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20/02/2020 | FRANCE | N°18BX00341

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 7ème chambre (formation à 3), 20 février 2020, 18BX00341


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... et Mmes C... et E... B... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 24 juin 2015 déclarant d'utilité publique l'expropriation de la parcelle cadastrée ZH5 situé La Prise des Barres sur le territoire de la commune de Loix (Île de Ré).

Par un jugement n° 1502120 du 25 octobre 2017, le tribunal administratif de Poitiers a fait droit à leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le

26 janvier 2018, le ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour :

1°)...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... et Mmes C... et E... B... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 24 juin 2015 déclarant d'utilité publique l'expropriation de la parcelle cadastrée ZH5 situé La Prise des Barres sur le territoire de la commune de Loix (Île de Ré).

Par un jugement n° 1502120 du 25 octobre 2017, le tribunal administratif de Poitiers a fait droit à leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 janvier 2018, le ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 25 octobre 2017 ;

2°) de rejeter la demande des consorts B....

Il soutient que :

- le dossier d'enquête publique exposait précisément les motifs pour lesquels les services de l'État considèrent qu'un dispositif d'alerte et d'évacuation des personnes serait inefficient ; en conséquence, le préfet n'a pas commis d'irrégularité en n'indiquant pas dans le dossier d'enquête publique l'évaluation des délais d'alerte et d'évacuation ;

- en tout état de cause, si irrégularité il y a, elle n'a pas eu pour effet de priver les personnes intéressées d'une garantie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mai 2018, les consorts B..., représentés par la SCP H...-Kolenc, concluent au rejet de la requête et font valoir que les moyens ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 30 août 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 30 septembre 2019 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement ;

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme I...,

- les conclusions de M. F... G...,

- et les observations de Me H..., représentant les consorts B....

Considérant ce qui suit :

1. Dans la nuit du 27 au 28 février 2010, la tempête " Xynthia " s'est abattue sur la France, causant de très importants dégâts, notamment dans la commune de Loix, située dans l'île de Ré. À la suite de différentes études établissant la menace grave sur la vie humaine à laquelle sont exposés les habitants de la maison sise sur la parcelle ZH 5, au lieu-dit " La Prise des Barres ", l'État a formulé une proposition d'acquisition amiable de cette parcelle à ses propriétaires, les consorts B..., puis, devant le refus de ces derniers, le préfet de la Charente-Maritime, par arrêté du 24 juin 2015, a déclaré d'utilité publique l'expropriation de cette parcelle. Le ministre de la transition écologique et solidaire relève appel du jugement du 25 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Poitiers, à la demande des consorts B..., a annulé cet arrêté.

2. Aux termes de l'article L. 561-1 du code de l'environnement : " Sans préjudice des dispositions prévues au 5° de l'article L. 2212-2 et à l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, lorsqu'un risque prévisible de mouvements de terrain, ou d'affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d'avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide ou de submersion marine menace gravement des vies humaines, l'État peut déclarer d'utilité publique l'expropriation par lui-même, les communes ou leurs groupements, des biens exposés à ce risque, dans les conditions prévues par le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et sous réserve que les moyens de sauvegarde et de protection des populations s'avèrent plus coûteux que les indemnités d'expropriation.(...) ". Aux termes de l'article R. 561-2 du même code : " I. Le préfet engage la procédure d'expropriation à la demande des ministres chargés, respectivement, de la prévention des risques majeurs, de la sécurité civile et de l'économie. / II. Le dossier soumis à l'enquête publique en application de l'article R. 112-5 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique est complété par une analyse des risques décrivant les phénomènes naturels auxquels les biens sont exposés, et permettant d'apprécier l'importance et la gravité de la menace qu'ils présentent pour les vies humaines au regard notamment des critères suivants : / 1° Les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles le phénomène naturel est susceptible de se produire ; / 2° L'évaluation des délais nécessaires à, d'une part, l'alerte des populations exposées et, d'autre part, leur complète évacuation. / III. Cette analyse doit également permettre de vérifier que les autres moyens envisageables de sauvegarde et de protection des populations s'avèrent plus coûteux que les indemnités d'expropriation ".

3. Pour prononcer l'annulation de l'arrêté du 24 juin 2015, les premiers juges se sont fondés sur la circonstance que le dossier soumis à enquête publique ne comportait aucune évaluation, même approximative, du délai entre l'information des autorités sur un risque de submersion et sa diffusion auprès des populations, ni du délai nécessaire à l'évacuation des personnes exposées au risque de submersion marine dans la maison des requérants, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 561-2 du code de l'environnement, et que cela avait privé les intéressés d'une garantie.

4. Toutefois, le dossier soumis à enquête publique indique clairement qu'aucun moyen de protection et de sauvegarde efficace des occupants de la parcelle en cause n'était réalisable, en raison de l'importance du risque de submersion, de la rapidité de la montée des eaux et des difficultés d'accès à la parcelle, la route départementale la desservant ayant été totalement submergée pendant la tempête, isolant la construction du reste de l'île. Le dossier comporte à cet égard un chapitre V, intitulé " Coût et efficacité des moyens de protection et de sauvegarde ", qui explique longuement l'inefficacité de la mise en place de tels moyens. Par suite, en l'absence de moyen de sauvegarde efficace des populations concernées, le dossier d'enquête publique n'avait pas à comporter d'évaluation des délais nécessaires à l'information et à l'évacuation des habitants de la parcelle en cause, ni à chiffrer le coût des mesures de sauvegarde.

5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur l'incomplétude du dossier d'enquête publique pour annuler l'arrêté litigieux. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les consorts B... devant le tribunal administratif de Poitiers et la cour.

6. En premier lieu, les requérants se prévalent du § 2 de l'article 6 de la convention d'Aarhus du 25 juin 1998, aux termes duquel " Lorsqu'un processus décisionnel touchant l'environnement est engagé, le public concerné est informé comme il convient, de manière efficace et en temps voulu par un avis au public ou individuellement, selon le cas, au début du processus (...) ". Ils font valoir que l'arrêté litigieux a été pris sur la base d'un zonage établi par l'État et mettant en relief les zones les plus exposées au danger de submersion marine, dites zones de solidarité, et qu'ils n'ont pas été informés de l'établissement de ce zonage, en violation de ces stipulations.

7. Toutefois, l'arrêté du 24 juin 2015 ne constitue pas une décision touchant l'environnement au sens de ces stipulations. Par suite, le moyen doit être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 112-5 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de l'acquisition d'immeubles, ou lorsqu'elle est demandée en vue de la réalisation d'une opération d'aménagement ou d'urbanisme importante et qu'il est nécessaire de procéder à l'acquisition des immeubles avant que le projet n'ait pu être établi, l'expropriant adresse au préfet du département où sont situés les immeubles, pour qu'il soit soumis à l'enquête, un dossier comprenant au moins : (...) 4° L'estimation sommaire du coût des acquisitions à réaliser ". Aux termes de l'article R. 1211-3 du code général de la propriété des personnes publiques " En cas d'acquisition poursuivie par voie d'expropriation pour cause d'utilité publique, l'expropriant est tenu de demander l'avis du directeur départemental des finances publiques : / 1° Pour produire, au dossier de l'enquête mentionnée à l'article L. 110-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, l'estimation sommaire et globale des biens dont l'acquisition est nécessaire à la réalisation des opérations prévues aux articles R. 112-4 et R. 112-5 du même code (...) ".

9. Ces dispositions n'imposent pas aux collectivités et services expropriants, déjà titulaires d'un avis du directeur départemental des finances publiques sur la valeur d'une parcelle, de procéder à une seconde saisine de ce service pour actualiser l'avis. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'avis du service des domaines du 21 mai 2010 aurait dû faire l'objet d'une actualisation pour établir l'estimation sommaire du coût de l'acquisition doit être écarté.

10. En troisième lieu, les consorts B... font valoir que la décision d'exproprier leur parcelle repose sur la création, à la suite du passage de la tempête Xynthia, de " zones de solidarité ", considérées comme particulièrement exposées au risque de submersion. Ils soutiennent que le niveau de dangerosité a été déterminé en fonction de critères critiquables, tenant surtout à la hauteur que l'eau a atteinte dans les parcelles lors de la tempête, alors que cette hauteur aurait été uniquement appréciée au regard des relevés du marégraphe du port de La Palice, lequel fonctionnerait de façon aléatoire, et que le seuil d'un mètre d'eau retenu résulterait d'une appréciation purement administrative et non étayée par des données scientifiques.

11. Il est toutefois constant que la parcelle en cause a été entièrement submergée pendant la tempête, ainsi que la route départementale qui la relie au reste de l'île, privant ainsi les secours de tout accès terrestre. Il ressort, de plus, des pièces du dossier, et notamment du rapport du conseil général de l'environnement et du développement durable du 15 janvier 2011, que les maisons isolées situées dans le marais " ont des altitudes de seuil inférieures à 2,70 A... alors que le niveau de l'eau atteint au moins 3,80 et pourrait approcher 4,50 M A... ", et qu'une protection fiable de ces maisons est " manifestement hors de portée ". En outre, le dossier d'enquête publique mentionne que " l'existence d'un événement d'ampleur supérieure à celle de Xynthia est possible : l'événement est rare mais non exceptionnel ", et l'avis du commissaire enquêteur relève que " l'ensemble du dispositif de défense contre la mer a été submergé. La commune a retrouvé une situation insulaire, isolant les habitants du reste de l'île de Ré. (...) à l'ouest du bourg, la submersion a envahi l'ensemble du secteur composé essentiellement de marais. Les digues de marais situées à l'ouest du bourg, ont subi des ruptures et ont été érodées sur environ 550 m de long (...) le système de protection collective existant ne suffit pas à protéger la maison située en zone de solidarité " et insiste sur l'impossibilité d'évacuer cette maison dans des conditions satisfaisantes. Ainsi, nonobstant la circonstance alléguée par les consorts B... selon laquelle l'eau n'aurait jamais atteint un mètre dans leur maison mais au plus 84 cm, c'est à bon droit que le préfet de la Charente-Maritime, au vu de la menace grave que le risque de submersion marine faisait peser sur les vies humaines, a décidé, en application des dispositions de l'article L. 561-1 du code de l'environnement, d'exproprier la parcelle en cause.

12. Il résulte de ce qui précède que le ministre de la transition écologique et solidaire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 24 juin 2015. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter les conclusions des consorts B... tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 25 octobre 2017 est annulé.

Article 2 : La demande portée par les consorts B... devant le tribunal administratif de Poitiers est rejetée.

Article 3 : Les conclusions des consorts B... tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B..., à Mme C... B..., à Mme E... B... et au ministre de la transition écologique et solidaire.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2020 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

Mme I..., présidente-assesseure,

Mme Florence Madelaigue, premier-conseiller.

Lu en audience publique, le 20 février 2020.

La rapporteure,

I...Le président,

Éric Rey-Bèthbéder

La greffière,

Camille Péan

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 18BX00341 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 7ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 18BX00341
Date de la décision : 20/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

34-02 Expropriation pour cause d'utilité publique. Règles générales de la procédure normale.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Frédérique MUNOZ-PAUZIES
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : SCP PIELBERG KOLENC

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-02-20;18bx00341 ?
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