Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Picoty Autoroutes a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner la société Socafim à lui verser les sommes de 765 815,89 euros en remboursement des redevances affectées à la réalisation de la seconde phase de travaux de la convention de concession du 17 mars 1994 et de 128 234,70 euros correspondant aux factures de réfection des accotements et trottoirs, et d'enjoindre à la société Socafim de réaliser les travaux prévus par les stipulations de l'article 2.5.2.1 de la convention de concession du 17 mars 1994.
Par un jugement n° 1701334 du 28 novembre 2019, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, qui n'a pas été communiqué, enregistrés les 9 janvier 2020 et 10 mai 2021, la SAS Picoty Autoroutes, représentée par Me Soltner, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 28 novembre 2019 ;
2°) de condamner la société Socafim à lui verser, à titre de dommages et intérêts, les sommes de 765 815,89 euros en remboursement des redevances affectées à la réalisation de la seconde phase de travaux de la convention de concession du 17 mars 1994 qu'elle a perçues, et de 128 234,70 euros en remboursement des factures de réfection des accotements et trottoirs ;
3°) d'enjoindre à la société Socafim, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de réaliser les travaux prévus par les stipulations de l'article 2.5.2.1 de la convention de concession du 17 mars 1994 dans un délai d'un an sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de la société Socafim la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SAS Picoty Autoroutes soutient que :
- le juge administratif est compétent pour trancher ce litige ;
- l'action n'est pas prescrite ;
- la responsabilité de la société Socafim est engagée à titre principal, sur le terrain quasi-délictuel, pour méconnaissance de l'article 2.5.2.1 de la convention de concession, qui a un caractère réglementaire, ce qui autorise les tiers à s'en prévaloir ;
- l'article 1.3 du contrat de concession stipule que les obligations qui s'imposent au concessionnaire engagent sa responsabilité envers les tiers ;
- sur le terrain contractuel, la société Socafim est responsable de l'exécution du contrat de concession à l'égard de la SAS Picoty Autoroutes, dès lors que l'article 6-2 du contrat de sous concession y fait expressément référence et le tribunal administratif donne une interprétation restrictive de cette convention qui ne correspond pas à l'intention des parties, en méconnaissance de l'article 1156 du code civil ;
- l'avenant n° 1 à la convention de sous-concession du 28 juillet 1994 signé par la société Socafim et la SAS Picoty Autoroutes, qui stipule que le nouveau sous-concessionnaire déclare avoir pris connaissance de la convention, la rend opposable au signataire de la convention de concession ;
- la convention de sous-concession stipule à son article 5-2 que le sous-concessionnaire s'engage à " acquitter une redevance comportant une partie fixe, versée sous forme d'avance destinée à faciliter le financement des infrastructures de l'aire par le sous-concédant " :
- il y a enrichissement sans cause de la société Socafim ;
- elle subit un préjudice et a droit à sa réparation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 avril 2021, la société Socafim, représentée par Me Grange, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la SAS Picoty Autoroutes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la SAS Picoty Autoroutes ne peut invoquer les stipulations d'un contrat auquel elle n'est pas partie, dès lors que la clause dont elle se prévaut est dépourvue de caractère réglementaire ;
- en l'absence de renvoi au contrat de concession fixant les obligations de la société Socafim, la convention de sous-concession n'impose pas à la société Socafim de procéder à des travaux d'agrandissement des parkings ;
- l'enrichissement sans cause ne peut être invoqué qu'en l'absence d'un contrat ou en cas de nullité du contrat.
Par ordonnance du 9 avril 2021, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 28 mai 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Frédérique Munoz-Pauziès,
- les conclusions de Mme Florence Madelaigue,
- et les observations de Me Perriez, représentant la société Socafim.
Considérant ce qui suit :
1. Par convention de concession du 17 mars 1994, l'État a confié pour une durée de 30 ans à la SAE Immobilier-Centre, à laquelle s'est substituée la société Socafim, l'établissement et l'exploitation de deux aires de services en bordure Ouest et Est de l'autoroute A20 à Limoges, dans le quartier de Beaune-les-Mines. Une convention de sous-concession portant sur l'aire de service située sur la bordure Est a été conclue le 28 juillet 1994 avec la société Total raffinage distribution SA, à laquelle s'est substituée la SAS Picoty Autoroutes.
2. L'article 2.5.2.1 de la convention de concession mettait à la charge du concessionnaire, la société Socafim, la réalisation de travaux d'extension des aires de stationnement et de pique-nique l'année suivant la constatation que le trafic cumulé dans les deux sens de circulation a dépassé un trafic moyen journalier annuel de 21 000 véhicules par jour, après notification du dépassement par l'État. Par courrier du 5 juillet 2017, la SAS Picoty Autoroutes a demandé à l'État de notifier le dépassement du trafic cumulé et mis en demeure la société Socafim de réaliser dans les plus brefs délais l'extension des aires de stationnement de l'aire Est. Le 2 novembre 2017, le directeur interdépartemental des routes du Centre-Ouest a notifié à la société Socafim le dépassement du trafic moyen journalier annuel de 21 000 véhicules par jour au cours des années 2015 et 2016. Toutefois, les travaux d'extension des parkings et aires de pique-nique n'ont pas été réalisés.
3. Devant l'inertie de la société Socafim, la SAS Picoty Autoroutes a saisi le tribunal administratif de Limoges d'une demande tendant, d'une part, à la condamnation de la société Socafim à lui verser, à titre de dommages et intérêts, les sommes de 765 815,89 euros en remboursement des redevances affectées à la réalisation de la seconde phase de travaux de la convention de concession du 17 mars 1994 et de 128 234,70 euros en remboursement des factures de réfection des accotements et trottoirs, et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à la société Socafim, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de réaliser les travaux prévus par les stipulations de l'article 2.5.2.1 de la convention de concession du 17 mars 1994. La SAS Picoty Autoroutes relève appel du jugement du 28 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Sur la responsabilité quasi-délictuelle de la société Socafim :
4. L'article 2.5.2.1 de la convention de concession conclue entre l'État et la société Socafim stipule : " Le concessionnaire devra réaliser les travaux et mettre en service les phases suivants : / 1° Aire Ouest et Aire Est : / Extension des parkings et nouvelles aires de pique-nique de chaque côté dans l'année suivant l'année pendant laquelle les services de la DDE auront notifié au concessionnaire que le trafic cumulé dans les deux sens de circulation a dépassé un TMJA de 21 000 véh/Jour et les années suivant celles où aura été notifiée une augmentation de trafic de 5 000 véh/jour dans les deux sens (...) ".
5. Les tiers à un contrat administratif ne peuvent en principe se prévaloir des stipulations de ce contrat, à l'exception de ses clauses réglementaires. Revêtent un caractère réglementaire les clauses d'un contrat qui ont, par elles-mêmes, pour objet l'organisation ou le fonctionnement d'un service public.
6. L'article 2.5.2.1 de la convention de concession, qui prévoit la réalisation de travaux d'extension des parkings et aires de jeux au fur et à mesure de l'augmentation du trafic, n'a pas, par elle-même, pour objet l'organisation et le fonctionnement du service public, et est dépourvue de caractère réglementaire. La SAS Picoty Autoroutes ne peut donc se prévaloir de l'inexécution de cette clause à l'appui de ses conclusions tendant à ce que la responsabilité de la société Socafim soit engagée sur le terrain quasi délictuel.
7. La SAS Picoty Autoroutes se prévaut également de l'article 1.3 de la convention de concession, qui stipule qu'en cas d'exercice de la faculté de sous-traiter, le concessionnaire demeure personnellement responsable envers l'État et envers les tiers de l'accomplissement de toutes les obligations que lui impose la convention. Toutefois, cette clause a pour seul objet de rappeler la règle qui veut que le concessionnaire est responsable des éventuelles fautes commises par ses sous-traitants et de l'exécution de l'intégralité de ses obligations contractuelles, et ne saurait faire obstacle au principe de l'effet relatif des contrats administratifs, rappelé au point 5 du présent arrêt.
Sur la responsabilité contractuelle :
8. La SAS Picoty Autoroutes soutient que la convention de sous-concession qu'elle a conclu avec la société Socafim fait expressément référence aux travaux prévus par l'article 2.5.2.1 de la convention de concession conclu entre cette dernière et l'État, dont les stipulations sont rappelées au point 4 du présent arrêt. En méconnaissant ces stipulations de la convention de concession, la société Socafim aurait nécessairement méconnu celles du contrat de sous-concession.
9. D'une part, l'article 6-2 de la convention de sous-concession stipule " Le sous-concessionnaire fera exécuter les travaux ci-après désignés : / - création d'une station-service comprenant un ensemble de restauration rapide (...). Le sous-concessionnaire supporte mes dépenses correspondant aux travaux prévus au présent 6-2. / Les autres travaux mis à la charge du sous-concédant par la convention de concession, en dehors de la surface présentement affectée, ne sont pas à la charge du sous-concessionnaire ".
10. Si ces stipulations répartissent la charge des travaux entre le sous-concédant et le sous-concessionnaire, elles ne font pas expressément référence, contrairement à ce que soutient la société appelante, aux travaux de l'article 2.5.2.1 et ne mettent pas à la charge du sous-concédant l'obligation d'exécuter les travaux d'extension des parkings et de nouvelles aires de pique-nique lorsque le trafic dépasse 21 000 véhicules par jour. Il en va de même des stipulations de l'article 5-2 de cette même convention, qui prévoient que le sous-concessionnaire s'engage à " Acquitter une redevance comportant une partie fixe, versée sous forme d'avance destiner à faciliter le financement des infrastructures de l'aire par le sous-concédant " et ne peuvent être regardées comme imposant au sous-concédant de procéder à l'agrandissement des parkings.
11. D'autre part, l'avenant n° 1 à la convention de sous-concession du 28 juillet 1994 signé par la société Socafim et la SAS Picoty Autoroutes le 16 juillet 2002, qui a pour objet de substituer la SAS Picoty Autoroutes à la société Total en qualité de sous-concessionnaire, et qui stipule à l'article 3 que " Le nouveau sous-concessionnaire déclare avoir pris connaissance de la convention de concession ... " ne donne pas force contractuelle, entre les parties signataires, à la convention de concession du 17 mars 1994 liant la société Socafim et l'Etat.
Sur l'enrichissement sans cause :
12. Le cocontractant de l'administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, au titre de l'enrichissement sans cause, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé.
13. La SAS Picoty Autoroutes soutient que la société Socafim s'est enrichie sans contrepartie, dès lors qu'elle n'a pas procédé à l'exécution des travaux d'agrandissement du parking prévus par la convention de concession, tout en percevant la redevance prévue par l'article 5.2 de la convention de sous-concession. Toutefois, ce litige se rattache à l'exécution de cette convention de sous-concession, que la cour ne peut écarter sauf à en constater la nullité.
14. Dans le dernier état de ses écritures, la SAS Picoty Autoroutes soutient que l'article 5.2 de la convention de sous-concession est sans cause et donc entaché de nullité. Toutefois, en tout état de cause, cette stipulation, dont la teneur est rappelée au point 10, est relative au financement des infrastructures de l'aire, et non aux travaux d'extension des parkings en cas d'augmentation du trafic, et n'est ainsi pas dépourvue de cause.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
15. Le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à foin d'injonction doivent être rejetées.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Picoty Autoroutes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et de mettre à sa charge, sur le fondement de ces dispositions et au profit de la société Socafim, la somme de 1 500 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Picoty Autoroutes est rejetée.
Article 2 : La SAS Picoty Autoroutes versera à la société Socafim la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Picoty Autoroutes et à la société Socafim.
Délibéré après l'audience du 16 décembre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme Munoz-Pauziès, présidente-assesseure,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 janvier 2022.
La rapporteure,
Frédérique Munoz-Pauziès Le président,
Éric Rey-Bèthbéder
La greffière,
Angélique Bonkoungou
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Vienne en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX00145