsi le PREFET DU RHONE est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Lyon s'est fondé, pour prononcer l'annulation de son arrêté du 17 mars 2006 ordonnant la reconduite à la frontière de M. X et, par voie de conséquence, de sa décision du même jour désignant le pays de destination, sur la violation des stipulations de l'article 8 de ladite convention ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. X ;


Sur la légalité de la mesure de reconduite :

Considérant que compte tenu de l'ensemble des circonstances susrelatées de l'espèce, et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière, le PREFET DU RHONE n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels son arrêté a été pris ; qu'il n'a ainsi pas commis d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressé ;


Considérant que le requérant faisait valoir devant le Tribunal administratif de Lyon que la mesure de reconduite porterait atteinte aux droits conférés par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que son épouse, qui n'a pas pour sa part fait l'objet d'une reconduite à la frontière, ne pourrait exercer de recours effectif devant une autorité nationale ; que, cependant, il ne résulte pas d'aucun élément du dossier que l'administration ait entendu priver Mme X, qui d'ailleurs est actuellement l'objet d'une mesure de reconduite, de ses droits à un recours effectif devant une juridiction ;

Considérant, enfin, que les moyens tirés par l'intéressé de l'imprécision de la destination vers laquelle il est reconduit et des risques qu'il encourrait en cas de retour au Kosovo sont inopérants à l'encontre de l'arrêté de reconduite ;


Sur la légalité de la décision distincte désignant le pays de destination :

Considérant que la décision désignant le pays de destination, après avoir mentionné la nationalité yougoslave du requérant, dispose qu'il sera éloigné à destination du pays dont il a la nationalité ou de tout autre pays où il établirait être légalement admissible ; que la Yougoslavie est devenue la communauté d'Etats de Serbie et Montenegro, à laquelle est rattachée la province du Kosovo sous l'administration des Nations Unies ; que M. X résidant au Kosovo avant son arrivée en France, cette décision doit s'interpréter comme désignant normalement le Kosovo comme destination, sauf pour M. X à faire part de sa volonté de rejoindre la Serbie ou le Monténégro, ou à établir qu'il peut être reconduit dans un autre pays ; que la décision attaquée, prise dans le contexte de la situation des peuples de l'ex-Yougoslavie, n'est donc pas entachée d'une imprécision qui la rendrait illégale ;

Considérant que les deux demandes d'asile successives présentées par M. X en août 1991 et le 20 septembre 2004 ont été rejetées par l'OFPRA, par deux décisions des 19 juillet 2003 et 25 octobre 2004 ; que la première de ces décisions a été confirmée par la commission de recours des réfugiés le 20 mai 2003 ; que l'office, qui a entendu le requérant, s'est fondé notamment sur ce que les déclarations orales de l'intéressé relatives à son militantisme au Kosovo, à l'assassinat de son oncle et à la confiscation de son magasin d'alimentation étaient « évasives, embarrassées, et peu sincères » et présentaient des incohérences, ainsi que des divergences par rapport à ses déclarations écrites, et que rien ne permettait de considérer qu'il puisse craindre des persécutions en cas de retour ; qu'il ne résulte pas du dossier, alors que le requérant fait état notamment de coupures de presse sur la situation générale en ex-Yougoslavie, et sur le sort des Serbes du nord du Kosovo, que cette motivation soit erronée, et que la décision de l'éloigner à destination de son pays d'origine l'exposerait effectivement à des risques de persécution ou de traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, la décision distincte fixant le pays de destination de la reconduite n'a méconnu ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DU RHONE est fondé à demander l'annulation du jugement du 7 avril 2006 par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Lyon a annulé son arrêté du 17 mars 2006 décidant la reconduite à la frontière de M. X et sa décision du même jour fixant le pays de destination ;


Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à M. X ou à son conseil les sommes demandées au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;


DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 7 avril 2006 du magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : Les conclusions dirigées contre l'arrêté du 17 mars 2006 du PREFET DU RHONE décidant la reconduite à la frontière de M. X et contre sa décision du même jour fixant le pays de destination de cette reconduite présentées devant le Tribunal administratif de Lyon par M. X et les conclusions présentées devant la Cour au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
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N° 06LY00822


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : Juge unique - 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 06LY00822
Date de la décision : 08/02/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. François BERNAULT
Rapporteur public ?: M. RAISSON
Avocat(s) : DOMINIQUE SCHMITT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2007-02-08;06ly00822 ?
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