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12/01/2023 | FRANCE | N°21BX04602

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 12 janvier 2023, 21BX04602


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 3 juin 2021 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2103036 du 30 septembre 2021, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel

:

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 décembre 2021 et 4 juillet 2022, Mme C...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 3 juin 2021 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2103036 du 30 septembre 2021, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 décembre 2021 et 4 juillet 2022, Mme C..., représentée par Me Jouteau, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 30 septembre 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 3 juin 2021 de la préfète de la Gironde ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui délivrer le titre de séjour sollicité, ou à défaut, de réexaminer sa demande ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, outre les entiers dépens, le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- l'arrêté est insuffisamment motivé en l'absence de considérations de droit et de fait le justifiant, ce qui révèle un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle, notamment au regard de la gravité des évènements dénoncés dans sa demande d'asile, pour laquelle elle attend une convocation de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) ;

- il est entaché d'une erreur de droit dès lors que la préfète n'a pas fait usage de son pouvoir discrétionnaire et s'est estimée liée par la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que son père a été assassiné en 2007 alors qu'elle était âgée de 11 ans, qu'elle a été contrainte de fuir Tirana avec sa mère, que leur domicile a été incendié en 2010, qu'elle a été agressée en 2018, qu'elle a tenté de se suicider, et qu'elle est toujours menacée par les personnes envers lesquelles son père avait des dettes ;

- il doit être suspendu dès lors qu'elle présente des éléments sérieux de nature à justifier, comme exposé précédemment, son maintien sur le territoire durant l'examen de son recours par la Cour nationale du droit d'asile.

Par un mémoire enregistré le 15 septembre 2022, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête en renvoyant à son mémoire de première instance.

Par une décision n° 2021/023372 du 18 novembre 2021, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a accordé l'aide juridictionnelle totale à Mme C....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- et les observations de Me Jouteau, représentant Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., née le 21 juin 1996, de nationalité albanaise, a déclaré être entrée en France le 12 septembre 2018. Elle a formulé une demande d'asile le 25 septembre 2018, qui a été instruite en procédure accélérée du fait de l'inscription de l'Albanie sur la liste des pays regardés comme sûrs. Si son audition a été réalisée le 14 mai 2019, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides n'a rejeté sa demande que le 4 février 2021. Elle a saisi la CNDA, mais par un arrêté du 3 juin 2021, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme C... relève appel du jugement du 30 septembre 2021 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, la décision attaquée comporte les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde et la préfète n'avait pas à répondre de façon détaillée à chacun des faits invoqués portés à sa connaissance. Elle doit donc être regardée comme suffisamment motivée.

3. En deuxième lieu, au regard du rejet de la demande d'asile et de protection subsidiaire par l'OFPRA, la préfète ne pouvait que refuser la délivrance du titre de séjour prévu par l'article L.424-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, elle n'était pas liée par cette décision pour décider une obligation de quitter le territoire en fixant l'Albanie comme pays de renvoi.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

5. Mme C... reprend le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige méconnaît ces stipulations en raison des risques qui pèsent sur sa vie en cas de retour en Albanie du fait de dettes contractées par son père auprès de réseaux mafieux. Elle produit à l'appui de ce moyen un ensemble de pièces, abondé en appel, qui, contrairement à ce qu'a retenu la première juge, corroborent suffisamment le récit qu'elle a fait des conditions de son départ, notamment l'assassinat de son père en avril 2007 après qu'il eut démissionné d'un poste de gardien de prison qu'il avait obtenu pour aider de l'intérieur un groupe mafieux, cohérent avec les interrogations relatées par un article de journal sur le suicide présenté par la police, l'errance ensuite avec sa mère pour échapper à des menaces de ce même groupe pendant trois ans et l'incendie de la maison qu'elles habitaient en décembre 2010, attesté devant notaire par le propriétaire de ladite maison, et l'agression qu'elle a ensuite subie en février 2018, avec des violences sexuelles et la menace de l'envoyer avec sa mère dans un réseau de prostitution en Italie si elles ne payaient pas les dettes de jeu de son père, qui l'ont conduite à une tentative de suicide par absorption de médicaments, cohérente avec le dépôt de plainte fait par sa mère au commissariat de police de Tirana et le certificat d'hospitalisation produits. Selon ses dires, sa mère a ensuite rapidement organisé son départ, Mme C... indique avoir gagné l'Angleterre, et il ressort des pièces du dossier qu'elle a été réadmise en France au titre du règlement Dublin. Les deux nouvelles pièces produites en appel, une attestation du parquet de Tirana du 14 décembre 2021 et un procès-verbal de plainte du même jour déposée par sa tante maternelle, indiquent que celle-ci est sans nouvelles de la mère de la requérante, qui ne répond plus au téléphone, n'a pas payé son loyer ni honoré des rendez-vous médicaux, et n'a plus été vue par ses voisins. Dans ces conditions, les risques allégués sont suffisamment établis pour faire obstacle à ce que l'Albanie soit désignée comme pays de renvoi, et l'annulation de cette seule décision implique qu'il appartiendra à la préfète de la Gironde de réexaminer la situation de Mme C....

6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au bénéfice de Me Jouteau au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

DECIDE :

Article 1er : La décision fixant l'Albanie comme pays de renvoi est annulée.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif est annulé en tant qu'il est contraire à l'article 1er.

Article 3 : L'Etat versera à Me Jouteau une somme de 1 200 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme C... est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme A... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Une copie sera adressée pour information à la préfète de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 13 décembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 janvier 2023.

La présidente-assesseure,

Anne Meyer

La présidente, rapporteure,

Catherine B...

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX04602


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Catherine GIRAULT
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : JOUTEAU

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Date de la décision : 12/01/2023
Date de l'import : 18/01/2023

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 21BX04602
Numéro NOR : CETATEXT000046999403 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-01-12;21bx04602 ?
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