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08/10/2019 | FRANCE | N°18DA00742

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 08 octobre 2019, 18DA00742


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 28 février 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a décidé de prolonger son placement à l'isolement pour une durée de trois mois.

Par un jugement n° 1702349 du 29 décembre 2017, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 avril 2018, M. E..., représenté par Me C... A..., demande à la cour :

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) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 28 février 2017 par laquelle le garde des scea...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 28 février 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a décidé de prolonger son placement à l'isolement pour une durée de trois mois.

Par un jugement n° 1702349 du 29 décembre 2017, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 avril 2018, M. E..., représenté par Me C... A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 28 février 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a prolongé son placement à l'isolement pour une durée de trois mois ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- le décret n° 2008-689 du 9 juillet 2008 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Julien Sorin, président-rapporteur,

- et les conclusions de Mme Anne-Marie Leguin, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Incarcéré depuis le 27 janvier 2004, M. E... a fait l'objet de transferts d'établissements pénitentiaires et de décisions de placements à l'isolement réguliers depuis 2006. Il interjette appel du jugement du 29 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 28 février 2017 du garde des sceaux, ministre de la justice, prolongeant son placement à l'isolement pour une durée de trois mois.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé des conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne (...) ".

3. La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

4. Il ressort des pièces du dossier de première instance que les parties, contrairement à ce que soutient le requérant, ont été mises en mesure de savoir, le 12 décembre 2017, soit quarante-huit heures avant l'audience, par l'intermédiaire du système informatique de suivi de l'instruction, que le rapporteur public conclurait au " rejet au fond " de la requête introduite par M. E... devant le tribunal administratif de Lille. Eu égard aux caractéristiques du litige, cette mention indiquait de manière suffisamment précise le sens de la solution que le rapporteur public envisageait de proposer à la formation de jugement. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué aurait été rendu au terme d'une procédure irrégulière doit être écarté.

5. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué est revêtue de la signature du président, du rapporteur et du greffier d'audience. La circonstance que l'expédition notifiée au requérant ne comporterait pas ces signatures est sans incidence sur la régularité du jugement. Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement en raison du défaut de signature de la minute du jugement doit, par suite, être écarté.

6. Les moyens tirés de ce que les premiers juges auraient entaché leur jugement d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation relèvent du bien-fondé du jugement et non de sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement et la légalité de la décision du 28 février 2017 :

7. Aux termes de l'article 726-1 du code de procédure pénale : " Toute personne détenue, sauf si elle est mineure, peut être placée par l'autorité administrative, pour une durée maximale de trois mois, à l'isolement par mesure de protection ou de sécurité soit à sa demande, soit d'office. (...) Le placement à l'isolement n'affecte pas l'exercice des droits visés à l'article 22 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, sous réserve des aménagements qu'impose la sécurité (...) ". L'article R. 57-7-68 du même code dispose : " Lorsque la personne détenue est à l'isolement depuis un an à compter de la décision initiale, le ministre de la justice peut prolonger l'isolement pour une durée maximale de trois mois renouvelable. / La décision est prise sur rapport motivé du directeur interrégional saisi par le chef d'établissement selon les modalités de l'article R. 57-7-64. / L'isolement ne peut être prolongé au-delà de deux ans sauf, à titre exceptionnel, si le placement à l'isolement constitue l'unique moyen d'assurer la sécurité des personnes ou de l'établissement. / Dans ce cas, la décision de prolongation doit être spécialement motivée ".

8. Par ailleurs, aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre (...) et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : 1° (...) les directeurs d'administration centrale (...) ". Selon l'article 3 de ce décret : " Les personnes mentionnées aux 1° (...) de l'article 1er peuvent donner délégation pour signer tous actes relatifs aux affaires pour lesquelles elles ont elles-mêmes reçu délégation (...) ". Enfin l'article 1er du décret du 9 juillet 2008 prévoit que : " L'administration centrale du ministère de la justice comprend, outre le bureau du cabinet et le porte-parole du ministère : (...) / - la direction de l'administration pénitentiaire (...) ".

9. Il ressort des pièces du dossier qu'en vertu d'un arrêté du 20 janvier 2017 du directeur de l'administration pénitentiaire, le signataire de la décision en litige, M. D... F..., directeur des services pénitentiaires, adjoint à la cheffe du bureau de gestion de la détention à la sous-direction des missions, bénéficie d'une délégation à l'effet de signer, au nom du garde des sceaux, ministre de la justice, tous actes, arrêtés et décisions dans la limite de ses attributions, à l'exclusion des décrets, conformément aux dispositions, citées au point précédent, des articles 1 et 3 du décret du 27 juillet 2005. Cet arrêté a été régulièrement publié au Journal officiel de la République française du 26 janvier 2017, ce qui lui a donné une publicité suffisante, aucune disposition légale ou réglementaire n'imposant qu'il fasse, en outre, l'objet d'une publicité au sein des établissements pénitentiaires. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision en litige ne peut qu'être écarté.

10. Il ressort des pièces du dossier que la décision contestée comporte un énoncé complet et circonstancié des considérations de droit et de fait sur lesquelles s'est fondé le ministre pour considérer que le maintien à l'isolement de l'intéressé constituait l'unique moyen d'assurer la sécurité des personnes ou de l'établissement. Elle mentionne notamment, outre les nombreux incidents ayant émaillé son incarcération dans les établissements pénitentiaires précédents, l'absence d'évolution du comportement de M. E... depuis son arrivée au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil, et plusieurs incidents ayant eu lieu du mois d'octobre 2016 au mois de janvier 2017. Contrairement à ce que soutient M. E..., la décision est donc fondée, non seulement sur son comportement général depuis le début de sa détention, mais également sur des incidents récents à la date de la décision en litige. Elle satisfait ainsi, et alors même que la date de l'un des incidents aurait été erronée, à l'obligation de motivation spéciale prévue à l'article R. 57-7-68 du code de procédure pénale cité au point 7.

11. Il ressort des pièces du dossier que M. E..., incarcéré en 2004, et dont la fin de peine était, à la date de la décision en litige, prévue en 2040, a notamment été condamné pour évasion avec arme et pour plusieurs faits de violences et outrages sur personnes dépositaires de l'autorité publique. Il a été transféré, le 16 août 2016, au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil, à la suite d'un incident grave le 21 juillet 2016 intervenu au centre pénitentiaire de Saint Maur, durant lequel M. E... a projeté des parpaings en direction des membres de l'équipe régionale d'intervention et de sécurité intervenus après qu'il se soit retranché derrière un muret du préau de la cour. Son parcours pénitentiaire est émaillé d'incidents dont le nombre et la gravité ont entraîné son placement à l'isolement durant une durée cumulée, à la date de la décision, de six ans, cinq mois et cinq jours. Il ressort également des pièces du dossier que son comportement n'a pas évolué entre son arrivée au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil et la date de la décision en litige, et que des téléphones portables ont notamment été trouvés dans sa cellule et sur lui en décembre 2016, qu'il a refusé de réintégrer sa cellule en janvier 2017, et qu'il lui est reproché d'avoir incité d'autres détenus du quartier d'isolement à dégrader leur cellule, ce qu'il conteste. Le juge d'application des peines a émis, le 7 février 2017, un avis favorable à la prolongation de l'isolement de l'intéressé " au vu des risques que fait toujours courir M. E... au personnel et à l'établissement ". En outre, il ressort de la note du 6 février 2017 rédigée par un agent du service pénitentiaire d'insertion et de probation que M. E... a démontré " son incapacité actuelle à évoluer en détention de manière sereine ", et que des risques d'atteinte à la sécurité des agents existaient en raison d'une décision du juge aux affaires familiales relative à ses enfants devant intervenir en février 2017, à laquelle " M. E... semble s'opposer formellement ". Dans ces conditions, eu égard à la gravité et à la fréquence des incidents provoqués par M. E..., aux menaces répétées proférées contre les personnels pénitentiaires, et aux circonstances familiales qui faisaient craindre d'autres débordements, le ministre de la justice a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, en dépit de la durée particulièrement longue de son placement à l'isolement, décider de la prolongation, pour une durée de trois mois, de celui-ci.

12. M. E..., qui est maintenu à l'isolement sans interruption depuis le 18 avril 2013, soutient que son état de santé est incompatible avec son placement à l'isolement. S'il produit un certificat médical établi le 25 octobre 2015, indiquant qu'il a perdu douze kilogrammes depuis le mois de juin, et un certificat établi par un médecin psychiatre indiquant, le 4 juillet 2016, que son état psychologique est incompatible avec l'isolement, et que sa santé mentale se dégrade de jour en jour, il produit toutefois également un certificat émanant du même médecin psychiatre, et daté de trois mois auparavant, qui précise qu'il souffre d'une " dépression réactive suite à un problème familial ". En outre, le ministre de la justice produit l'avis émis par le médecin de l'unité sanitaire du centre pénitentiaire, saisi dans le cadre de la procédure au terme de laquelle la décision en litige a été prise, qui se contente d'attirer l'attention " sur le fait que l'isolement prolongé peut provoquer de graves troubles de la santé somatique et psychique ". Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de la décision en litige, l'état de santé de M. E... s'opposait à la prolongation de son isolement pour une durée de trois mois. Il ne ressort en outre pas des pièces du dossier que M. E..., qui bénéficie, conformément aux dispositions de l'article R. 57-7-62 du code de procédure pénale, du droit au maintien de ses liens familiaux par téléphone, courrier et visites, bénéficie d'une heure quotidienne de promenade, dispose du droit d'écouter la radio et de regarder la télévision, d'un droit d'accès à la bibliothèque de l'établissement et peut voir au moins deux fois par semaine le médecin de l'unité sanitaire, utiliser les équipements sportifs du centre et suivre des cours par correspondance, serait soumis à un isolement sensoriel et social total. Par suite, et en dépit de la durée cumulée de sa mise à l'isolement, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision en litige l'exposait, à la date à laquelle elle a été prise, à un traitement inhumain et dégradant. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut, dès lors qu'être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que demande M. E... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... et à la garde des sceaux, ministre de la justice.

2

N°18DA00742


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

37-05-02-01 Juridictions administratives et judiciaires. Exécution des jugements. Exécution des peines. Service public pénitentiaire.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme Courault
Rapporteur ?: M. Julien Sorin
Rapporteur public ?: Mme Leguin
Avocat(s) : DAVID

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Date de la décision : 08/10/2019
Date de l'import : 15/10/2019

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18DA00742
Numéro NOR : CETATEXT000039203796 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-10-08;18da00742 ?
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