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17/10/2019 | FRANCE | N°19BX02081,19BX02082

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 17 octobre 2019, 19BX02081,19BX02082


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les arrêtés du 18 mars 2019 par lesquels le préfet de la Haute-Garonne, d'une part, a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et, d'autre part, l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1901464 du 22 mars 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé ces deux arrêtés.

Procédure devant la cour :

I. Par

une requête enregistrée le 24 mai 2019, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les arrêtés du 18 mars 2019 par lesquels le préfet de la Haute-Garonne, d'une part, a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et, d'autre part, l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1901464 du 22 mars 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé ces deux arrêtés.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 24 mai 2019, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 22 mars 2019.

Il soutient que :

- c'est à tort que le magistrat désigné a considéré que l'Italie n'était pas en mesure d'accueillir M. B... et d'examiner sa demande dans le respect de ses droits fondamentaux ;

- l'état de santé de l'intéressé ne fait pas obstacle à son transfert.

II. Par une requête enregistrée le 24 mai 2019, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 22 mars 2019.

Il soutient que l'exécution du jugement de première instance aurait des conséquences difficilement réparables et soulève les mêmes moyens que ceux développés au soutien de la requête n° 19BX02081.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a décidé, en application de l'article R. 222-29 du code de justice administrative, d'inscrire la demande de sursis à exécution présentée par le préfet de la Haute-Garonne au rôle d'une chambre siégeant en formation de jugement.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant guinéen né le 14 janvier 2000, qui a déclaré être entré irrégulièrement en France le 13 juin 2018, a présenté, le 13 juillet 2018, une demande d'asile auprès de la préfecture de la Haute-Garonne. Toutefois, le relevé de ses empreintes a fait apparaître qu'il avait fait l'objet d'un contrôle de police en Italie le 1er juin 2018. L'administration a donc saisi les autorités italiennes d'une demande de prise en charge qui a été implicitement acceptée le 7 octobre 2018. Par deux arrêtés du 18 mars 2019, le préfet de la Haute-Garonne a décidé du transfert de M. B... aux autorités italiennes et a prononcé à son encontre une mesure d'assignation à résidence. Par la requête enregistrée sous le n° 19BX02081 le préfet de la Haute Garonne relève appel du jugement du 22 mars 2019, notifié au préfet le 6 mai 2019, par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé ces deux arrêtés et lui a enjoint de délivrer à M. B..., dans un délai de deux semaines, une attestation de demandeur d'asile selon la procédure normale valant autorisation provisoire de séjour en France. Par la requête enregistrée sous le n° 19BX02082, le préfet demande à la cour de prononcer le sursis à exécution de ce jugement.

2. Les requêtes enregistrées sous les nos 19BX02081 et 19BX02082 présentent à juger des mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.

Sur la requête n° 19BX02081 :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le premier juge :

3. En vertu de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 lorsque le demandeur d'asile a franchi irrégulièrement la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Aux termes de l'article 3 de ce règlement : " (...) 2. (...). / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Par ailleurs, en vertu de l'article 17 de ce règlement chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. Toutefois, une telle faculté est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

4. En l'espèce, pour annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne décidant le transfert de M. B... aux autorités italiennes et, par voie de conséquence, l'arrêté l'assignant à résidence, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a considéré que le préfet avait commis une erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2019 du 26 juin 2013.

5. Toutefois, l'Italie étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à celles de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si les rapports d'information émanant d'organisations non gouvernementales et les articles de presse produits par M. B... devant le tribunal font état des difficultés rencontrées par l'Italie pour faire face à un afflux de migrants, ils ne suffisent pas à caractériser l'existence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile, notamment en ce qui concerne l'accès aux soins. De même, ces documents, qui ne contiennent que des informations d'ordre général, ne sont pas, à eux seuls, de nature à permettre de laisser supposer que M. B... ne pourra pas voir sa demande d'asile examinée dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par ailleurs, si M. B... a produit devant le tribunal deux certificats médicaux établis par une psychologue clinicienne indiquant qu'il souffre d'importants troubles somatiques et psychologiques, ces documents ne permettent pas, à eux seuls, eu égard aux termes dans lesquels ils sont rédigés, de considérer que l'état de santé de M. B... ferait obstacle à son départ pour l'Italie ni qu'il ne pourrait pas bénéficier dans ce pays d'une prise en charge appropriée à ces troubles. Il en est de même du certificat établi le 19 mars 2019 par un médecin généraliste et du compte rendu de passage aux urgences daté du 21 mars 2019. Dans ces conditions, le transfert de M. B... vers l'Italie ne peut être regardé comme étant susceptible d'entraîner des conséquences graves pour son état de santé ou de l'exposer à un risque personnel de traitement inhumain ou dégradant. Par suite, le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2019 du 26 juin 2013.

6. Dans ces conditions, le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé, pour ce motif, l'arrêté contesté du 18 mars 2019 ordonnant le transfert de M. B... vers l'Italie ainsi que, par voie de conséquence, l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.

7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Toulouse et la cour.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Toulouse :

8. Les décisions contestées visent les textes dont il est fait application, mentionnent les faits relatifs à la situation personnelle et administrative de M. B... et indiquent avec précision les raisons pour lesquelles le préfet de la Haute-Garonne a décidé de prononcer son transfert vers l'Italie et de l'assigner à résidence, l'arrêté du 18 mars 2019 portant assignation à résidence indiquant notamment que l'accord implicite des autorités italiennes est valable six mois à compter du 7 octobre 2018. L'ensemble de ces indications, qui a permis à M. B... de comprendre et de contester les mesures prises à son encontre, notamment en ce qui concerne la condition de " perspective raisonnable " pour procéder à son éloignement, étaient suffisantes. Par suite, le moyen tiré de la motivation insuffisante des arrêtés contestés doit être écarté.

9. Il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qu'il allègue sans d'ailleurs apporter la moindre précision, M. B... s'est vu remettre, le 13 juillet 2018, lors de son entretien individuel, en langue française, qui est sa langue usuelle, l'ensemble des documents prévus par à l'article 4.1 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, ainsi qu'en atteste sa propre signature, apposée sur chacun de ces documents. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté comme manquant en fait.

10. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet n'aurait pas procédé à un examen complet de la situation personnelle de M. B..., en particulier au regard de son état de santé et des conditions de sa prise en charge par les autorités italiennes. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen réel et sérieux de la situation de l'intéressé doit être écarté.

11. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier des termes de l'arrêté attaqué portant transfert aux autorités italiennes, que le préfet de la Haute-Garonne a considéré, compte tenu de la situation de M. B... et des observations qu'il avait formulées, notamment celles relatives à sa prise en charge par les autorités italiennes lors de son arrivée en Sicile qu'il a contesté comme étant non assorties de document probant, qu'il n'y avait pas lieu de mettre en oeuvre les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013/UE du 26 juin 2013. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que le préfet se serait estimé, à tort, en situation de compétence liée pour prendre la décision de transfert et aurait, ainsi, entaché cette décision d'une erreur de droit doit être écarté.

12. Pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point 5 du présent arrêt, les moyens tirés de ce qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de sa demande d'asile, la décision de transfert contestée aurait été prise en méconnaissance des dispositions des articles 17.1 et 17.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et des stipulations de l'article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qu'elle serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.

13. Par ailleurs, M. B..., qui est célibataire et sans charge de famille, était arrivé très récemment en France à la date de l'arrêté portant transfert vers l'Italie. Il ne se prévaut d'aucune attache particulière en France. Par suite, la décision contestée par laquelle le préfet de la Haute-Garonne a décidé de le remettre aux autorités italiennes ne porte aucune atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Dès lors, le moyen, qui n'est d'ailleurs assorti d'aucune précision, tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

14. En l'absence d'illégalité de la décision portant transfert de M. B... aux autorités italiennes, le moyen tiré du défaut de base légale de la décision portant assignation à résidence du fait de la prétendue illégalité de la décision de transfert doit être écarté.

15. Enfin, il ressort des pièces du dossier que la prise en charge de M. B... a été implicitement acceptée par les autorités italiennes le 17 octobre 2018. Dans ces conditions, son éloignement vers l'Italie demeurait, le 18 mars 2019, date de l'arrêté contesté portant assignation à résidence, une perspective raisonnable. Par suite, le moyen, d'ailleurs non assorti de précision, tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 22 mars 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé ses arrêtés du 18 mars 2019 portant transfert de M. B... aux autorités italiennes et assignation à résidence, lui a enjoint de délivrer à l'intéressé une attestation de demandeur d'asile suivant la procédure normale et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur la requête n°19BX02082 :

17. La cour statuant au fond par le présent arrêt sur les conclusions à fin d'annulation du jugement du 22 mars 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse, les conclusions de la requête n° 19BX02082 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du même jugement sont devenues sans objet.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 19BX02082 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 1901464 du 22 mars 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse.

Article 2 : Le jugement n° 1901464 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse du 22 mars 2019 est annulé.

Article 3 : Les demandes présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Toulouse sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 10 octobre 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne A..., président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme Nathalie Gay-Sabourdy, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 17 octobre 2019.

Le président-rapporteur,

Marianne A...Le président-assesseur,

Didier Salvi

Le greffier,

Sophie Lecarpentier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

6

N° 19BX02081,19BX02082


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19BX02081,19BX02082
Date de la décision : 17/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Marianne HARDY
Rapporteur public ?: Mme CABANNE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-10-17;19bx02081.19bx02082 ?
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