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23/12/2021 | FRANCE | N°19BX03066

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 23 décembre 2021, 19BX03066


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser les sommes de 76 240 euros au titre des préjudices de sa mère Mme A... entrés dans sa succession et de 24 045 euros au titre de ses préjudices propres, et de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse à lui verser la somme totale de 40 000 euros au titre du préjudice d'imprépa

ration que sa mère et elle-même ont subi.

Par un jugement n° 1802931 du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser les sommes de 76 240 euros au titre des préjudices de sa mère Mme A... entrés dans sa succession et de 24 045 euros au titre de ses préjudices propres, et de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse à lui verser la somme totale de 40 000 euros au titre du préjudice d'impréparation que sa mère et elle-même ont subi.

Par un jugement n° 1802931 du 27 juin 2019, le tribunal a condamné le CHU de Toulouse à lui verser une somme de 2 000 euros au titre du préjudice d'impréparation de Mme A..., a mis 1 300 euros de frais d'expertise à la charge de cet établissement et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 juillet 2019, Mme D..., représentée par la SELARL Jurismedica Avocats, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement ;

2°) de condamner l'ONIAM à lui verser les sommes de 81 420 euros en sa qualité d'ayant droit et de 24 045 euros au titre de ses préjudices propres avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, ou à titre subsidiaire d'ordonner un complément d'expertise afin de préciser l'origine et la cause des différentes infections, en particulier de celle survenue en août 2014 ;

3°) de mettre l'intégralité des frais d'expertise, qui se sont élevés à 1 683 euros, à la charge du CHU de Toulouse et de l'ONIAM ;

4°) de mettre à la charge du CHU de Toulouse et de l'ONIAM une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- selon les experts, le risque de développer des troubles de la résorption du liquide cérébro-spinal au décours de l'intervention d'exérèse du méningiome était de 3 %, ce qui est une complication rare ; l'ONIAM n'a d'ailleurs pas contesté en première instance que la prise en charge des conséquences de l'aléa thérapeutique lui incombait ; ainsi, la condition d'anormalité des conséquences prévue au II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique est remplie ;

- l'expert spécialisé en maladies infectieuses n'a jamais imputé les infections aux séjours en établissement privé de soins de suite et de réadaptation (SSR) ; les infections nosocomiales successives ont été contractées lors des prises en charge à l'hôpital, et les experts estiment qu'elles sont en rapport avec les reprises chirurgicales nécessaires pour équilibrer l'hydrocéphalie et pour la mise en place des drains de dérivation ; c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'elles étaient la conséquence de l'état de santé initial de Mme A... et n'avaient pas de caractère nosocomial au sens du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ; à titre subsidiaire, si elle ne s'estime pas suffisamment informée, la cour pourra ordonner un complément d'expertise sur l'origine et la cause des infections, en particulier de celle survenue en août 2014 ;

En ce qui concerne les préjudices de Mme A... :

- selon les experts, le décès de Mme A... est imputable à 50 % à l'aléa thérapeutique et à 50 % aux infections nosocomiales successives, de sorte qu'il appartient à l'ONIAM de réparer l'entier préjudice ;

- il est demandé à titre principal une somme de 21 240 euros sur la base de 30 euros par jour, au titre du déficit fonctionnel temporaire total retenu par les experts du 27 août 2014 au 3 août 2016, ou à titre subsidiaire de 12 036 euros sur la base de 17 euros par jour correspondant au référentiel de l'ONIAM ;

- les souffrances endurées, qualifiées d'importantes à très importantes compte tenu de la durée de l'hospitalisation et de douze interventions, doivent être réparées à hauteur de 50 000 euros, ou à titre subsidiaire de 32 000 euros ;

- une somme de 10 000 euros, ou à titre subsidiaire de 5 000 euros, est sollicitée au titre du préjudice esthétique du fait de l'altération de l'état physique de Mme A... durant deux ans ;

En ce qui concerne ses préjudices propres :

- elle s'est régulièrement déplacée pour se rendre au chevet de sa mère durant les deux années d'hospitalisation de celle-ci et sollicite une somme de 7 245 euros sur la base de 13 931,2 km au tarif de 0,52 euros par km ;

- elle a supporté 1 800 euros d'honoraires d'un médecin conseil pour l'assister lors de l'expertise ;

- elle sollicite une somme globale de 10 000 euros au titre des troubles dans ses conditions d'existence et de ses préjudices d'accompagnement et d'affection ;

En ce qui concerne le préjudice d'impréparation :

- elle sollicite la confirmation du jugement en tant qu'il lui a alloué une somme de 2 000 euros en sa qualité d'ayant droit de Mme A... ;

En ce qui concerne les dépens :

- les frais d'expertise, qui se sont élevés à 1 683 euros et non à 1 300 euros, doivent être mis à la charge du CHU de Toulouse et de l'ONIAM.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 septembre 2019, le CHU de Toulouse, représenté par la SELARL Montazeau et Cara, conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demande à la cour de réformer le jugement en tant qu'il l'a condamné à indemniser un préjudice d'impréparation.

Il fait valoir que :

- les experts n'ont retenu aucune faute médicale ;

- une information orale sur les risques encourus a été délivrée et comprise par Mme A... et Mme D..., ainsi qu'il ressort de l'expertise et du courrier du chirurgien du 28 mai 2014 ;

- eu égard à la gravité de la pathologie, le risque de décès était envisageable, de sorte que Mme D... n'a pas subi de préjudice d'impréparation.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 novembre 2019, l'ONIAM, représenté par la SELARL Birot, Ravaut et Associés, conclut à titre principal au rejet de la requête, et à titre subsidiaire à ce que les demandes indemnitaires soient réduites à de plus justes proportions.

Il fait valoir que :

En ce qui concerne l'accident médical :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le caractère de gravité ouvrant droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale n'était pas atteint ;

En ce qui concerne le caractère nosocomial des infections :

- le premier épisode infectieux ne peut être imputé à l'intervention dès lors qu'il est survenu un mois après la chirurgie ; l'infection intra-abdominale a été mise en évidence le 17 août 2015 alors que Mme A... était hospitalisée en SSR depuis le 13 juillet ; de même, l'infection à propionibacterium acnes, survenue en dehors de toute chirurgie, a été objectivée par des prélèvements réalisés le 19 octobre 2015 alors que Mme A... n'était à l'hôpital que depuis la veille, et la klebsiella pneumoniae a été mise en évidence le 28 novembre 2015, plus d'un mois après la dernière intervention, alors que la patiente séjournait en SSR depuis le 27 octobre 2015 ; ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal, ces épisodes infectieux ne présentent pas un caractère nosocomial au vu du délai d'incubation ;

- si les trois dernières infections ont été objectivées lorsque Mme A... était hospitalisée au CHU, elles sont la conséquence de l'état initial ayant nécessité l'hospitalisation de la patiente et, comme l'a jugé le tribunal, ne présentent pas davantage de caractère nosocomial ;

A titre subsidiaire, en ce qui concerne les demandes indemnitaires :

- s'agissant des préjudices de Mme A..., l'indemnisation ne saurait excéder 10 620 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total retenu par les experts du 27 août 2014 au 24 août 2016, et 30 000 euros au titre des souffrances endurées de 6,5 sur 7 ; une somme de 2 000 euros peut être allouée au titre du préjudice esthétique temporaire que les experts ont retenu sans l'évaluer ;

- s'agissant des préjudices de Mme D..., la demande relative aux frais de déplacement ne peut qu'être rejetée en l'absence de justification des frais réels exposés, et alors que la carte grise du véhicule utilisé n'est pas produite ; conformément à son référentiel, les frais d'assistance à l'expertise de 1 800 euros peuvent être indemnisés à hauteur de 700 euros ; son référentiel d'indemnisation ne prévoit pas l'indemnisation de troubles dans les conditions d'existence ; une somme de 5 000 euros peut être allouée au titre du préjudice d'affection, et une somme de 1 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Montamat, représentant le CHU de Toulouse.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., alors âgée de 61 ans, a subi une intervention chirurgicale le 16 juin 2014 au CHU de Toulouse pour l'exérèse d'un volumineux méningiome parasagittal droit. Les suites opératoires ont été marquées par une aphasie et un syndrome confusionnel. Ces troubles ayant régressé, la patiente a été transférée le 2 juillet 2014 dans un établissement privé de soins de suite et de réadaptation (SSR), où une infection du site opératoire est progressivement apparue, et un abcès cérébral a été évacué le 8 août 2014 au CHU de Toulouse. Les prélèvements ayant révélé la présence d'un staphylocoque doré methicilline sensible, une antibiothérapie a été mise en place. Les suites de l'évolution ont été marquées par une hydrocéphalie responsable d'une altération des fonctions supérieures, traitée le 7 février 2015 par la mise en place d'une valve de dérivation interne ventriculo-péritonéale droite dont le dysfonctionnement a nécessité une reprise le 5 mai 2015. Devant la réapparition de l'hydrome, une valve de dérivation ventriculo-péritonéale gauche à basse pression a été posée le 26 juin 2015. Le 18 août 2015, une infection intra-abdominale en lien avec le cathéter de dérivation a été diagnostiquée et traitée par une antibiothérapie probabiliste. Des dégradations brutales de l'état neurologique de la patiente, en lien avec de nouveaux épisodes d'hydrocéphalie, ont nécessité des hospitalisations du 29 septembre au 8 octobre 2015 et du 18 au 27 octobre 2015. Le 19 octobre 2015, un prélèvement bactériologique sur la dérivation ventriculaire interne a permis d'isoler un propionibacterium acnes multisensible dans le liquide cérébro-spinal, et un traitement antibiotique a été mis en place malgré l'absence de signe infectieux. Le 28 novembre 2015, une klebsiella pneumoniae sans signes fonctionnels a été mise en évidence dans un examen cytobactériologique des urines. Parallèlement, plusieurs manifestations neurologiques d'hydrocéphalie ont été observées à la fin de l'année 2015. Leur aggravation a imposé un transfert de l'établissement privé de SSR au CHU le 25 décembre 2015, et la réalisation le même jour d'une ventriculo-cisternostomie endoscopique, laquelle n'a pas empêché la récidive de l'hydrocéphalie. Le 5 janvier 2016, une intervention chirurgicale a été réalisée en urgence pour l'ablation de la valve de dérivation et la mise en place d'un drain ventriculaire externe. Les prélèvements ont permis de diagnostiquer une méningite à propionibacterium acnes, dont la disparition a été constatée sur un prélèvement du 26 janvier après une antibiothérapie. Le 18 février 2016, une rhombencéphalite (inflammation du cerveau postérieur) à klebsiella pneumoniae a provoqué une nouvelle dégradation neurologique grave. Si cette infection a pu être jugulée par l'ablation de tous les matériels et une antibiothérapie, Mme A... est restée en état de coma réactif uniquement à la douleur. Elle est décédée le 3 août 2016.

2. A la demande de Mme D..., fille de Mme A..., le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a ordonné une expertise, réalisée le 16 octobre 2017, dont le rapport a conclu que le décès de Mme A... était en lien avec une hydrocéphalie subaigüe mise en évidence dès les premiers jours post-opératoires, constituant un aléa thérapeutique de l'exérèse du méningiome, secondairement aggravée par plusieurs infections nosocomiales successives. Les experts ont évalué à 50 % chacun la part de l'aléa thérapeutique et des complications infectieuses dans la survenue du décès. Sa réclamation préalable ayant été rejetée, Mme D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'ONIAM à lui verser la somme totale de 100 285 euros en réparation des préjudices de Mme A... et de ses préjudices propres, et le CHU de Toulouse à lui verser la somme de 40 000 euros au titre des seuls préjudices d'impréparation subis par sa mère et par elle-même. Par un jugement du 27 juin 2019, le tribunal a condamné le CHU à lui verser une somme de 2 000 euros au titre du préjudice d'impréparation de Mme A..., a mis 1 300 euros de frais d'expertise à la charge de cet établissement, et a rejeté le surplus de sa demande. Mme D... relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à ses conclusions dirigées contre l'ONIAM, et en tant que les 1 300 euros de frais d'expertise mis à la charge du CHU de Toulouse ne correspondent pas au montant de 1 683 euros de l'ordonnance de taxation.

Sur le défaut d'information :

3. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ". Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

4. Le CHU de Toulouse produit une lettre du neurochirurgien au médecin traitant de Mme A..., dictée le 28 mai 2014 en consultation, en présence de la patiente, précisant qu'il a expliqué l'intervention et ses risques à cette dernière. Il ne peut toutefois en être déduit qu'une information relative au risque de complications graves par hydrocéphalie aurait été délivrée. Par suite, le CHU de Toulouse n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal l'a condamné à verser à Mme D... une somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral d'impréparation de Mme A....

Sur le droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale :

En ce qui concerne l'aléa thérapeutique :

5. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. " Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. / (...). " Il résulte de ces dispositions que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.

6. Dès lors qu'il est constant que l'évolution naturelle du méningiome aurait entraîné le décès, les complications en lien avec son exérèse ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles la patiente était exposée en l'absence de traitement. L'expertise précise que le mécanisme des troubles de la résorption du liquide cérébro-spinal ayant conduit à l'hydrocéphalie trouve son origine dans une altération des veines parasagittales antérieures au décours de l'exérèse du méningiome, ce qui constitue une complication non fautive de la chirurgie de cette région cérébrale, dont le risque de survenance est d'environ 3 % dans le cas d'un méningiome parasagittal tel que celui présenté par Mme A.... Contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, le dommage présentait ainsi une probabilité faible. Par suite, Mme D... est fondée à soutenir que l'aléa thérapeutique ouvre droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale.

En ce qui concerne les infections nosocomiales :

7. Aux termes du second alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, les professionnels de santé et les établissement, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins " sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ". Doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge. Il résulte des dispositions de l'article L.1142-1-1 du code de la santé publique que l'ONIAM doit assurer la réparation des dommages résultant d'infections nosocomiales lorsqu'ils ont entraîné un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % ou un décès.

8. La première complication infectieuse constituée par un abcès cérébral a été traitée par un médecin présent à l'expertise, lequel a indiqué que dès l'ouverture de la dure-mère, du pus est sorti de la zone de résection du méningiome, ce qui caractérise selon les experts un empyème postopératoire, c'est-à-dire une infection nosocomiale du site opératoire. La circonstance que cette infection est survenue début août 2014, un mois et demi après l'intervention du 16 juin 2014 et alors que la patiente séjournait depuis un mois dans un établissement de soins de suite et réadaptation, n'est pas de nature à mettre en cause son lien avec l'intervention d'exérèse du méningiome réalisée au CHU de Toulouse. L'infection intra abdominale provoquée le 18 août 2015 par le cathéter de dérivation interne est également en lien avec la prise en charge au CHU, de même que la méningite à proprionibacterium acnes et la rhombencéphalite à klebsiella pneumoniae, toutes deux en relation directe et certaine, selon les experts, avec la présence des cathéters nécessaires à la gestion de l'hydrocéphalie. Le fait que les germes en cause ont été identifiés comme portés par la patiente alors qu'elle séjournait dans un établissement de SSR est sans incidence sur l'imputabilité aux soins dispensés au CHU de leur présence sur les cathéters posés dans cet établissement pour le traitement de l'hydrocéphalie. Enfin, si les experts ont expliqué que les troubles de la résorption du liquide cérébro-spinal évoluant en hydrocéphalie (augmentation du liquide en volume et en pression) constituent des complications graves car elles impliquent des manipulations de valves qui augmentent le risque d'une infection elle-même à l'origine d'une augmentation de l'hydrocéphalie, cette description du mécanisme par lequel les deux étiologies distinctes de l'aléa thérapeutique et des infections se sont cumulées pour conduire au décès ne saurait faire regarder les infections comme la conséquence de l'état de santé initial de Mme A.... Par suite, Mme D... est fondée à soutenir que, comme l'avaient affirmé les experts et contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, les infections présentent un caractère nosocomial et ouvrent également droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale.

Sur les préjudices de Mme A... entrés dans sa succession :

9. Les experts ont retenu un déficit fonctionnel temporaire total imputable aux complications du 27 août 2014 au 3 août 2016, soit 707 jours. Il y a lieu de fixer l'indemnisation de ce préjudice à 12 000 euros sur la base de 500 euros par mois.

10. Il sera fait une juste appréciation des souffrances endurées, évaluées à 6,5 sur 7 par les experts, en fixant leur indemnisation à 30 000 euros.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de fixer à 3 000 euros l'indemnisation du préjudice esthétique temporaire, non quantifié, retenu par les experts à raison de l'altération de l'apparence physique présentée par Mme A... à ses proches durant deux ans.

Sur les préjudices propres de Mme D... :

12. Le juge n'est pas tenu par le référentiel d'indemnisation de l'ONIAM prévoyant une prise en charge forfaitaire des frais d'assistance à l'expertise à hauteur de 700 euros. Par suite, Mme D..., qui justifie avoir exposé 1 800 euros d'honoraires du médecin conseil qui l'a assistée, est fondée à demander le remboursement de cette somme par l'ONIAM.

13. Si l'ONIAM fait valoir que les frais de déplacement ne sont indemnisables qu'à condition de justifier des frais réels, ce qui n'est pas le cas, il résulte des attestations produites que Mme D..., qui était l'unique enfant et la seule famille proche de Mme A..., célibataire et dont les parents et le frère étaient décédés, lui a rendu visite plusieurs fois par semaine durant la période de près de deux ans ouvrant droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale. La requérante produit une évaluation reconstituée de ses déplacements dans les différents établissements dans lesquels Mme A..., qui n'a jamais regagné son domicile, a été hospitalisée du 15 juin 2014 à son décès, représentant au total 13 931 km, qu'il y a lieu de réduire à 13 000 km afin de tenir compte de la période d'hospitalisation et de SSR qui aurait été nécessaire en l'absence de complication. En l'absence de justification de la puissance fiscale du véhicule utilisé, il y a lieu de retenir un tarif de 0,40 euros par km et d'évaluer les frais en cause à 5 200 euros.

14. Il sera fait une juste appréciation des préjudices d'accompagnement et d'affection de Mme D..., incluant des troubles de toute nature dans ses conditions d'existence durant près de deux ans, en fixant leur indemnisation à la somme de 10 000 euros.

15. Il résulte de tout ce qui précède que l'ONIAM doit être condamné à verser à Mme D... les sommes de 45 000 euros en sa qualité d'ayant droit de Mme A... et de 17 000 euros au titre de ses préjudices propres, et que l'appel incident du CHU de Toulouse doit être rejeté.

Sur les intérêts :

16. Aux termes de l'article 1231-7 du code civil : " En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement (...) ". Il résulte de ces dispositions que même en l'absence de demande en ce sens et même lorsque le juge ne l'a pas explicitement prévu, tout jugement prononçant une condamnation à une indemnité fait courir les intérêts, du jour de son prononcé jusqu'à son exécution. Par suite, les conclusions de Mme D... tendant à ce que les sommes qui lui sont allouées portent intérêts à compter de la date de l'arrêt sont dépourvues d'objet.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

17. Les frais et honoraires de l'expertise ordonnée par le juge des référés ont été liquidés et taxés à la somme de 1 683 euros, TVA comprise, par une ordonnance n° 1701535 du 6 février 2018, doivent être mis à la charge de l'ONIAM.

18. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'ONIAM, qui est la partie perdante, une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ONIAM est condamné à verser à Mme D... les sommes de 45 000 euros en sa qualité d'ayant droit de Mme A... et de 17 000 euros au titre de ses préjudices propres.

Article 2 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 683 euros, sont mis à la charge de l'ONIAM.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse n° 1802931 du 27 juin 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'ONIAM versera à Mme D... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D..., au centre hospitalier universitaire de Toulouse et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales. Une copie en sera adressée aux experts.

Délibéré après l'audience du 17 décembre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Nicolas Normand, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 décembre 2021.

La rapporteure,

Anne B...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

9

N° 19BX03066


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX03066
Date de la décision : 23/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité régie par des textes spéciaux.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé - Établissements publics d'hospitalisation - Responsabilité sans faute - Actes médicaux.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : SELARL BIROT - RAVAUT ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-12-23;19bx03066 ?
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