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10/12/2020 | FRANCE | N°19DA00346

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 10 décembre 2020, 19DA00346


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MM. Yves F... et Philippe B... ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision implicite ainsi que la décision explicite du 30 janvier 2017 par lesquelles le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a refusé d'inscrire l'établissement dit " l'Epinay " à Fécamp sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante pour la période de 1973 à 1996 et d'enjoindre, sous

astreinte, à ce ministre de procéder à cette inscription pour la période d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MM. Yves F... et Philippe B... ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision implicite ainsi que la décision explicite du 30 janvier 2017 par lesquelles le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a refusé d'inscrire l'établissement dit " l'Epinay " à Fécamp sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante pour la période de 1973 à 1996 et d'enjoindre, sous astreinte, à ce ministre de procéder à cette inscription pour la période de 1973 à 1996, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir.

Par un jugement n° 1601712 du 13 décembre 2018, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 février 2019, MM. Yves F... et Philippe B..., représentés par Me G... H..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet de la demande d'inscription de l'établissement " l'Epinay " de Fécamp sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante pour la période de 1973 à 1996, ainsi que la décision explicite du 30 janvier 2017 ;

3°) d'enjoindre à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion d'inscrire l'établissement " L'Epinay " de Fécamp sur cette liste pour la période de 1973 à 1996, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et notamment son article 41 modifié ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public ;

- et les observations de Me D... C... pour la société 2H Energy.

Considérant ce qui suit :

1. MM. Yves F... et Philippe B..., anciens salariés de la société 2H Energy, ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir le refus implicite ainsi que la décision explicite du 30 janvier 2017, du ministre chargé du travail d'inscrire, pour la période de 1973 à 1996, l'établissement dit " l'Epinay " à Fécamp de cette société sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante. Ils relèvent appel du jugement du 13 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande.

Sur le bienfondé du jugement :

2. En application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, les salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales peuvent bénéficier d'une allocation de cessation anticipée d'activité. La liste des établissements donnant droit à une telle allocation est fixée par arrêté interministériel. Peuvent seuls être légalement inscrits sur cette liste, les établissements dans lesquels les opérations de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de calorifugeage ou de flocage à l'amiante ont, compte tenu notamment de leur fréquence et de la proportion de salariés qui y ont été affectés, représenté, sur la période en cause, une part significative de l'activité de ces établissements.

3. Les opérations de calorifugeage à l'amiante doivent, pour l'application des dispositions de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, s'entendre des interventions qui ont pour but d'utiliser l'amiante à des fins d'isolation thermique. Ne sauraient par suite ouvrir droit à l'allocation prévue par ce texte les utilisations de l'amiante à des fins autres que l'isolation thermique, par exemple à des fins d'isolation phonique ou aux fins de colmater des fuites de gaz, alors même que, par l'effet de ses propriétés intrinsèques, l'amiante ainsi utilisée assurerait également une isolation thermique.

4. En l'espèce, MM. F... et B... soutiennent que les activités de calorifugeage et de flocage représentaient une part significative de l'activité de l'établissement " de l'Epinay " entre 1973 et 1996. Ce site fabriquait des groupes électrogènes et des tableaux électriques. Il a également produit des tunnels de séchage de peinture pour véhicules automobiles. Les salariés affectés sur ce site pouvaient en outre être chargés de l'installation des groupes électrogènes chez les clients.

5. Pour rejeter la demande des anciens salariés, le ministre chargé du travail comme le tribunal administratif de Rouen se sont fondés, notamment, sur le rapport de l'Apave Nord-Ouest, établi le 12 février 2015. Il ressort néanmoins des termes mêmes du jugement comme de la défense de la ministre du travail et des pièces du dossier que, l'autorité administrative comme les premiers juges n'ont pas pris en considération ce seul rapport, contrairement à ce qu'affirment les appelants, mais ont également tenu compte du rapport d'enquête rédigé par l'inspection du travail le 31 juillet 2007, ainsi que de sa confirmation, établie le 29 juin 2016. Le jugement a également pris en compte les très nombreuses attestations d'anciens salariés produites en première instance. Les appelants critiquent également la valeur probante de ce rapport de l'Apave au motif qu'il a été commandé par la direction de la société 2H Energy. Toutefois, ils ne viennent nullement remettre en cause ni la compétence de ses rédacteurs, ni les considérations de ce rapport sur la fréquence et le nombre de salariés concernés par des opérations les amenant à manipuler des matériaux amiantés. Ce rapport a en effet pour objet d'exposer de manière détaillée, les tâches d'intervention sur des matériaux amiantés au sein de l'entreprise, le nombre de salariés concernés et le temps dévolu à chacune de ces tâches. MM. F... et B... ne sont donc pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen s'est fondé notamment, mais pas exclusivement, sur le rapport de l'Apave pour apprécier leur demande.

6. Si les attestations produites font état du fait que la toiture du bâtiment de l'Epinay était amiantée, que la chaudière à air pulsé comprenait un joint amianté et que l'ensemble des travailleurs du site pouvaient être exposés à des poussières d'amiante provenant de ces éléments, il est constant que ces éléments ne constituent pas des activités de calorifugeage, ni de flocage, ni a fortiori de fabrication de matériaux contenant de l'amiante. Il ressort également clairement des pièces du dossier que le site ne fabriquait pas des matériaux amiantés. Par suite, l'inscription sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante ne pouvaient résulter de ces éléments.

7. Il n'est pas contesté, en revanche que certains salariés de l'établissement étaient amenés à manipuler de l'amiante. Le rapport de l'Apave précité recense quatre types d'intervention sur matériaux amiantés, comme le confirment les attestations produites et le rapport de l'inspection du travail du 31 juillet 2007.

8. En premier lieu, au sein de l'atelier de montage des groupes électrogènes militaires, dit " GMI ", des plaques d'amiante étaient découpées pour effectuer l'isolation thermique des pots d'échappement de ces groupes. Toutefois, cette opération, selon le rapport de l'Apave ne concernait que deux monteurs et représentait 10,4 % du temps de montage des moteurs. Par ailleurs, des plaques d'amiante étaient collées sur les moteurs mais cette opération était effectuée par dix monteurs, pour une durée selon le rapport de l'Apave, de quinze minutes soit 6,2 % du temps de montage des moteurs. Au sein du même atelier, des câbles amiantés étaient découpés pour être enroulés autour des pots d'échappement des groupes. Cette opération concernait douze salariés et représentait un travail de vingt-cinq minutes soit 2,6 % du montage d'équipement des moteurs d'un groupe. Globalement, au sein de cet atelier, la manipulation d'amiante ne mobilisait que les douze employés de l'atelier, effectif confirmé par une des attestations, sur un effectif total de deux cent trente-sept personnes en 1976 et ne représentait que 0,6 % du temps de montage de ces groupes, soit cinq à six heures par an et par monteur entre 1973 et 1981. Les nombreuses attestations d'anciens salariés, plus d'une vingtaine, qui témoignent de découpes à la scie de plaques d'amiante, sans protection, au sein de cet atelier, ne précisent pas la fréquence de ces opérations, ni ne remettent en cause les conclusions du rapport de l'Apave, en particulier le temps limité consacré à ces opérations.

9. En deuxième lieu, il est établi par les pièces du dossier que le montage des groupes électrogènes civils nécessitait la pose de cordons et de bandes en amiante pour isoler l'échappement de ces groupes. Mais une seule personne était affectée à cette tâche qui ne représentait que 3,3 % du temps de fabrication d'un groupe civil. Ainsi, s'il est constant que ces activités caractérisaient du calorifugeage, il n'est pas établi que du fait de leur fréquence et de la proportion des salariés qui y étaient affectés, elles constituaient une part significative de l'activité de l'établissement de l'Epinay.

10. En troisième lieu, le rapport de l'Apave fait également état de la manipulation de l'amiante pour la fabrication de tunnels de séchage pour l'industrie automobile afin d'assurer l'étanchéités des portes de ces tunnels. Toutefois cela ne concernait que cinq à six monteurs et ne représentait que 0,6 % du temps de fabrication d'un tunnel. Au surplus cette activité a été limitée tant en nombre de tunnels fabriqués que dans le temps, puisqu'elle n'a duré que quatre ans. En outre, elle n'avait a priori pas pour objectif d'assurer l'isolation thermique des tunnels. Il n'est donc pas établi que cette opération permette l'inscription du site de l'Epinay sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante.

11. Enfin, en quatrième lieu, des câbleurs de l'établissement de l'Epinay pouvaient être amenés à installer des groupes électrogènes ou des tableaux électriques chez des clients extérieurs. Ils pouvaient à cette occasion percer ou gratter des supports floqués à l'amiante. Toutefois, ces opérations ne constituent pas à proprement parler, un flocage à l'amiante, technique qui consiste à appliquer des fibres d'amiante sur un support. En outre, le rapport de l'Apave note qu'il s'agissait d'interventions ponctuelles. Les attestations produites ne remettent pas en cause ce constat et ne permettent pas de démontrer que ces interventions extérieures constituaient une part significative des activités du personnel de l'établissement.

12. Les attestations des anciens salariés comme le rapport d'enquête de l'inspection du travail établi le 31 juillet 2007, s'ils confirment les constats du rapport de l'Apave sur les opérations exposant les employés du site à la manipulation de l'amiante, ne comportent aucune indication sur la fréquence de ces manipulations et sur la proportion des salariés qui y étaient affectés. Le rapport de l'inspection du travail du 29 juin 2016 se borne, pour sa part à constater que " compte tenu des faibles renseignements à notre disposition, il semble que le rapport établi [en 2007] est toujours d'actualité ", ce rapport de 2007 n'ayant pas donné lieu à inscription sur la liste prévue par la loi du 23 décembre 1998. Ces éléments ne remettent donc pas en cause le rapport précité de l'Apave qui conclut que " les activités susceptibles d'avoir exposé à l'amiante les exécutants représentaient une part significativement faible de l'activité passée " de l'établissement.

13. Il résulte de tout ce qui précède que MM. F... et B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen, par le jugement contesté, a rejeté leur demande d'annulation pour excès de pouvoir du refus du ministre chargé du travail d'inscrire l'établissement dit de " l'Epinay " à Fécamp de la société 2H Energy sur la liste des établissements ouvrant droit à la cessation anticipée des travailleurs de l'amiante pour la période de 1973 à 1996. Leurs conclusions à fin d'annulation doivent donc être rejetées, ainsi que, par suite, leurs conclusions à fins d'injonction.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que MM. F... et B... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de MM. F... et B... la somme que la société 2H Energy réclame au titre des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de MM. F... et B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société 2H Energy présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Me G... H... pour M. A... F... et pour M. E... B..., à la société civile professionnelle Célice, Soltner, Texidor et C... pour la société 2H Energy et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

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N°19DA00346

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N°"Numéro"


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Date de la décision : 10/12/2020
Date de l'import : 15/09/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19DA00346
Numéro NOR : CETATEXT000042895033 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-12-10;19da00346 ?
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