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19/05/2020 | FRANCE | N°18BX01688

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 19 mai 2020, 18BX01688


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Energie hydroélectrique de Soule, société à responsabilité limitée, et le syndicat France hydro-électricité ont demandé au tribunal administratif de Pau de réformer l'arrêté du 30 juin 2016 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques a autorisé la société à disposer de l'énergie du cours d'eau Gave du Saison.

Par un jugement n° 1601668 du 27 février 2018, le tribunal administratif de Pau a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête,

enregistrée le 25 avril 2018, la société Energie hydroélectrique de Soule et le syndicat France hydro-élect...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Energie hydroélectrique de Soule, société à responsabilité limitée, et le syndicat France hydro-électricité ont demandé au tribunal administratif de Pau de réformer l'arrêté du 30 juin 2016 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques a autorisé la société à disposer de l'énergie du cours d'eau Gave du Saison.

Par un jugement n° 1601668 du 27 février 2018, le tribunal administratif de Pau a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 avril 2018, la société Energie hydroélectrique de Soule et le syndicat France hydro-électricité, représentés par l'AARPI C... et Cadiou, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 27 février 2018 ;

2°) de modifier l'article 3 de l'arrêté du préfet des Pyrénées-Atlantiques du 30 juin 2016 en fixant un débit réservé de 2,3 m3/s et en rectifiant les erreurs matérielles concernant la cote d'exploitation au seuil ainsi que la cote fil d'eau en amont du seuil et la cote de restitution ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros à verser à la société Energie hydroélectrique de Soule en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les premiers juges n'ont pas exercé leur office de juges de plein contentieux en ne tenant pas compte des faits à la date de leur jugement, en particulier l'absence de changements de données hydrobiologiques entre l'arrêté de 2013 sur la continuité écologique et l'arrêté ici en litige ;

- le débit réservé avait déjà été fixé par arrêté du 4 septembre 2013, à l'occasion de la mise en conformité de la centrale qu'elle exploite avec la règlementation relative à la continuité écologique, et le préfet ne pouvait pas revenir ensuite sur ce qui avait été ainsi fixé et remettre ainsi en cause la fonctionnalité des ouvrages et la rentabilité de l'exploitation ;

- les conditions hydrobiologiques sont restées inchangées depuis l'arrêté du 4 septembre 2013 ;

- la pétitionnaire a produit des études techniques précises et circonstanciées qui militent en faveur de la fixation d'une valeur de 2,3 m3/s de débit réservé ;

- les avis rendus par l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) et l'Agence française pour la biodiversité (AFB) s'appuient sur des références bibliographiques qui ne peuvent avoir une valeur supérieure aux études de terrain produites par la pétitionnaire ;

- la fixation d'une valeur de 2,3 m3/s de débit réservé permet de maintenir en permanence la vie, la reproduction et la circulation des poissons ;

- le plan de gestion des poissons migrateurs (PLAGEPOMI), qui n'a aucune valeur réglementaire, n'est pas opposable aux décisions prises dans le domaine de l'eau ;

- en fixant à 4 m3/s le débit réservé imposé à l'usine en litige, le préfet a méconnu les principes visés aux articles L. 211-1 et L. 110-1 du code de l'environnement et la mesure D1 du schéma directeur de gestion et d'aménagement des eaux Adour Garonne ;

- l'arrêté en litige comporte des erreurs matérielles qu'il convient de rectifier concernant la cote d'exploitation au seuil ainsi que la cote fil d'eau en amont du seuil et la cote de restitution.

Par un mémoire, enregistré le 16 mai 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 16 mai 2019, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 6 juin 2019 à 12h.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'énergie ;

- le code de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Romain Roussel, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., représentant la société Energie hydroélectrique de Soule et le syndicat France hydro-électricité.

Considérant ce qui suit :

1. La société Energie hydroélectrique de Soule exploite une centrale hydroélectrique à Mauléon (Pyrénées-Atlantiques) sur le gave du Saison, pour partie fondée en titre et soumise à autorisation pour le surplus. Le 12 août 2013, elle a déposé une demande de régularisation en vue d'obtenir le renouvellement de son autorisation d'utiliser l'énergie hydroélectrique du gave. Par arrêté du 30 juin 2016, le préfet des Pyrénées-Atlantiques lui a délivré cette autorisation. La société Energie hydroélectrique de Soule et le syndicat France hydro-électricité, syndicat professionnel ayant pour objet notamment de défendre les intérêts des acteurs de la production d'énergie hydroélectrique, relèvent appel du jugement du 27 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande tendant à la réformation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, les premiers juges ont procédé à l'examen de l'ensemble des données qui leurs étaient soumises à la date du jugement attaqué, en particulier les études produites par les requérants. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le tribunal n'aurait pas exercé son office de juge de plein contentieux ne peut qu'être écarté.

Au fond :

3. Aux termes du I de l'article L. 214-18 du code de l'environnement : " Tout ouvrage à construire dans le lit d'un cours d'eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l'installation de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, des dispositifs empêchant la pénétration du poisson dans les canaux d'amenée et de fuite. / Ce débit minimal ne doit pas être inférieur au dixième du module du cours d'eau en aval immédiat ou au droit de l'ouvrage correspondant au débit moyen interannuel, évalué à partir des informations disponibles portant sur une période minimale de cinq années, ou au débit à l'amont immédiat de l'ouvrage, si celui-ci est inférieur (...) ".

4. Par deux arrêtés du préfet de la région Midi-Pyrénées, préfet coordonnateur du bassin Adour-Garonne, du 7 octobre 2013, le gave du Saison a été inscrit, d'une part, sur la liste, prévue au 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, des cours d'eau en très bon état écologique dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs est nécessaire et, d'autre part, sur celle, prévue au 2° du I du même article, des cours d'eau dans lesquels il est nécessaire d'assurer la circulation des poissons migrateurs. Le gave du Saison est également inscrit comme site Natura 2000 d'intérêt communautaire, en particulier pour le saumon atlantique. Il est encore identifié par le schéma directeur de gestion et d'aménagement des eaux Adour-Garonne comme axe à grands migrateurs amphihalins.

5. Par l'arrêté en litige, le préfet a notamment fixé le débit minimal à maintenir en aval immédiat de la prise d'eau de la centrale à 2,3 m3 par seconde puis à 4 m3 par seconde à compter du 1er janvier 2018.

6. Il est constant que le module du gave du Saison est évalué entre 22 et 25 m3 par seconde. Il est également constant qu'un débit de 2,3 m3 par seconde correspond au dixième d'un module de 23 m3 par seconde, soit le seuil minimal imposé par les dispositions citées au point 3 de l'article L. 214-18 du code de l'environnement. Le débit de 4 m3 par seconde fixé en l'espèce par le préfet correspond à 17% de ce module.

7. Si, par arrêté du 4 septembre 2013, à l'occasion de l'autorisation de travaux de mise en conformité des installations de la centrale en litige, telles que les dispositifs de montaison et de dévalaison ou la passe à canoë-kayak, afin d'assurer la continuité écologique du gave du Saison, le préfet a fixé le débit minimum à 2,3 m3 par seconde, il s'est borné à imposer le minimum fixé par l'article L. 214-18 du code de l'environnement, tel qu'issu de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006, dans l'attente de la production, par la société requérante, d'un dossier de régularisation en vue d'obtenir le renouvellement de son autorisation d'utiliser l'énergie hydroélectrique du gave. Dès lors, la circonstance que les conditions hydrobiologiques sont restées inchangées depuis l'arrêté du 4 septembre 2013 est sans incidence sur la fixation du débit minimum par l'arrêté en litige.

8. Il résulte de l'instruction que l'installation en litige est implantée en aval d'importantes zones de frayères pour le saumon. Pour fixer le débit minimum à 4 m3 par seconde le préfet s'est appuyé sur différentes études, prises en compte par l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) devenue l'Agence française pour la biodiversité (AFB), dont il ressort, d'une part, que le débit proposé par la pétitionnaire est particulièrement faible par rapport au débit naturel d'étiage, évalué à 3,5 m3 par seconde, non contesté par les requérants, et, d'autre part, qu'un débit de l'ordre de 5 m3 par seconde environ est nécessaire pour ne pas dégrader les conditions d'habitat pour les juvéniles de saumon atlantique, et qu'un débit de 8 m3 par seconde permet de maximiser l'habitat pour la truite fario adulte. Ces analyses soulignent la longueur du tronçon court-circuité, d'environ 2 950 mètres, et la nécessité de maintenir sur ce tronçon un débit qui ne soit pas excessivement éloigné de l'hydrologie naturelle afin de ne pas dégrader de façon significative les habitats des espèces présentes. A cet égard, d'une part, si l'arrêté en litige mentionne le plan de gestion des poissons migrateurs (PLAGEPOMI) Adour cours d'eau côtiers 2015-2019, auquel fait référence le schéma directeur de gestion et d'aménagement des eaux Adour Garonne, il résulte de l'instruction qu'il n'y a été fait référence que comme à un élément d'appréciation concernant le débit naturel d'étiage. Le préfet, qui n'a pas considéré ce plan comme une règle de droit juridiquement opposable, n'a donc pas entaché sa décision d'erreur de droit. D'autre part, il résulte des éléments de l'instruction, et notamment des études techniques de l'ONEMA et de l'Agence française pour la biodiversité, qu'une fois des erreurs méthodologiques corrigées, les études produites par la pétitionnaire conduisent à retenir un débit réservé identique à celui fixé par l'arrêté en litige. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que le débit réservé de 4 m3 par seconde au droit de la centrale en litige, retenu par le préfet, correspondrait à une évaluation excessive du débit garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux concernées.

9. L'article L. 110-1 du code de l'environnement énonce que " le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable " et précise que ce principe " implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ". Selon l'article L. 211-1 du même code, la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau vise non seulement à assurer " la valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource " mais également " le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques " et doit permettre de satisfaire l'exigence " de la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole ".

10. L'autorité administrative doit s'opposer aux installations, ouvrages, travaux et activités s'ils porteraient aux intérêts mentionnés à l'article L. 211-1 du code de l'environnement une atteinte telle qu'aucune prescription ne permettrait d'y remédier.

11. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, quand bien même l'arrêté en litige aurait des conséquences financières sur l'exploitation de la centrale en litige, le débit réservé de 4 m3 par seconde au droit de la centrale en litige, retenu par le préfet, ne porte pas atteinte aux intérêts mentionnés aux articles cités au point 9.

12. Si l'orientation D1 du schéma directeur de gestion et d'aménagement des eaux Adour Garonne tend à " équilibrer le développement de la production hydroélectrique et la préservation des milieux aquatiques ", l'orientation D34 tend à " préserver et restaurer les zones de reproduction des espèces amphihalines ".

13. En vertu du XI de l'article L. 212-1 et de l'article L. 212-5-2 du code de l'environnement, les décisions administratives prises dans le domaine de l'eau, dont celles prises au titre de la police de l'eau en application des articles L. 214-1 et suivants du même code, sont soumises à une simple obligation de compatibilité avec le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). Pour apprécier cette compatibilité, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d'une analyse globale le conduisant à se placer à l'échelle du territoire pertinent pour apprécier les effets du projet sur la gestion des eaux, si l'autorisation ne contrarie pas les objectifs et les orientations fixés par le schéma, en tenant compte de leur degré de précision, sans rechercher l'adéquation de l'autorisation au regard de chaque orientation ou objectif particulier.

14. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, quand bien même l'arrêté en litige aurait des conséquences financières sur l'exploitation de la centrale en litige, le débit réservé de 4 m3 par seconde au droit de la centrale en litige, retenu par le préfet, n'est pas incompatible avec le SDAGE Adour-Garonne.

15. Enfin, si les requérants demandent à la cour de modifier l'arrêté en litige concernant la cote d'exploitation au seuil ainsi que la cote fil d'eau en amont du seuil et la cote de restitution, il ne résulte pas de l'instruction que ces dispositions seraient affectées d'erreurs matérielles.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la société Energie hydroélectrique de Soule et le syndicat France hydro-électricité ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à la réformation de l'arrêté du préfet des Pyrénées-Atlantiques du 30 juin 2016. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, leurs conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Energie hydroélectrique de Soule et du syndicat France hydro-électricité est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Energie hydroélectrique de Soule, au syndicat France hydro-électricité et au ministre de la transition écologique et solidaire. Copie sera transmise au préfet des Pyrénées-Atlantiques.

Délibéré après l'audience du 10 mars 2020 à laquelle siégeaient :

Mme B... A..., présidente,

M. Frédéric Faïck, président assesseur,

M. Romain Roussel, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 19 mai 2020.

La présidente,

Elisabeth A... La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX01688


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX01688
Date de la décision : 19/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Eaux - Énergie hydraulique (voir : Energie).

Energie - Énergie hydraulique.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: M. Romain ROUSSEL
Rapporteur public ?: Mme PERDU
Avocat(s) : CABINET LARROUY-CASTERA ET CADIOU

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-05-19;18bx01688 ?
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