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14/11/2019 | FRANCE | N°17BX03552

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 7ème chambre (formation à 3), 14 novembre 2019, 17BX03552


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MM. C... H... et D... du Réau ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 6 octobre 2014 par lequel le préfet des Deux-Sèvres a déclaré d'utilité publique la création d'un chemin de randonnée et sa décision du 6 février 2015 rejetant le recours gracieux.

Par un jugement n° 1500851 du 13 septembre 2017, le tribunal administratif a fait droit à leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 15 novembre et

21 décembre 2017 et le 14 décembre 2018, le ministre de la cohésion des territoires et des relation...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MM. C... H... et D... du Réau ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 6 octobre 2014 par lequel le préfet des Deux-Sèvres a déclaré d'utilité publique la création d'un chemin de randonnée et sa décision du 6 février 2015 rejetant le recours gracieux.

Par un jugement n° 1500851 du 13 septembre 2017, le tribunal administratif a fait droit à leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 15 novembre et 21 décembre 2017 et le 14 décembre 2018, le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée devant les premiers juges par MM. H... et du Réau.

Il soutient que :

- les premiers juges ont entaché la régularité de leur jugement en ne communiquant pas la requête à la commune de Mauléon, bénéficiaire de la déclaration d'utilité publique, en méconnaissance de l'article R. 611-1 du code de justice administrative ;

- le jugement vise le code général des collectivités territoriales alors qu'il n'en fait pas application, et méconnaît ainsi l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;

- les premiers juges se sont bornés à indiquer dans les visas qu'il " " conclut au rejet de la requête " et " fait valoir que les moyens de la requête sont infondés " et n'ont pas répondu à ses moyens ;

- la demande était tardive et il appartenait au tribunal administratif de le soulever d'office ;

- M. du Réau était dépourvu d'intérêt à agir contre la décision du 6 février 2015 ;

- les premiers juges ont commis une erreur de droit en se fondant à la fois sur le I et le II de l'article R. 11-3 pour prononcer l'annulation de la déclaration d'utilité publique ;

- l'appréciation sommaire des dépenses figurant dans le dossier d'enquête publique n'était pas dépourvue de sincérité, dès lors qu'il existe une marge d'erreur qui est admise par la jurisprudence ;

- l'appréciation sommaire des dépenses ne doit pas comporter les dépenses de personnel correspondant à des travaux en régie, quand bien même ils auraient pour objet la réalisation du projet, dès lors que ces charges, en tant qu'elles concernent des agents publics, auraient été de toutes les façons supportées par l'autorité expropriante.

Par des mémoires, enregistrés les 1er octobre 2018 et 4 janvier 2019, la commune de Mauléon, représentée par la SCP KPL avocats, conclut à l'annulation du jugement attaqué et fait valoir que :

- la différence de 15 635 euros entre l'appréciation sommaire des dépenses et les coûts évalués des dépenses afin de bénéficier d'une subvention (soit 5 % du montant total du coût de l'opération) ne saurait constituer une sous-évaluation manifeste des travaux à réaliser ;

- au regard de leur objectif et leur régime juridique différent, il apparaît difficile de pouvoir comparer les coûts des travaux relevant d'un dossier de demande de déclaration d'utilité publique et ceux relevant d'une demande de subvention ;

- M. du Réau était tardif pour contester l'arrêté du 6 octobre 2014 qui lui a été notifié par AR le 26 octobre 2014 ;

Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 novembre et 17 décembre 2018 et le 6 février 2019, MM. H... et du Réau, représentés par Me F..., concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'État.

Ils font valoir que :

- la requête est irrecevable faute de délégation reçue par son signataire ;

- les moyens ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 7 février 2019, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 11 mars 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme I...,

- les conclusions de M. Normand, rapporteur public ;

- et les observations de Me B..., représentant la commune de Mauléon.

Considérant ce qui suit :

1. Par délibération du 13 mars 2013, le conseil municipal de la commune de Mauléon a décidé d'engager une procédure d'expropriation en vue de l'aménagement de chemins de randonnée sur une distance totale de 140 kilomètres. Par arrêté du 6 octobre 2014, le préfet des Deux-Sèvres a déclaré d'utilité publique, au bénéfice de la commune de Mauléon, le projet de création d'un schéma de sentiers de randonnée sur le territoire des communes de Mauléon et de Saint-Amand-sur-Sèvre et déclaré cessibles les parcelles nécessaires à sa réalisation. MM. C... H... et D... du Réau ont demandé au tribunal administratif de Poitiers l'annulation de l'arrêté du 6 octobre 2014 et de la décision du 6 février 2015 du préfet des Deux-Sèvres de rejet du recours gracieux de M. H.... Le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales relève appel du jugement du 13 septembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 6 octobre 2014 et la décision du 6 février 2015.

Sur la recevabilité de la requête :

2. Par une décision du 6 octobre 2017 régulièrement publiée au Journal officiel de la République française du 8 octobre 2017, M. A..., administrateur civil chargé de mission au service du conseil juridique et du contentieux, a reçu délégation à " effet de signer, au nom du ministre de l'intérieur, dans la limite de ses attributions, (...) les recours et mémoires en défense devant les juridictions, y compris le Tribunal des conflits et le Conseil d'État. " Par suite, la fin de non-recevoir tirée du défaut de délégation de signature à l'auteur de la requête doit être écartée.

Sur la régularité du jugement :

3. Les premiers juges n'ont pas appelé à l'instance la commune de Mauléon, pourtant bénéficiaire de la déclaration d'utilité publique litigieuse. Dès lors, le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales est fondé à soutenir que le jugement est irrégulier. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens relatifs à la régularité du jugement, le jugement attaqué doit être annulé.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. H... et M. du Réau devant le tribunal administratif de Poitiers.

Sur la recevabilité de la demande :

5. Lorsque, par un même arrêté, l'autorité administrative d'une part, déclare une opération d'utilité publique et d'autre part, déclare cessibles les terrains concernés, le délai de recours contentieux à l'encontre des dispositions de cet arrêté commence à courir à compter de son affichage en ce qu'elles déclarent d'utilité publique l'opération envisagée et à compter de sa notification en ce qu'elles déclarent cessibles les parcelles nécessaires à sa réalisation.

6. Il est constant que l'arrêté préfectoral du 6 octobre 2014 a été affiché en mairie à compter du 23 octobre 2014 et que MM. du Réau et H..., en leur qualité de propriétaires de parcelles déclarées cessibles, en ont reçu notification le 22 octobre 2014. Dès lors, la demande enregistrée au greffe du tribunal administratif de Poitiers le 1er avril 2015 était irrecevable en tant qu'elle était présentée par M. du Réau. Si ce dernier soutient que le mémoire introductif d'instance devant les premiers juges précisait qu'il intervenait " à l'appui " des conclusions de M. H..., et qu'il doit être regardé comme un intervenant, une telle intervention était également irrecevable, faute d'avoir été présentée par mémoire distinct, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 632-1 du code de justice administrative.

7. En revanche, il ressort des pièces du dossier que, dans le délai de recours contentieux, le 9 décembre 2014, M. H... a saisi le préfet des Deux-Sèvres d'un recours gracieux, qui, contrairement à ce que soutient le ministre, n'était pas dirigé contre la seule déclaration de cessibilité des parcelles, mais portait également sur la déclaration d'utilité publique. Ce recours gracieux ayant prorogé le délai de recours contentieux, la demande en tant qu'elle était présentée par M. H... n'était pas tardive.

Sur la légalité de l'arrêté du préfet des Deux-Sèvres du 6 octobre 2014 :

8. Aux termes de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " L'expropriant adresse au préfet pour être soumis à l'enquête un dossier qui comprend obligatoirement : / I. - Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d'ouvrages : (...) 5° L'appréciation sommaire des dépenses (...) ". Cette obligation a pour objet de permettre à tous les intéressés de s'assurer que les travaux ou ouvrages envisagés, ont, compte tenu de leur coût total réel, tel qu'il peut être raisonnablement apprécié à la date de l'enquête, un caractère d'utilité publique.

9. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'issue des enquêtes publiques conjointes qui se sont déroulées du 12 septembre au 13 octobre 2013, l'une relative à l'utilité publique du projet et l'autre, parcellaire, afin de déterminer avec précision les immeubles nécessaires à sa réalisation, le commissaire enquêteur a émis, le 28 octobre 2013, un avis favorable assorti d'une réserve s'agissant du tracé de la boucle n° 8, la proportion d'engins agricoles empruntant une portion de ce chemin étant selon lui de nature à rendre son utilisation dangereuse pour les randonneurs. Deux enquêtes publiques conjointes et complémentaires ont alors été organisées du 23 juillet au 6 août 2014. L'appréciation sommaire des dépenses figurant au dossier soumis à ces nouvelles enquêtes comprend le montant des travaux déjà réalisés et à réaliser, celui des acquisitions foncières, le temps de travail des agents municipaux ainsi que les frais administratifs des enquêtes publiques, pour une estimation totale des dépenses de 278 637 euros TTC. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le département des Deux-Sèvres a décidé de verser des subventions pour la réalisation de l'itinéraire de randonnée, à concurrence de 40 % du montant hors taxe des actions subventionnables et que, par des délibérations de sa commission permanente en date des 10 juillet 2009, 19 novembre 2009, 19 novembre 2012, 18 novembre 2013, le département des Deux-Sèvres, au vu des dépenses prévisionnelles qui lui étaient présentées, a accordé des subventions de 9 500 euros, 33 942 euros, 37 913 euros et de 46 115 euros, soit une subvention totale de 127 470 euros, représentant 40 % du montant de travaux subventionnables, soit 318 675 euros HT. Ainsi, à la date de la seconde enquête publique, la commune de Mauléon ne pouvait ignorer que le coût des travaux serait supérieur de plus de 36 % à la somme de 278 637 euros TTC, soit 232 974 euros HT, figurant dans l'appréciation sommaire des dépenses du dossier d'enquête publique. Par suite, dans les circonstances de l'espèce, M. H... est fondé à soutenir que l'appréciation sommaire des dépenses a été manifestement sous-évaluée, ce qui a été de nature à nuire à l'information du public s'agissant de l'utilité publique des travaux.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. H... est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 6 octobre 2014 par lequel le préfet des Deux-Sèvres a déclaré d'utilité publique la création d'un chemin de randonnée. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État, au profit de M. H..., la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 1500851 du 13 septembre 2017 est annulé.

Article 2 : La demande portée devant le tribunal administratif de Poitiers est irrecevable en tant qu'elle émane de M. du Réau.

Article 3 : L'arrêté du 6 octobre 2014 par lequel le préfet des Deux-Sèvres a déclaré d'utilité publique le projet de création d'un schéma de sentiers de randonnée sur le territoire des communes de Mauléon et de Saint-Amand-sur-Sèvre et déclaré cessibles les parcelles nécessaires à sa réalisation est annulé.

Article 4 : L'État versera à M. H... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, à la commune de Mauléon, à M. C... H... et à M. D... du Réau.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2019 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

Mme J..., présidente-assesseure,

Mme E... G..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 14 novembre 2019.

La rapporteure,

J...Le président

Éric Rey-Bèthbéder

La greffière,

Camille Péan

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 17BX03552 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 7ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 17BX03552
Date de la décision : 14/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

34-02-01-01-01-03 Expropriation pour cause d'utilité publique. Règles générales de la procédure normale. Enquêtes. Enquête préalable. Dossier d'enquête. Appréciation sommaire des dépenses.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Frédérique MUNOZ-PAUZIES
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : GENDREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-11-14;17bx03552 ?
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