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09/04/2019 | FRANCE | N°17DA00871

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre - formation à 3 (bis), 09 avril 2019, 17DA00871


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 5 janvier 2016 par lequel le préfet du Nord a ordonné la perquisition de son domicile et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 11 000 euros en indemnisation de ses préjudices.

Par un jugement n° 1601807 du 9 mars 2017, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 5 janvier 2016, a rejeté ses conclusions à fin d'indemnisation, et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des dispo

sitions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 5 janvier 2016 par lequel le préfet du Nord a ordonné la perquisition de son domicile et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 11 000 euros en indemnisation de ses préjudices.

Par un jugement n° 1601807 du 9 mars 2017, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 5 janvier 2016, a rejeté ses conclusions à fin d'indemnisation, et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 mai 2017, M.A..., représenté par Me C...B..., demande à la cour :

1°) d'infirmer ce jugement en tant qu'il n'a retenu qu'une irrégularité formelle, et de l'annuler en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 5 janvier 2016 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 11 000 euros en indemnisation de ses préjudices ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;

- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Anne-Marie Leguin, rapporteur public,

- et les observations de Me C...B..., représentant M.A....

Considérant ce qui suit :

1. M. D... A...interjette appel du jugement du 9 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 5 janvier 2016 par lequel le préfet du Nord a ordonné la perquisition de son domicile et a rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation de ses préjudices.

Sur la recevabilité des conclusions à fin de réformation des motifs du jugement et d'annulation de l'ordre de perquisition :

2. Les appels formés contre les jugements des tribunaux administratifs ne peuvent tendre qu'à l'annulation ou à la réformation du dispositif du jugement attaqué. Par suite, ne sont pas recevables, quels que soient les motifs retenus par les premiers juges, les conclusions dirigées contre un jugement qui, par son dispositif, fait droit aux conclusions à fin d'annulation de la décision en litige qu'avait présentées l'appelant en première instance, l'intérêt à faire appel d'un jugement s'appréciant par rapport à son dispositif et non à ses motifs.

3. Il résulte de ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à demander la réformation du jugement en tant qu'il a retenu une irrégularité formelle de l'arrêté en litige, ni à demander, de nouveau, l'annulation de l'ordre de perquisition annulé par l'article 1er du jugement du 9 mars 2017 du tribunal administratif de Lille.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat du fait de l'illégalité de l'arrêté du 5 janvier 2016 :

4. En application de la loi du 3 avril 1955, l'état d'urgence a été déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015, à compter du même jour à zéro heure, sur le territoire métropolitain, prorogé pour une durée de trois mois, à compter du 26 novembre 2015, par l'article 1er de la loi du 20 novembre 2015. Aux termes de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015 : " I. - Le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peut, par une disposition expresse, conférer aux autorités administratives mentionnées à l'article 8 le pouvoir d'ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un lieu affecté à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. La décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de la perquisition (...) ". Il résulte de l'article 1er du décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015, modifié par le décret n° 2015-1478 du même jour, que les ordres de perquisition sont applicables à l'ensemble du territoire métropolitain à compter du 15 novembre à minuit.

5. L'arrêté du 5 janvier 2016 ordonnant la perquisition du domicile de M. A...a été annulé par le tribunal administratif de Lille au motif qu'il était entaché d'une motivation insuffisante. Cette illégalité étant constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'État, il appartient en principe au juge administratif, saisi d'une demande en ce sens, d'indemniser les préjudices qui en résultent. Le caractère direct du lien de causalité entre l'illégalité commise et le préjudice allégué ne peut notamment être retenu dans le cas où la décision illégale est seulement entachée d'une irrégularité formelle ou procédurale et que le juge considère, au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties devant lui, que la décision ordonnant la perquisition aurait pu être légalement prise par l'autorité administrative, au vu des éléments dont elle disposait à la date à laquelle la perquisition a été ordonnée, et dans les circonstances particulières qui ont conduit à la déclaration de l'état d'urgence.

6. L'arrêté en litige, qui n'est pas fondé sur la seule appartenance religieuse de M. A..., et n'a ni pour objet, ni pour effet d'empêcher le fonctionnement de l'association dont les locaux ont été perquisitionnés, ni d'empêcher M. A...de pratiquer sa religion ou d'exprimer ses opinions personnelles, ne porte pas atteinte à la liberté de conscience, d'expression et de réunion de l'intéressé. M. A...n'est donc pas fondé à soutenir, au soutien de ses conclusions à fin d'indemnisation, que l'ordre de perquisition a été pris en méconnaissance des stipulations des articles 9, 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 10, 11 et 12 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

7. Il ressort des pièces du dossier que, pour prendre l'ordre de perquisition contesté, le préfet du Nord s'est fondé sur les éléments mentionnés dans une note blanche des services de renseignement, versée au débat contradictoire. Aucune disposition législative, ni aucun principe ne s'oppose à ce que les faits relatés par les " notes blanches " produites par le ministre de l'intérieur, qui ont été versées aux débats et soumises aux échanges contradictoires, soient susceptibles d'être pris en considération par le juge administratif. Si M. A...soutient que ce document, non daté, a pu être rédigé après l'exécution de l'ordre de perquisition, il n'établit pas que les éléments contenus dans cette note seraient postérieurs à l'arrêté en litige et n'auraient, de ce fait, pas pu en constituer le fondement. Il ressort notamment de cette " note blanche " que M. A... est porteur d'une barbe blanche non taillée, que sa situation professionnelle lui permet d'accéder à un public fragile en formation, que de nombreux et réguliers rassemblements ont lieu dans les locaux perquisitionnés, où le voisinage a entendu comme des prières en arabe, que la plupart des individus fréquentant ces locaux sont porteurs d'une barbe fournie et non taillée, et étaient vêtus de tenue traditionnelle. La " note blanche " produite par le préfet du Nord précise également que, parmi les personnes identifiées et fréquentant les lieux objet de la perquisition, figuraient des individus suivis par les services de renseignement et connus pour leur engagement salafiste. En outre, si M. A...établit que l'association qu'il héberge a principalement pour objet la collecte et la distribution de denrées alimentaires, et l'organisation de cours d'arabe littéraire, il ressort de la note blanche que certains cours ont été dispensés par un ancien imam faisant l'objet d'une fiche " S ". Dans ces conditions, à la date à laquelle la mesure de perquisition a été prise, compte tenu des informations susmentionnées dont disposait alors l'autorité administrative, et dans les circonstances particulières qui ont conduit à la déclaration de l'état d'urgence au lendemain des attentats de la fin de l'année 2015 et du début de l'année 2016, le préfet du Nord a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, estimer que le comportement de M. A...constituait une menace pour la sécurité et l'ordre publics justifiant une perquisition.

8. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 7 que, dès lors que la même décision aurait pu être légalement prise dans le cadre d'une procédure régulière, le caractère direct du lien de causalité entre l'illégalité commise et le préjudice allégué doit être écarté. Les conclusions indemnitaires présentées par M. A...sur le fondement de l'illégalité fautive de l'ordre de perquisition doivent donc être rejetées.

En ce qui concerne les conditions d'exécution de la perquisition :

9. Toute faute commise dans l'exécution des perquisitions ordonnées sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat. Il appartient au juge administratif, saisi d'une demande en ce sens, d'apprécier si une faute a été commise dans l'exécution d'une perquisition, au vu de l'ensemble des éléments débattus devant lui, en tenant compte du comportement des personnes présentes au moment de la perquisition et des difficultés de l'action administrative dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence. Les résultats de la perquisition sont par eux-mêmes dépourvus d'incidence sur la caractérisation d'une faute. La perquisition d'un domicile de nuit doit être justifiée par l'urgence ou l'impossibilité de l'effectuer de jour. Sauf s'il existe des raisons sérieuses de penser que le ou les occupants du lieu sont susceptibles de réagir à la perquisition par un comportement dangereux ou de détruire ou dissimuler des éléments matériels, l'ouverture volontaire du lieu faisant l'objet de la perquisition doit être recherchée et il ne peut être fait usage de la force pour pénétrer dans le lieu qu'à défaut d'autre possibilité. Lors de la perquisition, il importe de veiller au respect de la dignité des personnes et de prêter une attention toute particulière à la situation des enfants mineurs qui seraient présents. L'usage de la force ou de la contrainte doit être strictement limité à ce qui est nécessaire au déroulement de l'opération et à la protection des personnes.

10. Il ressort des pièces du dossier que la perquisition du domicile de M. A...a commencé à 19h00, et ne s'est donc pas déroulée de nuit. Si M. A...soutient que la porte de l'une des chambres a été " forcée ", que le chambranle a été " défoncé ", et qu'il avait l'impression que son domicile avait été vandalisé, il ne produit aucun document photographique ou facture de réparation susceptible d'établir la réalité de ses allégations ou l'étendue de ses préjudices matériels. Dès lors, aucune faute des services de police n'est établie dans l'exécution de la perquisition en cause.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions à fin d'indemnisation. Ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A...et au ministre de l'intérieur.

Copie sera adressée au préfet du Nord.

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N°17DA00871


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre - formation à 3 (bis)
Numéro d'arrêt : 17DA00871
Date de la décision : 09/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

49-06-01 Police. Aggravation exceptionnelle des pouvoirs de police. État d'urgence.


Composition du Tribunal
Président : Mme Courault
Rapporteur ?: M. Julien Sorin
Rapporteur public ?: Mme Leguin
Avocat(s) : HERDEWYN

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-04-09;17da00871 ?
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