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25/02/2021 | FRANCE | N°19BX00355

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 7ème chambre (formation à 3), 25 février 2021, 19BX00355


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Le Château a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de son exercice clos le 31 décembre 2010 pour un montant total de 131 635 euros.

Par un jugement n° 1602115 du 27 novembre 2018, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 janvi

er 2019, et un mémoire, enregistré le 21 janvier 2021, la société Le Château, représentée par la SCP ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Le Château a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de son exercice clos le 31 décembre 2010 pour un montant total de 131 635 euros.

Par un jugement n° 1602115 du 27 novembre 2018, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 janvier 2019, et un mémoire, enregistré le 21 janvier 2021, la société Le Château, représentée par la SCP KPL avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 27 novembre 2018 ;

2°) de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de son exercice clos le 31 décembre 2010 pour un montant total de 131 635 euros :

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés pour l'instance.

Elle soutient que :

- les impositions litigieuses ont été mises à sa charge en méconnaissance du délai de reprise prévu aux articles L. 188 C et L. 169 du livre des procédures fiscales ;

- ces impositions ont été établies à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que la proposition de rectification n'a pas été suffisamment motivée ;

- l'administration n'apporte pas la preuve de l'existence d'un acte anormal de gestion.

Par un mémoire, enregistré le 29 juillet 2019, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales,

-le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- et les conclusions de Mme Aurélie Chauvin, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Le Château, dont le siège social est situé à Lagord (Charente-Maritime), exerce une activité dans le secteur immobilier. Elle est détenue à parts égales par M. B... A..., qui en est aussi le gérant, et par son épouse. Elle est soumise à l'impôt sur les sociétés et détient la moitié des parts sociales de la société civile de construction vente Les Granges d'Espiaube, située à Saint-Lary-Soulan (Hautes-Pyrénées), dont M. B... A... et M. E... C... sont co-gérants. Cette dernière société relève quand-à elle du régime des sociétés de personnes prévu par l'article 8 du code général des impôts et a été placée en liquidation judiciaire le 24 septembre 2015. À l'issue de l'exercice de son droit de communication auprès du tribunal de grande instance de Tarbes, l'administration a considéré que la société Les Granges d'Espiaube avait minoré le prix de cession d'un ensemble immobilier à M. A.... Elle a considéré que cette cession caractérisait un acte anormal de gestion et a, en conséquence, rehaussé le résultat imposable de cette société. La société Le Château demande à la cour d'annuler le jugement du 27 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de son exercice clos le 31 décembre 2010 à raison de la quote-part lui revenant dans les bénéfices industriels et commerciaux réalisés par la société Les Granges d'Espiaube.

Sur la procédure d'imposition :

2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. ". L'article L. 76 B du même livre prévoit que : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ".

3. D'une part, l'obligation faite à l'administration de tenir à la disposition du contribuable qui les demande ou de lui communiquer, avant la mise en recouvrement des impositions, les documents ou copies de documents qui contiennent les renseignements qu'elle a utilisés pour procéder aux rehaussements ne peut porter que sur les documents effectivement détenus par les services fiscaux. Dans l'hypothèse où les documents que le contribuable demande à examiner sont détenus non par l'administration fiscale, qui les a seulement consultés dans l'exercice de son droit de communication, mais par l'autorité judiciaire, il appartient à l'administration fiscale d'en informer l'intéressé afin de le mettre en mesure, s'il s'y croit fondé, d'en demander communication à cette autorité et, en tout état de cause, de porter à sa connaissance l'ensemble des renseignements fondant l'imposition que cette autorité lui avait permis de recueillir.

4. En l'occurrence, si la société appelante soutient qu'elle n'était pas partie à la procédure d'instruction pénale, ne pouvant dès lors avoir accès au dossier pénal, et qu'ainsi elle n'a pas pu présenter sa défense dans des conditions lui permettant de vérifier quelles étaient la teneur et la portée des documents utilisés par l'administration pour établir les rectifications, il résulte de l'instruction que l'administration lui a communiqué, sur sa demande, l'ensemble des pièces en sa possession et que cette société n'établit ni même ne soutient que l'accès à ce dossier pénal aurait été refusé à son gérant, lequel était, à titre personnel, partie à la procédure d'instruction pénale. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir qu'elle a été effectivement privée de la garantie prévue aux dispositions précitées de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales.

5. D'autre part, l'administration ne peut légalement mettre des suppléments d'imposition à la charge personnelle des associés d'une des sociétés de personnes énumérées à l'article 8 du code général des impôts sans leur avoir notifié, dans les conditions prévues à l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, les corrections apportées aux déclarations qu'ils ont euxmêmes souscrites, en motivant cette notification au moins par une référence aux rehaussements apportés aux bénéfices sociaux et par l'indication de la quote-part de ces bénéfices à raison de laquelle les intéressés seront imposés. Par suite, la société appelante ne peut utilement soutenir que la proposition de rectification qui lui a été adressée le 4 février 2015 serait insuffisamment motivée au regard des exigences de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales en se bornant à faire valoir que cette proposition ne contient aucun élément sur les immeubles retenus comme termes de comparaison pour rectifier la valeur vénale de l'immeuble cédé à M. A..., qu'une expertise réalisée à la demande de ce dernier en 2019 retient une valeur vénale inférieure et ou qu'elle n'a pas eu connaissance des autres ventes réalisées par la société Les Granges d'Espiaube alors que cette proposition fait explicitement référence aux rehaussements apportés aux bénéfices sociaux de la société civile Les Granges d'Espiaube.

Sur le bien-fondé des impositions litigieuses :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : " Même si les délais de reprise sont écoulés, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuse peuvent être réparées par l'administration des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos l'instance et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due ". Pour apprécier si l'administration fiscale peut se prévaloir du délai spécial de reprise prévu par l'article 188 C du livre des procédures fiscales, le juge doit, dès lors qu'il est saisi d'une argumentation en ce sens, rechercher si l'administration disposait, avant l'ouverture de l'instance devant les tribunaux, dans le délai normal de reprise ou même après son expiration, d'éléments suffisants pour lui permettre, par la mise en oeuvre des procédures d'investigation dont elle dispose, d'établir les insuffisances ou omissions d'impositions.

7. Le 17 août 2010, la société Les Granges d'Espiaube a cédé, par acte notarié, le lot n° 3 d'un ensemble immobilier dénommé " Résidence Les Granges d'Espiaube et la Grange Saint-Hilaire " à M. et Mme A... pour un montant de 123 000 euros. Ce lot, composé d'un bâtiment comprenant des appartements et des emplacements de stationnement couverts ainsi que des 500/10 000èmes de la propriété du sol et des parties communes générales, a été vendu hors d'eau et hors d'air, l'acquéreur faisant son affaire des travaux restant à effectuer tels que les aménagements intérieurs et le raccordement aux différents réseaux. Il résulte de la proposition de rectification adressée à la société Les Granges d'Espiaube que l'administration a obtenu l'autorisation de consulter le dossier concernant l'instruction ouverte par le tribunal de grande instance de Tarbes, sous le n° P10007703 et a exercé son droit de communication le 22 septembre 2014 et il ressort de ce dossier, en particulier des éléments résultant de l'audition des entreprises intervenant sur le chantier, qu'en réalité, le gros-oeuvre était achevé depuis le 14 janvier 2010, qu'à cette date la réalisation du second oeuvre avait déjà débuté et qu'elle a été entièrement réalisée aux frais de cette société appelante, y compris les travaux d'aménagement intérieur (carrelage, plomberie, sanitaires et décoration).

8. La société Le Château soutient, en cause d'appel, qu'eu égard à la contradiction existant entre l'acte de cession notarié et la déclaration d'achèvement des travaux déposée en mairie en décembre 2009, l'administration disposait, à cette dernière date, d'éléments suffisants pour lui permettre, par la mise en oeuvre des procédures d'investigation dont elle dispose, d'établir les insuffisances ou omissions d'impositions en cause. Toutefois, il résulte de l'instruction et n'est, au demeurant, pas contesté, que l'administration n'a eu connaissance de cette déclaration d'achèvement et de conformité que dans l'exercice de son droit de communication, de sorte qu'elle n'avait aucune raison de remettre en cause, antérieurement à l'exercice de ce droit, les conditions financières dans lesquelles a été réalisée cette cession. Par suite, la société appelante n'est pas fondée à soutenir que l'administration ne pouvait pas se prévaloir du droit de reprise spécial prévu à l'article L. 188 C précité du livre des procédures fiscales et, par voie de conséquence, ne peut pas utilement soutenir que le délai de reprise de droit commun de trois ans était expiré à la date à laquelle lui a été adressée la proposition de rectification contestée du 4 février 2015.

9. En second lieu et en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Lorsque l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, soutient qu'une cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale qu'elle a retenue et que le contribuable n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause cette évaluation, elle doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l'acte de cession si le contribuable ne justifie pas que l'appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l'intérêt de l'entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu'elle en ait tiré une contrepartie.

10. Il résulte de l'instruction que l'immeuble dont s'agit a été cédé à M. A... au prix de 123 000 euros pour une surface habitable déclarée de 149 m², soit 825,50 euros/m2. En outre, et ainsi qu'il a été dit au point 6 du présent arrêt, cette cession portait sur un immeuble qui n'était pas hors d'air et hors d'eau mais dont la construction et l'aménagement étaient achevés. Il résulte en outre des éléments recueillis par l'administration dans le cadre de l'exercice de son droit de communication et n'est pas contesté que le prix de cession moyen des logements de la résidence Les Granges d'Espiaube et la Grange Saint-Hilaire s'établissait à la somme de 3 723,35 euros/m2, que l'immeuble cédé à M. A... disposait de prestations intérieures identiques à celles des autres logements de la résidence et que sa surface habitable était " très certainement supérieure à la surface déclarée " ainsi qu'il ressort du rapport d'expertise réalisé en 2019 à la demande de M. A... et fixant la surface habitable à 198 m². Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme établissant que cette cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale de cet immeuble sans que la société Le Château puisse utilement soutenir que l'administration n'a fourni aucune indication quant aux éléments des termes de comparaison qu'elle a retenus et dont M. A..., son gérant, avait, au demeurant, une parfaite connaissance en sa qualité de gérant de la société Les Granges d'Espiaube, ou que cette cession était justifiée par les difficultés de trésorerie que rencontrait cette dernière société, au demeurant sans l'établir, ou encore à se prévaloir du rapport d'expertise susmentionné, lequel n'a d'ailleurs pas été réalisé contradictoirement.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société appelante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à la décharge du supplément d'imposition auquel elle a été assujettie au titre de son exercice clos le 31 décembre 2010. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Le Château et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Ouest.

Délibéré après l'audience du 28 janvier 2021 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

Mme F..., présidente-assesseure,

M. Manuel D..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 février 2021.

Le président de chambre,

Éric Rey-Bèthbéder

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

6

N°19BX00355


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 7ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 19BX00355
Date de la décision : 25/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: M. Manuel BOURGEOIS
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : SCP PIELBERG KOLENC

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-02-25;19bx00355 ?
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