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19/07/2019 | FRANCE | N°18DA01855

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 19 juillet 2019, 18DA01855


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 30 avril 2018 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays dont elle a la nationalité comme pays de renvoi.

Par un jugement n° 1804603 du 6 juillet 2018, le magistrat désigné par le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il oblige Mme E...à quitter le territoire fran

çais dans un délai de trente jours et fixe le pays de destination, a enjoint au préfet du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 30 avril 2018 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays dont elle a la nationalité comme pays de renvoi.

Par un jugement n° 1804603 du 6 juillet 2018, le magistrat désigné par le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il oblige Mme E...à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixe le pays de destination, a enjoint au préfet du Nord de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, le temps de procéder au réexamen de sa situation, a mis à la charge de l'Etat une somme de 500 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 septembre 2018, le préfet du Nord demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a partiellement fait droit à la demande de Mme E... ;

2°) de rejeter dans cette mesure la demande de première instance.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- et les observations de Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., ressortissante vénézuélienne née le 7 mars 1996, a présenté le 20 octobre 2016 une demande d'asile. Constatant le rejet de cette demande par la Cour nationale du droit d'asile, le préfet du Nord a, par un arrêté du 30 avril 2018, refusé de lui délivrer une carte de résident, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le préfet du Nord fait appel du jugement du 6 juillet 2018 en tant que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé ces dernières décisions.

Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

2. Le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale a été maintenu en faveur de Mme E... par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 15 juillet 2019. Par suite, ses conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire sont devenues sans objet.

Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille :

3. Par un arrêté du 19 mars 2018, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du département du même jour, le préfet du Nord a donné délégation à M. D... C..., directeur de l'immigration et de l'intégration, à l'effet de signer les décisions relevant de ses attributions. L'article 4 de cet arrêté prévoit qu'en cas d'absence ou d'empêchement de M. C..., cette délégation est exercée par Mme A...B..., directrice adjointe de l'immigration et de l'intégration et signataire de l'arrêté en litige, en ce qui concerne, notamment, les décisions énumérées à l'article 1 du même arrêté. Cet article 1 mentionne, en particulier, les décisions portant obligation de quitter le territoire français, celles relatives au délai de départ volontaire et celles fixant le pays de destination. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas allégué, que M. C... n'aurait pas été absent ou empêché. Mme B... était ainsi compétente pour signer les décisions contestées, en dépit des éventuelles incohérences qui entacheraient l'article 11 de l'arrêté de délégation, auquel renvoie également l'article 4 de cet arrêté. Par suite, le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a retenu le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'acte contesté pour annuler ces décisions.

4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par Mme E...à l'encontre des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination.

Sur l'obligation de quitter le territoire :

En ce qui concerne la légalité externe :

5. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, lors du dépôt et de l'instruction de sa demande d'asile, Mme E... aurait été privée de la possibilité d'exposer de manière exhaustive, auprès des autorités compétentes, l'ensemble des motifs justifiant selon elle que la qualité de réfugiée lui soit reconnue ou que le bénéfice de la protection subsidiaire lui soit accordé, et à produire tous éléments en ce sens. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier qu'elle n'aurait pu présenter avant le 30 avril 2018, date de l'arrêté contesté, les éléments pertinents susceptibles d'avoir une influence sur le sens de la décision du préfet du Nord, notamment en ce qui concerne la situation de sa fille et la présence en France de sa soeur et de son beau-frère, ainsi que leur qualité de réfugié. Le moyen tiré de la méconnaissance de son droit d'être entendue préalablement à une décision défavorable, en vertu du principe général du droit de l'Union européenne applicable aux décisions de retour, doit, par suite, être écarté.

6. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que le préfet du Nord aurait procédé à un examen incomplet de la situation particulière de Mme E... avant de l'obliger à quitter le territoire français, notamment en ce qui concerne l'intérêt supérieur de sa fille et la présence de membre de sa famille sur le territoire français. La circonstance que l'arrêté du 30 avril 2018 n'explicite pas l'analyse faite par l'administration de ces circonstances ne suffit pas à démontrer le défaut d'examen allégué.

7. L'arrêté du 30 avril 2018 mentionne les décisions de rejet de la demande d'asile de l'intéressée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile et cite les dispositions du 6° du paragraphe I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il est, ainsi, suffisamment motivé au regard des exigences de ce paragraphe I.

En ce qui concerne la légalité interne :

8. Mme E... ne peut utilement invoquer, par voie d'exception, l'illégalité éventuelle de la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français, dès lors que cette obligation n'est pas prise pour l'application de la décision de refus, et qu'édictée sur le fondement des dispositions du 6° et non du 3° du I de l'article L. 511-1, elle ne trouve pas davantage sa base légale dans cette décision.

9. Mme E...déclare être entrée en France le 19 septembre 2016 avec sa fille alors âgée de deux ans. Elle ne séjournait donc en France que depuis dix-neuf mois à la date de la décision en litige. Si Mme E...se prévaut de la présence sur le territoire français de sa soeur et de son beau-frère qui bénéficient du statut de réfugiés, elle n'établit pas avoir noué des liens sociaux et professionnels d'une particulière intensité sur le territoire français. De plus, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme E...serait dépourvue d'attaches dans son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de vingt ans. Dans ces conditions, il n'est pas établi qu'en refusant l'octroi d'un titre de séjour à MmeE..., le préfet du Nord aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale tel que prévu par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Mme E...ne justifie pas de l'impossibilité d'emmener sa fille hors de France. Si elle soutient que l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français romprait définitivement les liens constitués entre sa fille, et sa soeur, bénéficiaire du statut de réfugié, une telle circonstance n'est pas de nature à caractériser une atteinte à l'intérêt supérieur de cette enfant, qui est en principe de pouvoir vivre auprès de sa mère. Par suite, le préfet du Nord n'a pas méconnu les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

11. Aux termes de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors applicable : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, jusqu'à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'office, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la cour statuent ".

12. Le préfet du Nord produit un extrait de la base de données " TelemOfpra ", relative à l'état des procédures des demandes d'asile, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire en application des dispositions de l'article R. 723-19 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont il ressort que la décision de la Cour nationale du droit d'asile du 30 mars 2018 rejetant la demande de Mme E...lui a été notifiée le 13 avril 2018. L'intéressée, qui se borne à faire valoir qu'il appartient au préfet de rapporter la preuve, non seulement de la date de notification mais aussi de l'existence même de cette décision, ne fait état d'aucun élément contraire. Elle n'est dès lors pas fondée à soutenir que le 30 avril 2018, date à laquelle l'arrêté contesté a été pris, elle bénéficiait du droit de se maintenir en France, en application de l'article L. 743-1 du même code.

13. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, l'obligation de quitter le territoire français serait entachée d'une erreur manifeste commise par le préfet du Nord dans l'appréciation des conséquences de cette mesure sur la situation personnelle de Mme E....

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E...n'est pas fondée à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'illégalité.

Sur la décision fixant le pays de destination :

En ce qui concerne la légalité externe :

15. Le moyen tiré par Mme E... de ce que la décision fixant le pays de renvoi serait entachée d'un vice de procédure n'est assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.

16. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté contesté que le préfet du Nord a examiné les risques auxquels Mme E... serait exposée dans son pays, au regard notamment de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

17. Cet arrêté, qui vise le I de l'article L. 511-1, ainsi que l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionne la nationalité de Mme E..., comporte ainsi l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet du Nord s'est fondé pour décider que l'intéressée pourrait notamment être reconduite à destination du pays dont elle a la nationalité. La décision fixant le pays de renvoi est, ainsi, suffisamment motivée au regard des exigences de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.

En ce qui concerne la légalité interne :

18. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 12 en ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français, le moyen tiré de la méconnaissance par la décision fixant le pays de renvoi de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

19. Mme E...soutient qu'elle encourrait des risques en cas de retour dans son pays d'origine, en raison notamment, de sa participation en France à des manifestations dénonçant la répression politique de son pays. Elle se prévaut en première instance d'un rapport d'Amnesty International et produit des attestations de sa soeur et de son beau-frère mentionnant les risques auxquels elle serait exposée en cas de retour dans son pays d'origine. Toutefois, ni ces allégations, ni ce document ne permettent d'établir l'existence d'un risque réel de menace grave, directe et actuelle la concernant. Au demeurant, sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doivent être écartés.

20. Les moyens tirés de la méconnaissance, par la décision fixant le pays de renvoi, des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du paragraphe I de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne sont pas assortis de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

21. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 6 juillet 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 30 avril 2018 en tant qu'il a obligé Mme E...à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination.

Sur les frais liés à l'instance :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les frais exposés par Mme E...et non compris dans les dépens soient mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle présentée par Mme E....

Article 2 : Le jugement n° 1804603 du 6 juillet 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il annule l'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et la décision fixant le pays de renvoi contenues dans l'arrêté du 30 avril 2018 pris par le préfet du Nord à l'encontre de MmeE....

Article 3 : La demande de première instance de Mme E...est rejetée dans cette mesure.

Article 4 : Les conclusions présentées devant la cour par Mme E...au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme F....

Copie sera adressée au préfet du Nord.

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N°18DA01855


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18DA01855
Date de la décision : 19/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Courault
Rapporteur ?: Mme Dominique Bureau
Rapporteur public ?: Mme Leguin
Avocat(s) : GOMMEAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 06/08/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-07-19;18da01855 ?
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