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21/06/2022 | FRANCE | N°19BX04652

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 21 juin 2022, 19BX04652


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... AH..., M. AB... C..., M. AE... AK..., M. AG... S..., M. O... AJ..., M. Q... T..., M. P... K..., M. N... L..., M. Y... R..., M. AC... E..., M. AG... J..., M. D... U..., M. AC... S..., M. AI... G..., M. Z... X..., M. F... AA..., M. V... M..., M. I... W... et M. D... H... ont demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler deux notes de service n° 049/2103 du 19 juin 2013 et n° 048-13/bv du 19 juillet 2013 par lesquelles la présidente de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de région d

es îles de Guadeloupe puis le directeur général de l'aéroport de Po...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... AH..., M. AB... C..., M. AE... AK..., M. AG... S..., M. O... AJ..., M. Q... T..., M. P... K..., M. N... L..., M. Y... R..., M. AC... E..., M. AG... J..., M. D... U..., M. AC... S..., M. AI... G..., M. Z... X..., M. F... AA..., M. V... M..., M. I... W... et M. D... H... ont demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler deux notes de service n° 049/2103 du 19 juin 2013 et n° 048-13/bv du 19 juillet 2013 par lesquelles la présidente de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de région des îles de Guadeloupe puis le directeur général de l'aéroport de Pointe-à-Pitre ont assuré la mise en place, à compter du 1er août 2013, d'une nouvelle planification des horaires de travail des agents du service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs (SSLIA) afin de permettre une ouverture de l'aéroport vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Par un jugement n° 1300629 du 7 juillet 2016, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour avant cassation :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 8 septembre et 20 octobre 2016, M. B... AH..., M. D... U..., M. AC... E..., M. I... A... dur, M. N... L..., M. V... M..., M. AI... G..., M. D... H..., M. F... AA..., M. AB... C..., M. Y... R..., M. O... AJ..., M. AE... AK..., M. P... K... et M. AG... S..., représentés par Me Haas, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 7 juillet 2016 ;

2°) d'annuler les deux notes de service des 19 juin et 19 juillet 2013 ;

3°) de mettre à la charge de la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

Sur la régularité du jugement :

- à défaut de convocation régulière à l'audience, le jugement est entaché d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

- c'est à tort que le tribunal a indiqué, par des motifs contradictoires, que les agents du SSLIA de l'aéroport de Pointe-à-Pitre sont employés " dans les conditions du droit privé " ; les décisions attaquées ont pour effet d'imposer unilatéralement de nouveaux horaires de travail impliquant l'accomplissement d'un travail de nuit, ce qui constitue une modification du contrat de travail qui ne peut, en droit privé, être imposée au salarié sans son accord ; la circonstance que des agents puissent se voir imposer, en vue de garantir " un niveau de sécurité en rapport avec la continuité et les besoins du trafic aérien ", donc pour des motifs d'intérêt général, le passage d'un horaire de jour à un horaire de nuit, démontre qu'ils ne sont pas employés dans des conditions du droit privé, ce qui vicie l'ensemble du raisonnement suivi par le tribunal administratif pour écarter les moyens de légalité externe tirés de l'incompétence de l'auteur des actes attaqués et de l'absence de consultation de la commission paritaire régionale ;

- dès lors qu'ils sont soumis, dans l'intérêt général, à des clauses exorbitantes du droit commun, ils doivent bénéficier des protections offertes aux agents de droit public, à savoir être électeurs et éligibles aux commissions paritaires régionales de la chambre de commerce et d'industrie ;

- le tribunal a indiqué à tort qu'il était " constant " que les services industriels et commerciaux des chambres de commerce et d'industrie, tels que le service aéroportuaire de la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe, emploient du personnel dans les conditions du droit privé, alors que ce point était, au contraire, expressément contesté ;

- le tribunal ne pouvait se fonder sur les dispositions de l'article L. 1211-1 du code du travail pour estimer que la chambre de commerce et d'industrie est en droit d'imposer à ses agents le passage d'un horaire de jour à un horaire de nuit dès lors que, d'une part, il découle de l'article L. 1221-1 de ce code que le contrat de travail, qui est soumis aux règles du droit commun, ne peut être modifié unilatéralement et que, d'autre part, il n'existe, dans le statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie, aucune règle ayant pour objet de réglementer les modalités de passage au travail de nuit ;

- les dispositions de l'article 3 à l'annexe 26 du statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie selon lesquelles, à défaut d'accord en commission paritaire régionale, l'organisation du travail est fixée à la semaine et les horaires journaliers sont fixés par le président après avis de la commission paritaire locale et ses délégués syndicaux, ne sauraient être interprétées comme ouvrant à l'employeur public le droit d'imposer à des agents qui accomplissaient jusqu'alors leur service le jour, le passage à un horaire de nuit ;

- en tout état de cause, ce statut serait illégal, dès lors qu'un travail de nuit ne peut être imposé à un agent public ne travaillant habituellement le jour qu'à titre exceptionnel, pour un motif d'intérêt général, tel que celui d'assurer la continuité du service public ;

- les décisions litigieuses portent une atteinte excessive à leur droit à mener une vie privée et familiale normale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que la décision du 19 juillet 2013 prévoit un emploi du temps des agents différent d'une semaine sur l'autre avec parfois deux, trois ou quatre jours de travail dans les trois tranches de service ;

- les décisions contestées méconnaissent l'alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 janvier 2017, la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de région des îles de Guadeloupe, représentée par Me Bach, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de chaque appelant la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable dès lors que les deux notes de service contestées constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ;

- sur le fond, aucun des moyens invoqués par les requérants n'est fondé ;

- subsidiairement, si la cour constatait l'illégalité des notes de service en litige, il lui est demandé de faire application de la décision du Conseil d'Etat du 11 mars 2004, Association AC !, en reportant les effets dans le temps de l'annulation afin de permettre le déploiement d'une nouvelle procédure en toute sécurité.

Par un mémoire en intervention enregistré le 6 janvier 2017, la société aéroportuaire Guadeloupe Pôle Caraïbes, représentée par Me Bach, entend s'associer aux conclusions de la CCI de région des îles de Guadeloupe et demande qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de chacun des appelants sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un arrêt n° 16BX03131 du 8 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement n° 1300629 du tribunal administratif de la Martinique du 7 juillet 2016 ainsi que les deux notes de service des 19 juin et 19 juillet 2013 prises respectivement par la présidente de la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe et le directeur général de l'aéroport de Pointe-à-Pitre et ce, s'agissant de la note du 19 juin 2013, dans un délai de quatre mois à compter de la date de lecture de l'arrêt.

Par une décision n° 426766 du 20 décembre 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt n°16BX03131 du 8 octobre 2018 et renvoyé l'affaire à la cour.

Procédure devant la cour après cassation :

Par une requête et mémoire, enregistrés le 24 décembre 2019 et le 7 octobre 2020, M. B... AH..., M. D... U..., M. AC... E..., M. I... A... dur, M. N... L..., M. V... M..., M. AI... G..., M. D... H..., M. F... AA..., M. AB... C..., M. Y... R..., M. O... AJ..., M. AE... AK..., M. P... K... et M. AG... S..., représentés par Me Haas, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 7 juillet 2016 ;

2°) d'annuler les deux notes de service des 19 juin et 19 juillet 2013 ;

3°) de mettre à la charge de la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- c'est à tort que, pour écarter le moyen tiré de ce que les décisions attaquées ont été prises par une autorité incompétente, le tribunal a considéré en se fondant sur l'article L. 2321-1 du code du travail, que le service aéroportuaire employait du personnel " dans des conditions de droit privé " alors que compte tenu de leur mission d'intérêt général, ce n'est pas le cas ;

- les dispositions relatives au comité d'entreprise ne leurs sont pas applicables dès lors qu'ils constituent une catégorie spécifique d'agents accomplissant des missions de service public, la commission paritaire nationale n'étant ainsi pas compétente pour décider à l'article 6.2.1 de sa décision du 19 décembre 2012 de les exclure des effectifs pris en compte pour les élections des commissions paritaires régionales ;

- les décisions contestées ont été prises à l'issue d'une procédure irrégulière en l'absence de consultation de la commission paritaire régionale ;

- en l'absence d'établissement du procès-verbal des réunions du comité d'entreprise par son secrétaire conformément aux articles L. 2325-20, L. 2325-21 et R. 2325-3 du code du travail, les décisions contestées sont entachées d'un vice de procédure ;

- compte tenu de l'absence de tenue effective d'une réunion du comité d'entreprise, les agents n'ont pu faire entendre leur position et leurs propositions par l'intermédiaire de leurs représentants, ce qui les a privés d'une garantie ;

- à supposer qu'ils soient employés dans des conditions de droit privé, la chambre du commerce et d'industrie ne pouvait imposer aux agents de nouveaux horaires sans leur accord dès lors que ces changements constituent une modification de leur contrat de travail, ainsi les décisions contestées ont été prises en méconnaissance de l'article L. 1211-1 du code du travail ;

- cette nouvelle organisation de travail rompt l'égalité de traitement entre les agents travaillant au sein du SSLIA dès lors que les modalités d'organisation des cinq équipes permanentes et de l'équipe de renfort divergent et conduisent à désavantager les quatre agents de l'équipe de renfort.

Par un mémoire et des pièces enregistrés les 4 et 5 mai 2020, la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de région des îles de Guadeloupe et la société aéroportuaire Guadeloupe pôle Caraïbes, représentées par Me Bach, concluent au rejet de la requête, à l'admission de l'intervention de la société aéroportuaire Guadeloupe pôle Caraïbes, et à ce que soit mise à la charge de chaque appelant la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soulèvent les mêmes moyens que dans leurs précédents mémoires.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de commerce ;

- le code de l'aviation civile ;

- le code du travail ;

- la loi n° 52-1311 du 10 décembre 1952 ;

- le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 ;

- le décret n° 2001-623 du 12 juillet 2001 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme AD... AF...,

- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public,

- et les observations de Me Rodrigo, représentant la CCI de région des îles de Guadeloupe et la société aéroportuaire pôle Caraïbes.

Considérant ce qui suit :

1. Par une note de service du 19 juin 2013, la présidente de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de région des îles de Guadeloupe a informé les agents du service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs (SSLIA) de la mise en place, à compter du 1er août 2013, d'une nouvelle organisation du travail comportant cinq équipes permanentes composées chacune de quatre agents, d'un chef manœuvre et d'un chef de manœuvre suppléant, et une équipe de renfort composée de quatre agents, conduisant notamment à ce qu'ils exercent leurs missions entre minuit et six heures du matin afin de permettre l'ouverture vingt-quatre heures sur vingt-quatre des installations aéroportuaires. Par une note de service du 19 juillet 2013, le directeur général de l'aéroport de Pointe-à-Pitre leur a transmis leurs programmes de travail pour le mois d'août 2013. M. AH... et quatorze de ses collègues de travail, pompiers affectés au SSLIA, ont demandé l'annulation de ces deux notes de service. Par un jugement du 7 juillet 2016, dont M. AH... et quatorze autres de ses collègues ont relevé appel, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leur demande. Par un arrêt du 8 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé ce jugement ainsi que les notes de service des 19 juin et 19 juillet 2013, l'annulation de la première d'entre elles n'ayant pris effet qu'à compter d'un délai de quatre mois suivant la date de lecture de l'arrêt. Par une décision du 20 décembre 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour.

Sur le cadre juridique du litige :

2. D'une part, aux termes de l'article 1er de la loi du 10 décembre 1952 relative à l'établissement obligatoire d'un statut du personnel administratif des chambres d'agriculture, des chambres de commerce et des chambres de métiers : " La situation du personnel administratif des chambres d'agriculture, des chambres de commerce et des chambres de métiers de France est déterminée par un statut établi par des commissions paritaires nommées, pour chacune de ces institutions, par le ministre de tutelle. ". Aux termes de l'article 1 du statut du personnel de l'assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie, des chambres régionales de commerce et d'industrie et des groupements inter-consulaires, approuvé en dernier lieu par l'arrêté interministériel du 25 juillet 1997 : " Le présent statut s'applique de plein droit à l'ensemble des agents ayant la qualité d'agent de droit public et qui occupent un emploi permanent à temps complet dans les services [des] (...) Chambres de Commerce et d'Industrie (...) ".

3. D'autre part, les chambres de commerce et d'industrie, qui constituent, aux termes des dispositions de l'article L. 710-1 du code de commerce, des établissements publics administratifs placés sous la tutelle de l'Etat, emploient des agents pouvant être affectés aussi bien dans les services publics industriels et commerciaux que dans les services publics administratifs dont elles assurent la gestion. Les agents affectés en qualité de pompiers au sein du SSLIA, dont les missions principales sont en vertu de l'article D. 213-1 du code de l'aviation civile de sauver des vies humaines en cas d'accidents ou d'incidents susceptibles d'affecter les aéronefs et d'assurer toutes tâches visant à améliorer la sécurité des personnes et des biens, qui participent ainsi directement au fonctionnement du service public administratif confié à la chambre de commerce de région des îles de Guadeloupe, ont la qualité d'agents de droit public.

Sur l'intervention de la société aéroportuaire Guadeloupe Pôle Caraïbes :

4. La société aéroportuaire Guadeloupe Pôle Caraïbes, à laquelle la gestion du personnel du SSLIA a été transférée par la CCI à compter du 11 août 2014, justifie d'un intérêt suffisant pour s'associer aux conclusions de la CCI de région des îles de Guadeloupe tendant au maintien du jugement du tribunal administratif de la Martinique. Dès lors, son intervention initialement présentée par mémoire distinct doit être admise.

Sur la régularité du jugement :

5. Les requérants soutiennent qu'ils n'ont pas été régulièrement convoqués à l'audience publique du tribunal administratif de la Martinique. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de la convocation qui leur a été adressée le 6 juin 2016 par l'application " Télérecours " pour assister à l'audience du 24 juin 2016, ils ont sollicité par courrier en date du 7 juin 2016 un report de cette audience. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la convocation à l'audience devant le tribunal administratif ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité des notes de service des 19 juin 2013 et 19 juillet 2013 :

En ce qui concerne la légalité externe :

6. En premier lieu, aux termes de l'article R. 711-68 du code de commerce dans sa rédaction alors applicable : " Les établissements publics du réseau des chambres de commerce et d'industrie adoptent un règlement intérieur relatif à leur organisation et à leur fonctionnement (...) ". Selon l'article 18 du règlement intérieur des horaires de la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe adopté par la commission paritaire locale le 29 septembre 2011 alors en vigueur : " Conformément à l'accord local, les supérieurs hiérarchiques en concertation avec les agents, et dans le respect de la continuité de service, mettront en place une planification permettant aux agents d'effectuer la durée hebdomadaire moyenne de travail prévue ".

7. Il ressort des pièces du dossier qu'après une période de concertation ayant couru de mai 2012 à juin 2013, la présidente de la CCI de région des îles de Guadeloupe et le directeur de l'aéroport de Point-à-Pitre, autorités hiérarchiques ayant en charge la gestion du personnel du SSLIA, ont procédé par les deux décisions en litige à la planification des horaires de travail des agents affectés au sein de ce service. Par suite, le moyen tiré de ce que les décisions contestées ont été prises par des autorités incompétentes doit être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes du III de l'article 40 de la loi du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l'artisanat et aux services : " Les agents de droit public sous statut employés par les chambres de commerce et d'industrie territoriales, à l'exception de ceux employés au sein de leurs services publics industriels et commerciaux, sont transférés à la chambre de commerce et d'industrie de région, qui en devient l'employeur, au 1er janvier 2013. Des commissions paritaires régionales auprès des chambres de commerce et d'industrie de région sont instituées dans les conditions prévues par la commission paritaire nationale, au plus tard dans un délai de six mois après le transfert des agents de droit public à la chambre de commerce et d'industrie de région au 1er janvier 2013 (...) ". La décision du 19 décembre 2012 de la commission paritaire nationale modifiant le statut du personnel administratif des CCI prévoit, par son article 6.2.1, que l'ensemble des personnels des services industriels et commerciaux gérés par les CCI sont exclus du calcul des effectifs des agents électeurs et éligibles aux commissions paritaires régionales. En vertu du protocole d'accord électoral national constituant l'annexe 3 de la décision de la commission paritaire nationale du 19 décembre 2012, cette règle s'applique aussi bien au personnel de droit privé qu'aux agents publics statutaires affectés au sein des services industriels et commerciaux qui relèvent, les uns comme les autres, des dispositions applicables aux institutions représentatives du personnel de droit privé. L'accord relatif à l'application du statut aux agents publics et aux agents de droit privé des services industriels et commerciaux bénéficiant du statut par extension, qui constitue l'annexe 7 de la même décision de la commission paritaire nationale, précise que les agents de droit public des services industriels et commerciaux qui remplissent les conditions fixées par le code du travail sont électeurs et éligibles aux instances représentatives du personnel mises en place au sein des services industriels et commerciaux, lesquelles sont substituées aux instances représentatives du personnel prévues par le statut du personnel administratif des compagnies consulaires.

9. Il résulte des dispositions de l'article 1er de la loi du 10 décembre 1952 citées au point 2 et de celles citées au point précédent de l'article 40 de la loi du 23 juillet 2010 que la commission paritaire nationale a été habilitée par le législateur à adopter le statut des CCI et à prévoir les conditions d'institution des commissions paritaires régionales. Ainsi, le moyen tiré de ce que la commission paritaire nationale n'était pas compétente pour exclure les agents publics affectés aux services industriels et commerciaux du corps électoral de la commission régionale paritaire doit être écarté.

10. En troisième lieu, le point 1.2. de l'accord relatif à l'application du statut aux agents publics et aux agents de droit privé des services industriels et commerciaux bénéficiant du statut par extension, qui constitue l'annexe 7 de la décision du 19 décembre 2012 de la commission paritaire nationale modifiant le statut du personnel administratif des CCI, dispose que : " Les instances représentatives du personnel mises en place au sein des services industriels et commerciaux sont substituées aux instances représentatives du personnel prévues par le statut du personnel administratif des compagnies consulaires (...) / Lorsque le Statut prévoit, dans le cadre général de la gestion des ressources humaines, une information de la Commission Paritaire et éventuellement, la transmission de documents, le Comité d'entreprise ou la Délégation unique du personnel, s'ils existent, ou à défaut les délégués du personnel, seront informés et destinataires desdits documents aux lieu et place de la Commission Paritaire (...) ".

11. Il résulte de ces dispositions prises sur le fondement de l'article 1er de la loi du 10 décembre 1952 précité que la commission paritaire nationale a modifié le statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie afin de confier aux instances représentatives du personnel mises en place au sein des services industriels et commerciaux les attributions relatives à la gestion du personnel administratif affecté au sein de ces services. Par suite, le moyen tiré de ce que les décisions en litige sont entachées d'irrégularité faute d'avoir été précédées de la consultation de la commission paritaire régionale, alors qu'elles ont été soumises à la consultation préalable du comité d'entreprise, ne peut qu'être écarté.

12. Il en va de même, en quatrième lieu, pour les raisons précédemment exposées, du moyen tiré de ce qu'en vertu des dispositions de l'article 3 de l'annexe à l'article 26 du statut du personnel des CCI, l'avis de la commission paritaire locale et des délégués syndicaux était, à défaut d'accord en commission paritaire régionale, requis préalablement à la mise en place d'une nouvelle organisation du temps de travail.

13. En cinquième lieu, les requérants soutiennent que, faute pour le comité d'entreprise d'avoir été réuni, les représentants du personnel des SSLIA n'ont pas été en mesure d'émettre un avis sur le projet de planification des horaires de travail des agents du service.

14. Il résulte des dispositions citées au point 10 que le comité d'entreprise devait être consulté sur le projet de planification des horaires de travail des agents.

15. Il ressort des pièces du dossier que, préalablement à l'édiction des deux notes de service litigieuses des 19 juin et 19 juillet 2013, la CCI de région des îles de Guadeloupe a entrepris de réunir, le 30 mai 2013, le comité d'entreprise et les délégués du personnel constituant la délégation unique du personnel. Toutefois, malgré les convocations adressées à ses membres à quatre reprises, le comité d'entreprise a refusé de siéger, ce qui a d'ailleurs donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal de carence signé, en raison de l'absence de tous les membres et notamment de la secrétaire du comité d'entreprise, par la présidente de la CCI. Dans ces conditions, alors que des propositions concrètes et précises relatives au projet de planification des horaires de travail ont été soumises aux membres du comité d'entreprise lesquels ne soutiennent pas avoir disposé d'une information insuffisante, le refus de ce comité de se réunir pour rendre un avis sur ce projet et l'impossibilité en découlant de faire consigner ses délibérations dans un procès-verbal établi par le secrétaire du comité, n'a pas eu pour effet de vicier la procédure.

En ce qui concerne la légalité interne :

16. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1211-1 du code du travail : " Les dispositions du présent livre sont applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu'à leurs salariés. Elles sont également applicables au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé, sous réserve des dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel. "

17. Ainsi qu'il a été dit au points 2 et 3, les agents des SSLIA sont des agents de droit public dont la situation est régie par le statut des agents des chambres de commerce et d'industrie et, le cas échéant, les dispositions spécifiques des différents codes auxquelles ce statut renvoie. Par suite, le moyen tiré de ce que les décisions contestées, à défaut d'être intervenues avec l'accord des agents concernés, méconnaissent les règles relatives aux modification des contrats de travail applicables au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé visé par l'article L. 1211-1 du code du travail ne peut qu'être écarté.

18. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

19. Les requérants soutiennent que, du fait des variations considérables des plannings qu'ils reçoivent chaque mois, les agents du SSLIA sont dans l'impossibilité d'organiser à l'avance leurs journées et semaines de travail pour le mois suivant, ce qui aurait un impact important sur leur vie personnelle. Toutefois, la nouvelle organisation du temps de travail prévoit l'établissement de plannings mensuels par équipe qui sont remis aux intéressés avec un préavis d'au moins sept jours avant le début de leur exécution selon un rythme hebdomadaire précis, les cinq équipes permanentes travaillant selon un rythme hebdomadaire de trois jours suivis de deux jours de repos, l'équipe de renfort travaillant selon un rythme hebdomadaire de deux jours suivis de deux jours de repos. Ainsi, en dépit des contraintes, justifiées par les nécessités du service, qu'il fait peser sur les agents, ce planning horaire, qui respecte toutes les règles de limitation du temps de travail prévues par le décret n° 2000-815 du 25 août 2000, ne porte pas, dans ces conditions, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des agents, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

20. En troisième lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité administrative règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

21. Il ressort des pièces du dossier que la nouvelle planification du temps de travail prévoit la mise en place de cinq équipes permanentes selon un rythme de travail de trois jours travaillés suivis de deux jours de repos avec des horaires réguliers de 6 h à 14 h, de 14 h à 22 h et de 22 h à 6 h du matin. L'équipe de renfort est planifiée pour venir renforcer l'effectif journalier des équipes permanentes de 13 h à 23 h et assurer un niveau de protection 9 exigé pour la sécurité du trafic aérien. Si les requérants soutiennent qu'une telle organisation porte atteinte au principe d'égalité, la différence de traitement des agents du SSLIA qui en résulte n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'intérêt du service public aéroportuaire. Le moyen tiré du principe d'égalité doit donc être écarté.

22. En dernier lieu, le moyen tiré de ce que les décisions contestées méconnaissent le huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 n'est pas assorti de précisions suffisantes permettant à la cour d'en apprécier le bien-fondé.

23. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que M. AH... et ses quatorze collègues ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leur demande d'annulation des notes de service des 19 juin et 19 juillet 2013.

Sur les frais liés à l'instance :

24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la CCI de région des îles de Guadeloupe, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que les requérants demandent au titre des frais liés à l'instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions au bénéfice de la CCI de la région des îles de Guadeloupe et de mettre à la charge des requérants, partie perdante, une somme globale de 1 500 euros à lui verser ensemble au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application de ces dispositions au bénéfice de la société aéroportuaire Guadeloupe Pôle Caraïbes.

DECIDE :

Article 1er : L'intervention de la société aéroportuaire Guadeloupe Pôle Caraïbes est admise.

Article 2 : La requête de M. AH... et de ses quatorze collègues est rejetée.

Article 3 : M. AH... et ses quatorze collègues verseront ensemble à la chambre du commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe la somme globale de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... H... désigné en tant que représentant unique, à la chambre de commerce et d'industrie de région des îles de Guadeloupe et à la société aéroportuaire Guadeloupe Pôle Caraïbes. Copie en sera délivrée au préfet de la Martinique et au ministre des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Karine Butéri, présidente,

M. Olivier Cotte, premier conseiller,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 juin 2022.

La rapporteure,

Caroline AF...

La présidente,

Karine ButériLa greffière,

Catherine Jussy La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 19BX04652


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX04652
Date de la décision : 21/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUTERI
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : HAAS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-06-21;19bx04652 ?
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