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20/01/2022 | FRANCE | N°21BX03193

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 20 janvier 2022, 21BX03193


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 16 mars 2021 par lequel le préfet la Haute-Garonne l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2101928 du 21 mai 2021, le magistrat désigné par la présidente tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 juillet 2021, Mme B..., représenté

e par Me Tercero, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toul...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 16 mars 2021 par lequel le préfet la Haute-Garonne l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2101928 du 21 mai 2021, le magistrat désigné par la présidente tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 juillet 2021, Mme B..., représentée par Me Tercero, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 21 mai 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 16 mars 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de procéder au réexamen de sa situation, dans un délai de deux mois ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif n'a pas répondu au moyen tiré de ce qu'une partie des dispositions de l'article 12 de la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005 est d'application directe ;

- l'arrêté litigieux n'est pas suffisamment motivé au regard de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- son droit à être entendue a été méconnu, dès lors qu'elle n'a pas été informée dans une langue qu'elle comprend de son obligation d'informer l'autorité préfectorale sur sa situation personnelle ;

- l'arrêté est entaché d'un défaut d'examen de sa situation personnelle, notamment au regard des risques d'exposition à des traitements inhumains et dégradants ;

- l'arrêté méconnait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que son intégrité physique est menacée par le réseau de traite dont elle a été victime ;

- le préfet n'a pas procédé à l'examen de la situation de son fils, qui risque également d'être exposé à des traitements inhumains et dégradants, et a méconnu l'article 3-1 de la convention internationale de New-York relative aux droits de l'enfant ;

- la mesure d'éloignement méconnait l'article R. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle aurait dû bénéficier des dispositions des articles 12 et 13 de la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005 ;

- les mesures prises à son encontre n'ont pas respecté les obligation d'information et de soutien dont doivent bénéficier les victimes de la traite d'êtres humains.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 novembre 2021, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens de Mme B... ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 1er juillet 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention internationale de New-York relative aux droits de l'enfant ;

- la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005 ;

- la directive 2011/36/UE du Parlement et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Charlotte Isoard a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante nigériane née le 25 juin 1988, entrée sur le territoire français le 25 juin 2019, a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides du 23 octobre 2019, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 26 janvier 2021. Par un arrêté du 16 mars 2021, le préfet de la Haute-Garonne l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme B... relève appel du jugement du 21 mai 2021 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 mars 2021.

Sur la régularité du jugement :

2. A l'appui de sa demande Mme B... soutenait notamment que l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne méconnaissait l'article 12 de la convention du Conseil de l'Europe du 16 mai 2005 relative à la lutte contre la traite des êtres humains. Le premier juge a examiné ce moyen au point 15 du jugement attaqué pour considérer que ces dispositions n'étaient pas invocables pour contester cet arrêté. Il s'est ainsi prononcé sur ce moyen, notamment sur l'argument selon lequel une partie de ces stipulations était directement invocable, contrairement à ce que soutient Mme B.... Par suite, le jugement du tribunal administratif de Toulouse n'est pas entaché d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. En premier lieu, l'arrêté en litige, qui vise les textes applicables, mentionne qu'il a été procédé à l'examen approfondi de la situation personnelle de Mme B..., indique que sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et la Cour nationale du droit d'asile, fait état de la situation familiale de l'intéressée et précise qu'elle n'établit pas qu'elle serait exposée à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. Ainsi, cet arrêté énonce les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, notamment au regard de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

4. En deuxième lieu, si aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ", il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux États membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Par suite, le moyen tiré de leur méconnaissance par une autorité d'un État membre est inopérant. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause. Par ailleurs, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu avoir une influence sur le contenu de la décision. En l'espèce, si Mme B... soutient qu'elle n'a pas été informée de la possibilité d'exposer des éléments sur sa situation personnelle, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait eu de nouveaux éléments à faire valoir qui auraient conduit le préfet à prendre une décision différente. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de son droit à être entendue doit être écarté.

5. En troisième lieu, il ne ressort pas des termes de l'arrêté en litige ou des pièces du dossier que le préfet n'aurait pas procédé à l'examen sérieux de sa situation personnelle, contrairement à ce que Mme B... soutient. Par suite, ce moyen doit être écarté.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

7. Si Mme B... soutient qu'elle a été victime d'un réseau de traite d'êtres humains lors de son arrivée en Italie, et qu'elle serait exposée à des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine, elle ne verse au dossier qu'un article de presse d'ordre général relatif à la prostitution de ressortissantes nigérianes en Italie, qui ne permet pas d'établir que l'intéressée encourrait un risque réel et actuel d'être soumise à des traitements inhumains ou dégradants au Nigéria, alors au demeurant que la demande d'asile de Mme B... a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et par la Cour nationale du droit d'asile. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que son fils né le 29 septembre 2019 serait exposé à de tels traitements. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale de New-York relative aux droits de l'enfant doivent être écartés.

8. En cinquième lieu, ainsi que l'a relevé à bon droit le premier juge, Mme B... ne peut utilement se prévaloir des recommandations du groupe des experts sur la lutte contre la traite humaine du Conseil de l'Europe et celles du comité des parties de la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains qui sont dépourvues de valeur juridique et de force contraignante.

9. En sixième lieu, les dispositions de l'article R. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile chargent les services de police d'une mission d'information, à titre conservatoire et préalablement à toute qualification pénale, des victimes potentielles de faits de traite d'êtres humains. Ainsi, lorsque ces services ont des motifs raisonnables de considérer que l'étranger pourrait être reconnu victime de tels faits, il leur appartient d'informer ce dernier de ses droits en application de ces dispositions. En l'absence d'une telle information, l'étranger est fondé à se prévaloir du délai de réflexion pendant lequel aucune mesure de reconduite à la frontière ne peut être prise, ni exécutée, notamment dans l'hypothèse où il a effectivement porté plainte par la suite.

10. En l'espèce, si la décision de la Cour nationale du droit d'asile du 21 janvier 2021 portant rejet de la demande d'asile de l'intéressée comporte des éléments indiquant que la situation de victime d'un réseau de traite des êtres humains de Mme B... en Italie a été établie par la cour, il ressort de cette décision que ses déclarations concernant sa vie en Italie et les circonstances de son départ sont imprécises, qu'elle a déclaré elle-même ne plus être en relation avec sa proxénète et que les craintes en cas de retour dans son pays ne peuvent être regardées comme établies. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté en litige a été adopté en conséquence de la décision portant rejet de la demande d'asile sans interpellation préalable de la requérante par les services de police ou la gendarmerie et sans que l'intéressée précise aux autorités de police les circonstances liées aux menaces d'un réseau de traite des êtres humains dont elle se serait extraite. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatif à l'obligation d'information pesant sur ces services, doit donc être écarté comme non fondé.

11. Enfin, les stipulations d'un traité ou d'un accord régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution peuvent utilement être invoquées à l'appui d'une demande tendant à ce que soit annulé un acte administratif ou écartée l'application d'une loi ou d'un acte administratif incompatibles avec la norme juridique qu'elles contiennent, dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent directement se prévaloir. Sous réserve des cas où est en cause un traité pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, une stipulation doit être reconnue d'effet direct par le juge administratif lorsque, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elle n'a pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requiert l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers.

12. D'une part, les stipulations des articles 10, 12 et 13 de la convention du Conseil de l'Europe du 16 mai 2005 relative à la lutte contre la traite des êtres humains renvoient à l'adoption de mesures complémentaires pour la définition des mesures d'assistance aux victimes de la traite des êtres humains. Dans ces conditions, les stipulations invoquées sont dépourvues d'effet direct, de sorte que leur méconnaissance ne peut être utilement invoquée pour contester la légalité des décisions contestées. D'autre part, le moyen tiré de l'insuffisance globale des mesures adoptées en droit interne pour la transposition des stipulations des articles 10, 12 et 13 de ladite convention n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

13. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Sa requête doit ainsi être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 16 décembre 2021, à laquelle siégeaient :

Mme Fabienne Zuccarello, présidente,

Mme Christelle Brouard-Lucas, première conseillère,

Mme Charlotte Isoard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 janvier 2022.

La rapporteure,

Charlotte IsoardLa présidente,

Fabienne Zuccarello

La greffière,

Sophie Lecarpentier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX03193 6


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme ZUCCARELLO
Rapporteur ?: Mme Charlotte ISOARD
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : ATY AVOCATS ASSOCIES AMARI DE BEAUFORT-TERCERO-YEPONDE

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Date de la décision : 20/01/2022
Date de l'import : 25/01/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 21BX03193
Numéro NOR : CETATEXT000045061320 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-01-20;21bx03193 ?
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