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25/03/2021 | FRANCE | N°19DA00280

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 25 mars 2021, 19DA00280


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... E... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision de suppression de son emploi et le rejet implicite de sa demande de retrait de cette décision. Elle a également demandé d'enjoindre au maire de Calais de reconstituer sa carrière et de la réintégrer dans son poste ainsi que, sous astreinte, d'engager une procédure disciplinaire contre l'agent qui l'a harcelée. Elle a enfin demandé que la commune de Calais lui verse la somme de 32 891,55 euros à parfaire en réparation des p

réjudices subis.

Par un jugement n° 1508241 du 5 décembre 2018, le tribuna...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... E... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision de suppression de son emploi et le rejet implicite de sa demande de retrait de cette décision. Elle a également demandé d'enjoindre au maire de Calais de reconstituer sa carrière et de la réintégrer dans son poste ainsi que, sous astreinte, d'engager une procédure disciplinaire contre l'agent qui l'a harcelée. Elle a enfin demandé que la commune de Calais lui verse la somme de 32 891,55 euros à parfaire en réparation des préjudices subis.

Par un jugement n° 1508241 du 5 décembre 2018, le tribunal administratif de Lille a annulé la note de service du 2 mars 2015 affectant Mme E... au poste de responsable du pôle santé et vie sociale et les arrêtés du 8 avril 2015 du maire de Calais portant attribution de primes de fonctions et de résultats. Il a également condamné la commune de Calais à verser à Mme E... la somme de 25 838,19 euros et a mis à la charge de cette commune la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il a enfin rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 5 février 2019, le 16 novembre 2020 et le 8 janvier 2021, la commune de Calais, représentée par Me H... A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes de Mme E... ;

3°) de mettre à la charge de Mme E... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public ;

- et les observations de Me D... C... pour la commune de Calais.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... a été recrutée par la commune de Calais, par voie de mutation à compter du 14 avril 2008 et y exerçait les fonctions de directrice du département culture. Par note de service du 2 mars 2015, la maire de Calais l'a nommée responsable du pôle santé et vie sociale, en raison de la suppression de son poste. Le 8 avril 2015, la maire de Calais a diminué par deux arrêtés, les parts de sa prime de fonctions et de résultats respectivement liées aux résultats et aux fonctions, du fait de ce changement de fonctions. Mme E... a formé un recours gracieux, le 5 juin 2015 contre la décision supprimant son poste et contre les décisions en découlant. Par le même courrier, elle demandait l'indemnisation de son préjudice matériel et moral. Faute de réponse, elle a saisi le tribunal administratif de Lille, qui, par un jugement du 5 décembre 2018 a annulé pour excès de pouvoir la note de service du 2 mars 2015 ainsi que les deux arrêtés de la maire de Calais du 8 avril 2015. Ce jugement condamne également la commune de Calais à verser à Mme E... la somme de 25 838,19 euros et rejette les conclusions à fins d'injonction de Mme E.... La commune de Calais relève appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, Mme E... demande que ce jugement soit réformé et que la condamnation de la commune de Calais soit portée à la somme de 22 836,46 euros au titre de son préjudice matériel et à la somme de 20 000 euros en ce qui concerne son préjudice moral. Elle doit également être considérée comme demandant l'annulation du jugement en ce qu'il a rejeté ses conclusions d'injonction.

Sur les conclusions dirigées contre l'annulation de la décision du 2 mars 2015 et des arrêtés du 8 avril 2015 :

2. La commune de Calais demande d'abord l'annulation du jugement en tant qu'il annule la décision du 2 mars 2015. Elle soutient que le changement d'affectation de Mme E... ne constitue pas une sanction déguisée, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif.

3. Aux termes de l'article 52 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale dans sa version applicable : " L'autorité territoriale procède aux mouvements des fonctionnaires au sein de la collectivité ou de l'établissement ; seules les mutations comportant changement de résidence ou modification de la situation des intéressés sont soumises à l'avis des commissions administratives paritaires. (...). ". Un changement d'affectation constitue une sanction déguisée illégale dès lors qu'il est établi que l'auteur de l'acte a eu l'intention de sanctionner l'agent et que la décision a porté atteinte à la situation professionnelle de ce dernier.

4. En l'espèce, d'une part, Mme E... exerçait les fonctions de directrice du département culture. Il ressort des pièces du dossier que ce département comptait cent trente agents et sept services. Mme E... était directement rattachée au directeur général adjoint en charge de l'attractivité et avait à ce titre une prime de fonctions de niveau 2, ainsi qu'un régime horaire de cadre. Or, dans ses nouvelles fonctions de responsable de pôle santé et vie sociale, Mme E... n'avait la responsabilité que de deux services et de treize agents, rendait compte à la directrice de l'enfance et de la famille, elle-même rattachée à un directeur général adjoint des services, avait une prime de niveau 3 et des horaires cycliques. Il ressort de l'ensemble de ces éléments que le changement d'affectation a porté atteinte à la situation professionnelle de l'intéressée.

5. D'autre part, Mme E... soutient qu'au cours du rendez-vous du 20 juin 2014 avec la maire de Calais, celle-ci lui a demandé de quitter la collectivité avant le 31 décembre 2014, faute de quoi une procédure disciplinaire serait engagée à son encontre. L'intéressée a vécu le rendez-vous du 20 juin comme un " réquisitoire " sur ses insuffisances professionnelles alléguées comme elle s'en est ouverte tant auprès du maire que du directeur général des services dans un courrier électronique du 24 juillet 2014. En réponse, dans un courrier électronique du même jour, la maire lui a confirmé " l'ensemble des propos qui ont été tenus à l'occasion de notre entretien concernant ma demande pour négocier son départ avant d'engager une procédure ". Mme E... indique encore avoir été déchargée d'une partie de ses fonctions à compter de cette date, sans être sérieusement contestée sur ce point. Il ressort également des pièces du dossier que l'évaluation pour l'année 2014 lui a été notifiée le 5 janvier 2015 après que la maire ait modifié l'appréciation " très bien " portée sur sa manière de servir en la mention " à améliorer ". Enfin, la suppression du poste occupé par Mme E... a été soumise au comité technique paritaire du 18 février 2015, sans être pour autant inscrite, ni adoptée par le conseil municipal. Il résulte de ces éléments que le changement d'affectation de Mme E... marque une volonté de sanctionner l'intéressée. Par suite, la commune de Calais n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 3 mars 2015 affectant Mme E... comme responsable du pôle santé et vie sociale. De même, les arrêtés du 8 avril 2015 qui sont la conséquence de ce changement d'affectation, ont fortement réduit le niveau de primes de l'intéressée, le ramenant d'un coefficient de 3,7 à 2,4 pour la part liée aux fonctions et de 2,2 à 1,55 pour la part liée aux résultats. Ils témoignent donc d'une volonté de sanctionner l'intéressée et sont également illégaux pour ce motif, comme l'a jugé à bon droit le tribunal administratif de Lille.

Sur les conclusions dirigées contre la condamnation indemnitaire de la commune :

6. La commune de Calais conteste ensuite le jugement du tribunal administratif de Lille en ce qui concerne sa condamnation à indemniser Mme E.... Elle soutient en premier lieu que sa responsabilité n'est pas engagée et en deuxième lieu que l'intéressée n'a pas droit à indemnisation ou subsidiairement qu'elle n'a droit qu'à une indemnisation réduite en ce qui concerne le préjudice financier. Elle allègue en troisième lieu que Mme E... n'a subi aucun préjudice moral.

En ce qui concerne la responsabilité de la commune :

7. Ainsi qu'il a été dit au point 5, le changement d'affectation de Mme E... constitue une sanction déguisée et engage la responsabilité de la commune pour les préjudices résultant de cette illégalité fautive. De même, les décisions du 8 avril 2015 diminuant son régime indemnitaire en raison de son changement d'affectation, qui sont illégales par voie de conséquence, engagent également la responsabilité de la commune. La commune de Calais n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a retenu sa responsabilité en raison de ces illégalités fautives.

8. La commune de Calais demande ensuite que le jugement du tribunal administratif de Lille soit réformé en ce qu'il a reconnu que Mme E... avait subi des agissements répétés de harcèlement moral.

9. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. ". Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral, revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

10. Mme E... a soumis, dans le cadre de la présente instance au titre du harcèlement moral, des éléments qui mettent principalement en cause les agissements de son supérieur hiérarchique direct, le directeur général adjoint des services en charge de l'attractivité. Les nombreuses pièces produites par Mme E... démontrent des relations tendues entre l'intéressée et ce directeur général adjoint, depuis l'arrivée de ce dernier dans la collectivité au cours de l'année 2010. Ainsi, le directeur général adjoint a reproché à l'intéressée le surcroit de travail qu'il a accompli pendant les congés de Mme E... ou un départ de celle-ci en congé avant une échéance importante, un manque de concertation avec les élus sur le diagnostic culture. Les courriers électroniques produits témoignent également de tensions sur les dates de congé de Mme E..., accordés au dernier moment ou mis en attente pour des raisons de service, l'opposition du directeur général adjoint à un déplacement en train plutôt qu'en voiture sur Lille pour des raisons budgétaires. Toutefois, ces éléments s'ils marquent parfois un agacement du directeur général adjoint par rapport au travail de Mme E..., ne font preuve ni d'agressivité, ni de dévalorisation de l'intéressée. Ils ne permettent pas de laisser présumer des agissements ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail portant atteinte aux droits ou à la dignité de Mme E.... Par ailleurs, les éléments évoqués par Mme E... n'ont pas eu d'effet sur sa carrière avant le 3 mars 2015 puisqu'elle a été nommée, par arrêté du 28 juin 2013 sur son poste au grade d'attaché principal, à la suite de sa réussite à l'examen professionnel. Enfin, la dégradation de son état de santé ne date, d'après les certificats médicaux produits que de juin 2014, soit plus de quatre ans après l'arrivée dans la collectivité du directeur général adjoint dont Mme E... se plaint. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la commune de Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a reconnu sa responsabilité pour des agissements répétés de harcèlement moral qu'aurait commis son supérieur direct. Par suite, la responsabilité de la commune n'est engagée qu'en raison de l'illégalité fautive du changement d'affectation de Mme E... et des décisions prises par voie de conséquence sur son régime indemnitaire à non à raison d'un harcèlement moral.

En ce qui concerne le préjudice matériel :

11. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé ou privé de ses fonctions a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser les frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions.

12. Il ressort de la délibération du conseil municipal du 14 décembre 2011 que la commune de Calais a mis en place, à compter du 1er avril 2012, une prime de fonctions et de résultats pour les administrateurs territoriaux et les attachés, comprenant une part liée aux fonctions et une part liée aux résultats. Cette dernière part, d'après les termes de la délibération tient compte de " l'efficacité dans l'emploi et dans la réalisation des objectifs, les compétences professionnelles et techniques, les qualités relationnelles, la capacité d'encadrement ou à exercer des fonctions d'un niveau supérieur. ". Cette délibération dispose que cette prime suit le sort du régime indemnitaire en cas de congé de maladie ordinaire et sa modification par la délibération du 26 juin 2013 prévoit que, pendant les périodes de congés de longue maladie et de longue durée, les agents bénéficient de la moitié de leur régime indemnitaire. Par délibération du 27 juin 2016, le conseil municipal a substitué à cette prime, dans le cadre du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel, une indemnité de fonction, de sujétions et d'expertise, à compter du 1er janvier 2017 qui est attribuée dans les mêmes conditions que la prime de fonctions et de résultats, en tenant compte en particulier des fonctions exercées. La délibération dispose que cette indemnité " suivra le sort du traitement au cours de congés de maladie ordinaire et sera versé à cinquante pour cent en cas de congés de longue maladie, congés de longue durée et temps partiel thérapeutique. ". Ces délibérations fixent des taux de primes supérieurs, et d'ailleurs identiques dans les deux régimes, pour les directeurs de département par rapport aux responsables de pôle. Par ailleurs il ne résulte d'aucun des termes de ces délibérations que ces primes viennent compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions, contrairement à ce que soutient la commune.

13. Ainsi qu'il a été dit au point 5, Mme E... a été illégalement privée de ses fonctions de directrice du département culture pour être nommée sur un poste de responsable de pôle. Elle a donc subi une baisse de la prime de fonctions et de résultats afférente à compter du 1er mai 2015 puis de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise à compter de la substitution de cette indemnité à la prime de fonctions et de résultats. Or, l'instruction ne fait pas apparaître que si elle n'avait pas été illégalement privée de ses fonctions de directeur de département, Mme E... n'aurait pas eu de chance sérieuse de percevoir ces primes au taux où la prime de fonction et de résultats lui était auparavant attribuée. Mme E... doit également être considérée comme demandant à être indemnisée de la perte de chance sérieuse de percevoir l'indemnité de fonction, de sujétions et d'expertise qui s'est substituée à la prime de fonctions et de résultats, à compter du 1er janvier 2017. Toutefois, à compter du 18 juillet 2016, l'intéressée a été placée en congé de longue maladie puis à compter du 17 juillet 2017 en congé de longue durée. En application des délibérations citées au point 12, Mme E... n'avait droit qu'à la moitié de son régime indemnitaire à compter du 18 juillet 2016, comme le fait valoir la commune. Ses fiches de paie attestent d'ailleurs qu'elle n'a perçu que la moitié de la prime correspondant aux fonctions de responsable de pôle. Son préjudice matériel est donc égal à la différence entre le régime indemnitaire de directrice de département, dont elle a été illégalement privée et celui de responsable de pôle, soit la somme de 368,33 euros par mois. Mme E... a droit à cette indemnisation à taux plein à compter du 1er mai 2016 et à un taux de cinquante pour cent à compter du 18 juillet 2016. Il y a également lieu de prendre en compte la poursuite de ce préjudice jusqu'au jour de l'arrêt, comme le demande Mme E... par la voie de l'appel incident. La commune dans ses dernières écritures fait valoir que la commission de réforme a donné, le 9 octobre 2020, un avis favorable à la reconnaissance de l'imputabilité au service de son état de santé. Si cette imputabilité était reconnue par la collectivité, Mme E... aurait droit à la perception de la totalité de son salaire indiciaire et de son régime indemnitaire, à compter rétroactivement de la date à laquelle l'affection est reconnue imputable au service. Mais à la date du présent arrêt, il ne résulte pas de l'instruction que la commune ait pris une décision suite à cet avis. Ainsi, à la date à laquelle il est statué, le préjudice matériel auquel est condamnée la commune de Calais, est fixé à la différence entre le régime indemnitaire de directeur de département et celui de responsable de pôle, à taux plein ou à demi-taux, selon les périodes, ainsi qu'il a été dit, soit à la somme de 15 746,11 euros. Le jugement du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

En ce qui concerne le préjudice moral :

14. Mme E... doit également être considérée demandant l'indemnisation du préjudice moral résultant de l'illégalité fautive de sa décision de changement d'affectation. Ainsi qu'il a été dit au point 5, ce changement d'affectation constitue une sanction déguisée, par suite illégale. Il résulte également de l'instruction que l'état de santé de Mme E... s'est brutalement dégradé, à la suite de ce changement d'affectation et des décisions qui s'en sont suivies. L'intéressée a été placée en congé de maladie dès le 20 novembre 2014 jusqu'au 26 novembre 2014, puis à nouveau du 16 au 23 décembre 2014, du 2 au 4 mars 2015, du 4 au 23 juin 2015, du 11 au 28 août 2015 et du 15 au 25 septembre 2015. Elle a été placée en congé de longue maladie, puis de longue durée, à compter du 18 juillet 2016. Un médecin généraliste indique, le 29 mai 2017, qu'elle consulte pour troubles du sommeil, de l'humeur et anxiété généralisée depuis juin 2014, suite à un changement professionnel annoncé, que cet état s'est aggravé en mars 2015 et a nécessité la consultation d'un psychiatre. Un autre médecin généraliste atteste le 4 juin 2016 d'un état de souffrance au travail très sévère. Trois médecins psychiatres, dont deux experts consultés dans le cadre de la procédure de reconnaissance de l'imputabilité au service, attestent de cette imputabilité au service de la maladie, de l'absence d'antécédents et de pathologie indépendante. Enfin la commission de réforme a donné un avis favorable à la reconnaissance de l'imputabilité au service de l'état de santé de Mme E.... Il résulte de ces éléments que Mme E... est fondée à soutenir que les illégalités fautives de la commune de Calais à son encontre, compte tenu de leur impact sur son état de santé sont à l'origine du préjudice moral dont elle réclame l'indemnisation.

15. Si la commune de Calais conteste l'évaluation du préjudice faite par les premiers juges, il résulte de ce qui a été dit au point 14 que les illégalités fautives commises par la commune de Calais ont dégradé les conditions de travail et ont altéré l'état de santé de Mme E.... Compte tenu de ses éléments, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par l'intéressée en le fixant à la somme de 3 000 euros.

Sur les conclusions à fins d'injonction :

16. L'annulation de la décision ayant illégalement changé d'affectation un agent public oblige l'autorité compétente à replacer l'intéressé, dans l'emploi qu'il occupait précédemment et à reprendre rétroactivement les mesures nécessaires pour le placer dans une position régulière à la date de son changement d'affectation. Il ne peut être dérogé à cette obligation que dans les hypothèses où la réintégration est impossible, soit que cet emploi ait été supprimé ou substantiellement modifié, soit que l'intéressé ait renoncé aux droits qu'il tient de l'annulation prononcée par le juge ou qu'il n'ait plus la qualité d'agent public. Dans ce cas, l'agent public doit être réintégré dans un emploi équivalent.

17. Mme E... réitère ses conclusions d'être réintégrée dans un emploi équivalent à celui de directeur du département culture qu'elle occupait avant son changement d'affectation illégal et dont elle ne conteste pas qu'il a été supprimé ou substantiellement modifié. Au surplus, Mme E... établit que deux postes de directeurs de département ont été soit vacants, soit publiés entre mars 2015 et juin 2015 et ne lui ont pas été proposés. Par suite, il y a lieu d'enjoindre à la commune de Calais, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte, de réintégrer Mme E... dans un emploi équivalent à celui qu'elle occupait avant son changement d'affectation illégal, sous réserve des décisions qui pourraient être prises à la suite de l'expertise médicale préconisée par la commission de réforme, le 9 octobre 2020, sur l'aptitude de l'intéressée à reprendre son service, et de lui enjoindre de reconstituer sa carrière à compter du 3 mars 2015. Par ailleurs, Mme E... ne réitère pas ses conclusions d'injonction à fins que la commune engage une procédure disciplinaire à l'encontre du directeur général adjoint chargé de l'attractivité. L'article 4 du jugement du tribunal administratif de Lille est donc annulé en tant qu'il rejette les conclusions d'injonction à fins de réintégration de Mme E....

Sur les frais liés à l'instance :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Calais, qui n'est pas la partie principalement perdante dans la présente instance, la somme que Mme E... réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions de la commune de Calais sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : La condamnation de la commune de Calais à verser à Mme E... est ramenée à la somme de 18 746,11 euros.

Article 2 : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Lille du 5 décembre 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'article 4 du jugement du tribunal administratif de Lille du 5 décembre 2018 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions d'injonction à fins de réintégration de Mme E....

Article 4 : Il est enjoint à la commune de Calais de réintégrer Mme E... sur un poste équivalent à celui de directeur du département culture qu'elle occupait et de reconstituer sa carrière à compter du 3 mars 2015 dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sous réserve de son aptitude et dans les conditions fixées au point 17 de cet arrêt.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Me H... A... pour la commune de Calais et à Me B... F... pour Mme G... E....

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N°19DA00280

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N°"Numéro"


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Positions - Affectation et mutation - Mutation.

Fonctionnaires et agents publics - Statuts - droits - obligations et garanties - Statut général des fonctionnaires de l'État et des collectivités locales - Droits et obligations des fonctionnaires (loi du 13 juillet 1983).


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : MESSAOUDI

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Date de la décision : 25/03/2021
Date de l'import : 04/05/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19DA00280
Numéro NOR : CETATEXT000043351069 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-03-25;19da00280 ?
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