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28/06/2022 | FRANCE | N°21DA01148

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 28 juin 2022, 21DA01148


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... E... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 14 décembre 2020 par lequel le préfet du Nord a décidé son transfert aux autorités allemandes.

Par jugement n° 2009145 du 14 janvier 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 mai 2021, Mme E..., représentée par Me Norbert Clément, demande à la cour :

1°) d'annule

r ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord de réexaminer sa situation...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... E... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 14 décembre 2020 par lequel le préfet du Nord a décidé son transfert aux autorités allemandes.

Par jugement n° 2009145 du 14 janvier 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 mai 2021, Mme E..., représentée par Me Norbert Clément, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord de réexaminer sa situation et d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de 8 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision attaquée est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation et méconnaît les dispositions des articles 23.4 et 29 du règlement n° 604/2013 ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article 25 du même règlement ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article 24 du même règlement ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en œuvre les dispositions de l'article 17 du même règlement et la décision attaquée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3.1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 novembre 2021, le préfet du Nord, représenté par Me Jean-Alexandre Cano, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la décision de transfert n'est pas caduque, il y a donc toujours lieu de statuer sur la requête de Mme E... ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 avril 2021 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... D..., présidente-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. En premier lieu, aux termes de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 : " Présentation d'une requête aux fins de reprise en charge lorsqu'une nouvelle demande a été introduite dans l'Etat membre requérant / (...) / 4. Une requête aux fins de reprise en charge est présentée à l'aide d'un formulaire type et comprend des éléments de preuve ou des indices tels que décrits dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, et/ou des éléments pertinents tirés des déclarations de la personne concernée, qui permettent aux autorités de l'Etat membre requis de vérifier s'il est responsable au regard des critères définis dans le présent règlement ". Aux termes de l'article 29 du même règlement : " Le transfert du demandeur et d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge et de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. / (...) ".

2. D'une part, Mme E..., ressortissante géorgienne a déclaré être entrée en France le 4 février 2019 avec ses quatre enfants mineurs et y a demandé l'asile le 7 suivant. La consultation du fichier Eurodac a révélé que l'intéressée avait déjà demandé l'asile en Allemagne le 12 mars 2018. Si l'arrêté de transfert vers l'Allemagne évoqué par le préfet n'a pas été produit à l'instance, il ressort du fichier national des étrangers que l'intéressée a fait l'objet d'une procédure de transfert et a été remise aux autorités allemandes le 30 avril 2019. Mme E... reconnaît au demeurant ce transfert dans ses écritures. Si elle soutient que son fils aîné était absent le jour de l'exécution de ce transfert par la police, elle n'a produit aucun élément probant à l'appui de cette affirmation et n'est donc pas fondée à soutenir que la France était par conséquent responsable de l'examen de la demande d'asile de son fils aîné.

3. D'autre part, le 16 novembre 2020, Mme E..., de retour en France depuis le 1er janvier 2020 selon ses déclarations, y a déposé une nouvelle demande d'asile. Le même jour, la France a saisi l'Allemagne d'une demande de reprise en charge par le biais du formulaire prévu à cet effet. Après deux demandes de renseignements complémentaires sur la situation du fils aîné de la requérante les 19 et 30 novembre 2020, auxquelles la France a répondu les 26 novembre et 9 décembre 2020, les autorités allemandes ont accepté de reprendre en charge la requérante et ses enfants le 11 décembre 2020. Ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que les services de la préfecture n'auraient pas transmis aux autorités allemandes tous les éléments pertinents relatifs à la situation de la requérante et de ses enfants.

4. Il résulte de ce qui précède que les articles 23 et 29 de du règlement (UE) n° 604/2013 n'ont pas été méconnus et que le préfet a procédé à un examen sérieux et particulier des éléments relatifs à la situation de la requérante.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 25 du règlement (UE) n° 604/2013 : " Réponse à une requête aux fins de reprise en charge / 1. L'Etat membre requis procède aux vérification nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. / 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ".

6. Ainsi qu'il a été dit au point 3, les autorités allemandes se sont définitivement prononcées sur la demande de reprise en charge de Mme E... le 11 décembre 2020 soit seulement deux jours après que le préfet a répondu à la seconde demande de renseignement complémentaire présentée par l'Allemagne. Le délai de quinze jours prévu par l'article 25 précité a donc été respecté. En tout état de cause, il ressort des termes mêmes du paragraphe 2 de ce même article que, contrairement à ce qui soutient la requérante, une réponse tardive de l'Etat requis n'entraîne pas la cessation de sa responsabilité, mais au contraire l'obligation de reprendre en charge la personne concernée. Par suite, en ordonnant le transfert de Mme E... aux autorités allemandes, le préfet n'a pas méconnu l'article 25 du règlement (UE) n° 604/2013.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 24 du règlement (UE) n° 604/2013 : " Présentation d'une requête aux fins de reprise en charge lorsque aucune nouvelle demande a été introduite dans l'Etat membre requérant / Lorsqu'un Etat membre sur le territoire duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), se trouve sans titre de séjour et auprès duquel aucune nouvelle demande de protection internationale n'a été introduite estime qu'un autre Etat est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5 et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre Etat membre aux fins de reprise en charge de cette personne. (...) / Si la requête aux fins de reprise en charge est fondée sur des éléments de preuve autres que des données obtenues par le système Eurodac, elle est renvoyée à l'Etat membre requis, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l'Etat membre requérant a appris qu'un autre Etat membre pouvait être responsable pour la personne concernée (...) ".

8. Si le ressortissant d'un pays tiers qui, après avoir demandé l'asile dans un premier Etat membre, y a été transféré par un second Etat membre puis revient sans titre de séjour sur le territoire de ce dernier peut faire l'objet d'une requête à fin de reprise en charge dans les trois mois prévus à l'article 24 paragraphe 2 deuxième alinéa du règlement Dublin III quand Eurodac n'est pas interrogé, ce délai court à partir de la date à laquelle le second Etat a connaissance de la présence de l'intéressé sur son territoire et des éléments établissant la responsabilité du premier Etat (Cour de Justice de l'Union européenne 25 janvier 2018 C-360/16 § 69).

9. Ni l'hébergement de l'intéressée dans un centre d'accueil et d'étude de situations depuis le 14 mai 2019 et dans un autre centre depuis le 27 mars 2020, ni les informations contenues dans la demande de prise en charge adressée à l'Allemagne ne suffisent à établir que les services de la préfecture étaient informés de la présence en France de la requérante avant que celle-ci ne dépose une nouvelle demande d'asile le 16 novembre 2020. Par suite, les dispositions de l'article 24 du règlement (UE) n° 604/2013 n'ont pas été méconnues.

10. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ". Aux termes du 1 de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. (...) ". Aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) / (...) ". La faculté laissée à chaque Etat membre par cet article de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

11. Ainsi qu'il a été dit au point 2, aucun élément probant ne vient établir que Mme E... aurait été éloignée vers l'Allemagne sans son fils aîné qui serait resté isolé en France et ne pourrait plus, de ce fait, faire l'objet d'un transfert aux autorités de ce pays. La décision attaquée n'a ainsi pas pour effet de séparer la requérante de son fils. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que Mme E... et ses enfants seraient des personnes vulnérables nécessitant l'attention particulière des autorités. Dans ces conditions, le préfet du Nord n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en refusant de faire usage des dispositions de l'article 17 du règlement n°604/2013. Pour les mêmes motifs, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, doivent être écartés.

12. Il résulte de ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 14 décembre 2020 et du jugement du tribunal administratif de Lille du 14 janvier 2021. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des frais liés au litige doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E..., au ministre de l'intérieur et à Me Norbert Clément.

Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 14 juin 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- Mme Corinne Baes Honoré, présidente,

- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2022.

La présidente-rapporteure,

Signé : C. D...Le président de la 1ère chambre,

Signé : M. B...

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N° 21DA01148 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21DA01148
Date de la décision : 28/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: Mme Corinne Baes Honoré
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-06-28;21da01148 ?
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