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15/06/2021 | FRANCE | N°20BX04138

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2eme chambre (formation a 3), 15 juin 2021, 20BX04138


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 21 mars 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 1904747 du 17 novembre 2020, le tribunal a annulé l'arrêté

du 21 mars 2019 et enjoint au préfet de délivrer

M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 21 mars 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 1904747 du 17 novembre 2020, le tribunal a annulé l'arrêté

du 21 mars 2019 et enjoint au préfet de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 16 décembre 2020 sous le n° 20BX04138, le préfet

de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ce jugement.

Il soutient que :

- la molécule ayant permis la stabilisation de l'état de santé de M. B... est disponible en Guinée, et ce pays dispose de services spécialisés pour soigner les pathologies psychiatriques ; M. B... n'a démontré ni qu'il serait dans l'impossibilité de payer son traitement, ni qu'il existerait des difficultés d'approvisionnement en Guinée ; c'est ainsi à tort que les premiers juges ont estimé qu'il ne pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans ce pays.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 mars 2021, M. B..., représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour :

1°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer à titre principal le titre de séjour sollicité et à titre subsidiaire un titre de séjour l'autorisant à travailler ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme

de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il fait valoir que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'il ne pourrait effectivement bénéficier d'un traitement approprié en Guinée ;

- en outre, dès lors qu'il se trouverait isolé dans ce pays qu'il a quitté à l'âge de 15 ans, et exposé à de mauvais traitements en raison de son handicap, la décision de refus de titre de séjour méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la mesure d'éloignement méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que l'exclusion et l'isolement social sont constitutifs de traitements inhumains et dégradants.

M. B... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 février 2021.

II. Par une requête enregistrée le 16 décembre 2020 sous le n° 20BX04139, le préfet

de la Haute-Garonne demande à la cour de surseoir à l'exécution du même jugement.

Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont annulé l'arrêté du 21 mars 2019

et renvoie à ses écritures dans l'instance n° 20BX04138.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 mars 2021, M. B..., représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il fait valoir que la requête est irrecevable faute de moyen sérieux et reprend les mêmes écritures que dans l'instance n° 20BX04138.

M. B... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 février 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., de nationalité guinéenne, a déclaré être entré en France le 8 juillet 2016.

Le 1er février 2018, il a sollicité son admission au séjour en raison de son état de santé.

Par un arrêté du 21 mars 2019, le préfet de la Haute-Garonne a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement du 17 novembre 2020, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté au motif que M. B... ne pourrait effectivement bénéficier d'un traitement approprié à sa pathologie dans son pays d'origine, et a enjoint au préfet de délivrer à l'intéressé un titre

de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois. Il y a lieu

de joindre les requêtes par lesquelles le préfet de la Haute-Garonne relève appel de ce jugement et en demande le sursis à exécution.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ".

3. Par un avis du 11 août 2018, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a estimé que l'état de santé de M. B... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, et qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé en Guinée, il peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est pris en charge en France depuis 2017 pour un trouble psychotique chronique ancien associé à un état de stress post-traumatique sévère secondaire à son parcours migratoire, avec un état clinique caractérisé par des hallucinations acoustico-verbales, des difficultés de communication, des idées délirantes et des troubles de la mémoire, qu'une régression symptomatique satisfaisante a pu être obtenue par un traitement médicamenteux, un suivi psychiatrique et un accompagnement médico-social, et qu'une rupture dans cette prise en charge pourrait entraîner une décompensation psychiatrique avec mise en danger du patient par lui-même. Pour estimer que M. B... ne pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié à sa pathologie dans son pays d'origine, les premiers juges se sont fondés sur la liste des médicaments essentiels en Guinée de 2012 et la fiche MedCOI mise à jour en janvier 2014 produites par le préfet, faisant apparaître que la molécule du neuroleptique atypique de deuxième génération ayant permis de stabiliser l'état de santé de M. B... n'était pas disponible en Guinée, que si un antidépresseur, un neuroleptique antipsychotique, et un anxiolytique étaient disponibles dans ce pays, seul le premier était accessible à des tarifs sociaux, et que les deux autres, au demeurant très coûteux, ne pouvaient constituer un traitement de substitution adapté. Le tribunal s'est également fondé sur les informations concordantes de la fiche MedCOI et des rapports de 2016 produits par M. B..., l'un de l'OSAR sur les traitements psychiatriques en Guinée et l'autre de l'OMS sur sa stratégie de coopération 2016-2021 avec la Guinée, dont il ressort que l'offre de soins et les structures d'accueil en matière psychiatrique dans ce pays sont très insuffisantes et que des problèmes d'approvisionnement en médicaments compromettent la continuité thérapeutique. La présentation de la Guinée par ces documents, et notamment par la fiche MedCOI, rappelle que ce pays de 12 millions d'habitants est l'un des moins avancés du monde avec 53,4 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté, que le droit à la santé n'y est pas assuré, en particulier pour les personnes les plus vulnérables, que les possibilités de traitement des maladies psychiatriques y sont très limitées avec 3 psychiatres seulement exerçant dans l'unique hôpital doté d'un service de psychiatrie et l'absence de tout psychologue, qu'il existe très peu de structures médico-sociales, que les malades mentaux sont victimes de discrimination et qu'il est encore d'usage de les enchaîner, et enfin qu'en l'absence d'assurance maladie, le coût du traitement est entièrement supporté par les patients et leurs familles. En se bornant à produire en appel la même fiche MedCOI et un tableau illustrant l'absence de prise en charge de la santé mentale en Guinée, le préfet de la Haute-Garonne ne conteste pas utilement l'annulation prononcée par les premiers juges.

4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé

à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse

a annulé l'arrêté du 21 mars 2019 et lui a enjoint de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par suite, les conclusions de M. B... tendant

à la confirmation de cette injonction sont sans objet.

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution :

5. Le présent arrêt statuant au fond sur la requête du préfet de la Haute-Garonne,

les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement deviennent sans objet.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

6. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 1 200 euros, à verser à Me F... sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat aux missions d'aide juridictionnelle qui lui ont été confiées.

DÉCIDE :

Article 1er : Les conclusions du préfet de la Haute-Garonne à fin d'annulation du jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1904747 du 17 novembre 2020 sont rejetées.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution.

Article 3 : L'Etat versera à Me F... une somme globale de 1 200 euros au titre

des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant

à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B.... Une copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 1er juin 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne D..., présidente-assesseure,

Mme C... E..., conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 juin 2021.

La rapporteure,

Anne D...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

Nos 20BX04138, 20BX04139


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2eme chambre (formation a 3)
Numéro d'arrêt : 20BX04138
Date de la décision : 15/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Exces de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme BEUVE-DUPUY
Avocat(s) : ATY AVOCATS ASSOCIES AMARI DE BEAUFORT-TERCERO-YEPONDE

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-06-15;20bx04138 ?
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