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07/10/2021 | FRANCE | N°19BX04983

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 7ème chambre (formation à 3), 07 octobre 2021, 19BX04983


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision du 21 mars 2018 de l'inspectrice du travail de la Guadeloupe par laquelle elle a autorisé son licenciement et de condamner le ministre du travail à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi.

Par un jugement n° 1800403 du 22 octobre 2019, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté la demande de M. B....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23

décembre 2019, M. B..., représenté par Me Appasamy, demande à la cour :

1°) d'annuler ce j...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision du 21 mars 2018 de l'inspectrice du travail de la Guadeloupe par laquelle elle a autorisé son licenciement et de condamner le ministre du travail à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi.

Par un jugement n° 1800403 du 22 octobre 2019, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté la demande de M. B....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 décembre 2019, M. B..., représenté par Me Appasamy, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 22 octobre 2019 en tant qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'annulation ;

2°) d'annuler la décision du 21 mars 2018 de l'inspectrice du travail de la Guadeloupe ayant autorisé son licenciement ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le principe du contradictoire et celui des droits de la défense n'ont pas été respectés, l'administration n'ayant pas procédé à l'examen des pièces qu'il avait produites ;

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- c'est son état de santé qui est à l'origine du fait incriminé ; l'administration n'en a pas tenu compte et n'a pas sollicité d'autre avis médical ; la faute qui lui est reprochée n'était pas volontaire ;

- la sanction prise n'est pas proportionnée ; c'est un geste isolé, il n'a jamais eu d'autre comportement indécent et ne présente aucun antécédent d'exhibitionnisme ; aucun risque de récidive n'est établi ; il n'a jamais eu de comportement suspect vis-à-vis de sa collègue ; tout s'est déroulé en interne et l'incident a été clos rapidement ; l'employeur n'a pas subi grand préjudice.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 avril 2020, la société La Poste, représentée par Me Bellanger, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,

- les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique,

- et les observations de Me Cortes pour La Poste.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., né en 1965, a été recruté par La Poste en tant que contractuel en janvier 1993. Le 1er mai 1997, il a conclu un contrat à durée indéterminée en qualité de " gestionnaire ACC21 " au centre financier de Jarry puis a été promu et a atteint le grade d'ACC31 pour occuper en dernier lieu les fonctions de " chargé de clientèle appui ". Il détenait le mandat de membre de comité d'hygiène de santé et de sécurité. Le samedi 13 janvier 2018, M. B... a effectué, dans les locaux de La Poste et derrière son bureau, un acte masturbatoire à côté d'une de ses collègues. Il a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire le jour même. Par lettre du 15 janvier 2018, il a été convoqué le 22 janvier 2018 à un entretien préalable à un licenciement. La commission consultative paritaire a été consultée le 23 janvier 2018. Par lettre du 25 janvier 2018, La Poste a saisi la direction des entreprises, de la concurrence, du travail et de l'emploi de la Guadeloupe afin d'obtenir l'autorisation de le licencier. Par décision du 21 mars 2018, l'inspectrice du travail de la Guadeloupe a accordé à La Poste cette autorisation. M. B... a formé devant le tribunal administratif de la Guadeloupe un recours tendant à l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail, assorti de conclusions indemnitaires. Il fait appel du jugement de ce tribunal administratif du 22 octobre 2019, en ce qu'il a rejeté ses conclusions en excès de pouvoir dirigées contre la décision du 21 mars 2018.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de l'inspectrice du travail :

2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail : " (...) aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié (...) en raison de son état de santé. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque qu'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par un comportement jugé fautif, elle ne peut être légalement accordée si les faits reprochés sont la conséquence d'un état pathologique ou d'un handicap de l'intéressé.

4. Il ressort des pièces du dossier que, le samedi 13 janvier 2018 dans la matinée, lors d'une permanence au centre client de La Poste, M. B... a appelé une de ses collègues, Mme C..., à laquelle il avait fait des compliments sur son aspect physique et sa tenue vestimentaire le matin même, afin qu'elle lui apporte son aide sur une application informatique. Mme C... a alors quitté son poste de travail pour se rapprocher de l'écran de M. B... et le guider sur l'application. Mme C... s'est alors rendu compte que M. B..., qui ne pouvait ignorer sa présence à ses côtés, se masturbait sous son bureau. Mme C... lui a demandé de cesser, est retournée à son poste de travail avant, de rapporter, un peu plus tard, cet incident au cadre de permanence, qui a alors décidé de suspendre momentanément le service afin de réunir l'équipe. M B... a immédiatement reconnu les faits, dont la matérialité est ainsi établie. Il a été mis à pied à titre conservatoire le jour même, puis une procédure de licenciement pour faute a été engagée par La Poste.

En ce qui concerne la légalité externe de la décision :

5. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2421-12 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée (...) ".

6. La décision de l'inspectrice du travail du 21 mars 2018 vise les dispositions applicables du code du travail et mentionne la demande d'autorisation de licenciement, ainsi que l'entretien préalable et l'enquête contradictoire qui ont été menés. Elle précise le motif disciplinaire du licenciement de M. B... du fait de l'acte qu'il a commis le samedi 13 janvier 2018. Elle rappelle la chronologie des faits et précise que son acte de masturbation constitue un fait fautif contraire à son obligation contractuelle. Enfin, elle précise l'absence de lien avec le mandat syndical. La circonstance que l'inspectrice du travail ne mentionne pas certains documents, telles que les pièces médicales fournies par l'intéressé et qui, selon lui, démontreraient son état pathologique, ne saurait entacher cette décision d'insuffisance de motivation. Par suite, la décision contestée, qui comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivée.

7. En second lieu, aux termes tant de l'article R. 2421-4 du code du travail, que de l'article R. 2421-11 du même code, s'agissant des demandes d'autorisation de licenciement des différentes catégories de salariés investis d'un mandat représentatif : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat (...) ".

8. Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris des témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation.

9. Il ressort des pièces du dossier et notamment de la décision du 21 mars 2018, comme l'ont déjà relevé les premiers juges par un motif qu'il y a lieu d'adopter, que l'inspectrice du travail a entendu M. B... et Mme C... personnellement le 23 et 26 février 2018. La décision litigieuse vise les pièces jointes à l'appui de la demande d'autorisation communiquées le 26 janvier 2018 et précise que " les éléments apportés n'ont pas permis d'établir que les faits reprochés à M. B... le samedi 13 janvier seraient la cause d'un état pathologique du salarié ". Ainsi, l'auteur de la décision attaquée a entendu faire référence aux pièces médicales produites par le requérant. Par ailleurs, il résulte des propres écritures de l'appelant que son dossier médical a été remis directement par la secrétaire de section de la Poste, qui l'accompagnait, à l'inspectrice du travail durant l'enquête. Ainsi, M. B... ne peut sérieusement invoquer la violation du principe du contradictoire en soutenant que les documents médicaux transmis le 5 février 2018 à la direction des entreprises, de la concurrence, du travail et de l'emploi n'ont pas été exploités par celle-ci au seul motif qu'ils ne sont pas visés expressément dans la décision attaquée. Ainsi le moyen tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure ne peut être accueilli.

En ce qui concerne le bien-fondé de la décision :

10. En premier lieu, le requérant fait valoir qu'il était, le jour des faits, dans un état psychique qui l'avait privé de sa capacité de discernement.

11. Il ressort des examens médicaux effectués par M. B... le jour même des faits, soit le 13 janvier 2018, au centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre, que son bilan clinique et cardio-vasculaire s'est avéré normal et que si une consultation psychiatrique a également été faite, elle n'a permis de retrouver ni éléments délirants ni autres symptômes du registre psychiatrique. Le bilan neurologique n'ayant pu être réalisé entièrement au CHU compte tenu des difficultés logistiques de cet établissement, M. B... a alors consulté un neurologue, le 19 janvier 2018, le docteur D..., qui émet plusieurs hypothèses de diagnostic et notamment, un " possible accident ischémique transitoire avec une période confusionnelle pendant laquelle le sujet peut avoir un comportement plus ou moins adapté et n'enregistre pas le déroulement chronologique de la période considérée ". Ce médecin s'appuie sur le constat que M. B... aurait été incapable de relater les faits de façon précise dans leur ordre chronologique, connaîtrait " une diminution des performances en ce qui concerne l'évocation lexicale avec un ralentissement des fluences littérales et légère perte de flexibilité mentale ", " quelques difficultés d'extrapolation, dans l'élaboration conceptuelle et dans la compréhension complexe, ce qui entrerait en dissonance avec les capacités attendues de quelqu'un avec une certaine expérience notamment dans le domaine syndical ", ce qui traduirait " un certain ralentissement moteur et psychique, une incompréhension face aux évènements, des troubles anxieux et une réaction dépressive ". Toutefois, comme l'ont déjà pertinemment relevé les premiers juges, ces éléments ne paraissent pas mettre en exergue de façon suffisamment claire et précise le fait que M. B... n'aurait pas été conscient de ces actes lorsqu'il les a commis. Dans ces conditions, et contrairement à ce qu'allègue M. B..., il n'est pas établi que les faits qui lui sont reprochés constitueraient la conséquence d'un état pathologique. Par suite, le moyen ne peut être accueilli.

12. En second lieu, M. B... soutient que son acte n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement et se prévaut notamment de son ancienneté dans l'entreprise, de ses bonnes appréciations professionnelles, de l'absence d'antécédent de voyeurisme, d'exhibitionnisme ou de sexisme et enfin de ce que le préjudice subi par la Poste est minime.

13. Il ressort effectivement des pièces du dossier que M. B... a toujours eu de bonnes appréciations professionnelles, que seize collègues de La Poste ont témoigné en sa faveur en attestant de son comportement respectueux envers les femmes, que son acte apparaît isolé, qu'il n'était pas le supérieur hiérarchique de Mme C..., que ni cette dernière ni La Poste n'ont porté plainte contre lui et que la perturbation du service, interrompu à l'initiative du supérieur hiérarchique, n'a duré qu'une vingtaine de minutes, n'a pas eu de conséquences sur la clientèle, sinon une inaccessibilité pendant ce court laps de temps et n'a pas causé à La Poste un préjudice significatif ou qui aurait perduré dans le temps. Cependant, le geste incriminé, dirigé envers une collègue d'un niveau de fonctions inférieur à celui de l'intéressé, envers laquelle il était dégradant et qui a subi de ce fait un choc ayant justifié qu'elle rentre chez elle et ait bénéficié de l'accompagnement du médecin du travail et de l'assistante sociale, constitue un fait fautif non seulement contraire à l'obligation contractuelle de M. B..., mais également d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande à fin d'annulation de la décision de l'inspectrice du travail ayant autorisé son licenciement.

Sur les frais de l'instance :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de La Poste, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. B... sur ce fondement. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme que demande La Poste sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... et les conclusions présentées par La Poste sur le fondement de l'article L. 761-1 sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la société anonyme La Poste. Copie en sera adressée au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 9 septembre 2021 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente-assesseure

Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 octobre 2021.

La rapporteure,

Florence Rey-Gabriac

Le président,

Éric Rey-Bèthbéder

La greffière,

Angélique Bonkoungou

La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

5

N° 19BX04983


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : HMS AVOCATS

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 7ème chambre (formation à 3)
Date de la décision : 07/10/2021
Date de l'import : 19/10/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 19BX04983
Numéro NOR : CETATEXT000044178374 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-10-07;19bx04983 ?
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