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08/12/2020 | FRANCE | N°18BX02996

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 08 décembre 2020, 18BX02996


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner

le centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers à lui verser une indemnité de 305 712 euros sur le fondement de la responsabilité pour faute, ou à titre subsidiaire de 184 759,50 euros sur le fondement de la responsabilité sans faute, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la sanction disciplinaire de cinq jours d'exclusion de fonctions dont il a fait l'objet.

Par un jugement n° 1600381

du 21 juin 2018, le tribunal a condamné le CHU

de Poitiers à lui verser la somme ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner

le centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers à lui verser une indemnité de 305 712 euros sur le fondement de la responsabilité pour faute, ou à titre subsidiaire de 184 759,50 euros sur le fondement de la responsabilité sans faute, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la sanction disciplinaire de cinq jours d'exclusion de fonctions dont il a fait l'objet.

Par un jugement n° 1600381 du 21 juin 2018, le tribunal a condamné le CHU

de Poitiers à lui verser la somme de 75 408 euros sur le fondement de la responsabilité pour faute, et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 juillet 2018, M. C..., représenté par

la SCP Denizeau, Gaborit, Takhedmit et Associés, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande indemnitaire ;

2°) de condamner le CHU de Poitiers à lui verser une indemnité de 316 820 euros sur le fondement de la responsabilité pour faute, ou à titre subsidiaire de 186 759,50 euros sur le fondement de la responsabilité sans faute, avec intérêts au taux légal à compter du 1er décembre 2015 et capitalisation ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Poitiers une somme de 5 000 euros au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal a retenu la responsabilité pour faute du CHU

de Poitiers à raison de la décision du 23 mars 2012 lui infligeant une sanction disciplinaire de cinq jours d'exclusion de ses fonctions, laquelle a été retirée par décision du 30 novembre 2012 conformément à l'avis de la commission des recours du conseil supérieur de la fonction publique hospitalière estimant que les faits de maltraitance sur personnes âgées reprochés n'étaient pas établis ; à titre subsidiaire la responsabilité sans faute de l'administration pourrait être retenue au titre de la maladie professionnelle ;

- il ne conteste pas la somme de 7 608 euros allouée au titre des pertes de gains professionnels de janvier 2012 à décembre 2014 ;

- sa pathologie professionnelle rend plus précaire son intégration à une équipe de soins, ce qui caractérise un risque de perte d'emploi ; en cas de rechute de la pathologie dépressive, une réorientation professionnelle sera nécessaire ; il est désormais affecté dans un service présentant pour lui un intérêt moindre ; sa pathologie, qui entraîne une fatigabilité accrue, ne lui permet plus d'envisager de devenir infirmier et rend plus difficile l'exercice de son activité ; afin de tenir compte de ces éléments, il sollicite une somme de 122 453 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

- il sollicite, sur le fondement à titre principal de la responsabilité pour faute et à titre subsidiaire de la responsabilité sans faute de l'administration, les sommes de 11 559,50 euros au titre des périodes de déficit fonctionnel temporaire retenues par l'expert, sur la base de 27 euros par jour de déficit fonctionnel total, de 8 000 euros au titre des souffrances endurées évaluées

à 3 sur 7, de 67 200 euros au titre du déficit fonctionnel permanent de 30 %, de 50 000 euros au titre du préjudice d'agrément caractérisé par le renoncement aux loisirs et le repli sur soi, et de 50 000 euros au titre du préjudice sexuel dont l'existence est retenue par l'expert, préjudices que le tribunal ne pouvait inclure dans le déficit fonctionnel temporaire.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 décembre 2019, le CHU de Poitiers, représenté par la SCP KPL Avocats, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de M. C... une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code

de justice administrative.

Il fait valoir que l'indemnisation allouée par le tribunal est suffisante.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Ladoire, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant le CHU de Poitiers.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du directeur général du CHU de Poitiers du 23 mars 2012, M. C..., agent titulaire de la fonction publique hospitalière affecté en qualité d'aide-soignant dans l'unité cognitivo-comportementale du service de soins de suite de cet établissement prenant en charge des patients atteints de la maladie d'Alzheimer, a fait l'objet d'une sanction disciplinaire de suspension de ses fonctions du 2 au 6 avril inclus en raison de plaintes de deux patientes faisant état de mauvais traitements, corroborées par le témoignage verbal d'une infirmière. Par un avis du 9 octobre 2012, la commission des recours de la fonction publique hospitalière, constatant qu'il ne pouvait être établi avec certitude que l'agent dont se plaignait les patientes était bien M. C... et que l'infirmière s'était abstenue de venir témoigner devant le conseil de discipline dont la date avait été pourtant décalée pour lui permettre de le faire, a estimé qu'il n'était pas possible de conclure à la véracité des faits reprochés, et recommandé d'annuler la sanction. Le retrait en a été prononcé par une décision du 30 novembre 2012. La mise en cause du comportement professionnel de l'intéressé a été à l'origine d'un état de stress post-traumatique reconnu comme imputable au service. M. C..., en congé de maladie depuis le 7 avril 2012, a repris ses fonctions à mi-temps thérapeutique le 15 septembre 2014, puis à plein temps à compter du 15 décembre 2014. Après le rejet implicite de sa demande préalable du 1er décembre 2015, M. C... a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande de condamnation du CHU de Poitiers à lui verser une indemnité de 305 712 euros sur le fondement de la responsabilité pour faute, ou à titre subsidiaire de 184 759,50 euros sur le fondement de la responsabilité sans faute. Par un jugement du 21 juin 2018, le tribunal a retenu la responsabilité pour faute du CHU de Poitiers, l'a condamné au versement d'une somme totale de 75 608 euros avec intérêts à compter du 1er décembre 2015 et capitalisation à compter du 1er décembre 2016, et a mis à sa charge 840 euros de frais d'expertise. M. C... relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande indemnitaire.

2. Le CHU de Poitiers ne conteste ni l'engagement de sa responsabilité pour faute à raison de la sanction de cinq jours d'exclusion de fonctions ultérieurement retirée, ni le montant de l'indemnisation mise à sa charge.

3. M. C..., qui ne conteste pas la somme de 7 608 euros allouée par les premiers juges au titre des pertes de gains professionnels de janvier 2012 à décembre 2014, sollicite une somme de 122 453 euros au titre de l'incidence professionnelle. Toutefois, la circonstance que l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a relevé, au titre du retentissement professionnel, que la " sensitivité actualisée par le fait générateur " rendait plus précaire l'intégration de l'intéressé à une équipe de soins n'est pas de nature à caractériser un risque de perte d'emploi pour un fonctionnaire titulaire. La nécessité d'une réorientation professionnelle en cas de rechute de la pathologie dépressive ne présente pas de caractère certain en l'absence d'une telle rechute. Si M. C... invoque un moindre intérêt du travail dans le service de réanimation chirurgicale où il est affecté depuis le 15 octobre 2014, le lien de causalité entre son changement d'affectation et la faute commise par le CHU de Poitiers n'est pas établi. En l'absence de tout commencement de preuve de l'engagement de l'intéressé, avant la sanction fautive, dans la préparation invoquée d'examens pour accéder aux fonctions d'infirmier, l'existence d'une perte de chance de promotion professionnelle n'est pas démontrée. Il résulte cependant de l'instruction que les séquelles du syndrome post-traumatique en lien avec la faute du CHU de Poitiers, évaluées par l'expert à un déficit fonctionnel permanent de 30 %, se caractérisent par une hypervigilance et une dépressivité chronique avec anhédonie, ayant nécessairement pour effet d'accroître la pénibilité du travail. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges n'ont retenu aucun préjudice d'incidence professionnelle. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en fixant son indemnisation à la somme de 5 000 euros.

4. L'expert désigné par le juge des référés a retenu un déficit fonctionnel temporaire de 50 % du 22 novembre 2011 au 6 avril 2012, et à un taux dégressif de 50 % à 30 % du

7 avril 2012 au 14 septembre 2014, ainsi qu'un préjudice sexuel temporaire. Toutefois, le déficit fonctionnel temporaire a nécessairement pris fin le 11 avril 2014, date de consolidation de l'état de santé de M. C.... Il y a lieu d'admettre un préjudice d'agrément temporaire eu égard à l'attestation du compagnon du requérant, selon laquelle il n'a plus d'activité physique depuis la fin de l'année 2011 alors qu'il pratiquait auparavant la natation jusqu'à trois fois par semaine. Si c'est à bon droit que le tribunal a globalisé le déficit fonctionnel temporaire et les préjudices d'agrément et sexuel temporaires, l'évaluation de l'ensemble de ces préjudices ne doit pas être fixée à 15 000 euros, mais à 6 000 euros en retenant une base de 500 euros par mois de déficit fonctionnel total.

5. Il résulte de l'instruction que la sanction fautive a été à l'origine d'un violent vécu d'injustice et d'un effondrement dépressif sévère nécessitant un long suivi psychiatrique. Dans ces circonstances, l'indemnisation des souffrances endurées, évaluées à 3 sur 7 par l'expert, doit être portée de 3 000 à 4 000 euros.

6. Il résulte de l'instruction que le 11 avril 2014, date de consolidation de son état de santé, M. C... était âgé de 43 ans et présentait un déficit fonctionnel permanent de 30 % en raison des séquelles du syndrome de stress post-traumatique caractérisées par une hypervigilance et une dépressivité chronique avec anhédonie. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de ce préjudice en fixant son indemnisation à 49 800 euros.

7. Si l'arrêt des sorties de loisir relève des troubles de toute nature dans les conditions d'existence réparés au titre du déficit fonctionnel permanent, c'est à tort que le tribunal a refusé toute indemnisation du préjudice d'agrément dès lors que celui-ci est caractérisé par l'arrêt de l'activité physique de natation en lien avec l'anhédonie. Il en sera fait une juste appréciation en fixant son indemnisation à la somme de 1 000 euros.

8. Contrairement à ce qu'ont relevé les premiers juges, l'existence d'un préjudice sexuel permanent est justifiée dès lors que l'expert l'a retenu à raison de l'extinction de la libido, cohérente avec l'anhédonie partielle et le vécu de déclin. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en fixant son indemnisation à la somme de 2 000 euros.

9. Il résulte de tout ce qui précède que l'indemnisation des préjudices de M. C... doit être fixée à 75 408 euros. Par suite, le requérant n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a condamné le CHU de Poitiers à lui verser cette somme.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

10. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par suite, les conclusions présentées à cette fin par les parties doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le CHU de Poitiers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... C... et au centre hospitalier universitaire de Poitiers. Copie en sera adressée à la CPAM de Charente-Maritime.

Délibéré après l'audience du 17 novembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme G... D..., présidente,

Mme A... B..., présidente-assesseure,

Mme H..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 décembre 2020.

La rapporteure,

Anne B...

La présidente,

Catherine D...La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

3

N° 18BX02996


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX02996
Date de la décision : 08/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-03 Responsabilité de la puissance publique. Réparation. Évaluation du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme LADOIRE
Avocat(s) : SCP PIELBERG KOLENC

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-12-08;18bx02996 ?
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