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10/10/2019 | FRANCE | N°18BX03847

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 10 octobre 2019, 18BX03847


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler les arrêtés du 10 octobre 2018 par lesquels le préfet des Landes, d'une part, a prononcé son transfert aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile, et, d'autre part, l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1802323 du 15 octobre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Pau a annulé ces arrêtés.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le

6 novembre 2018, le préfet des Landes demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 15 octobre ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler les arrêtés du 10 octobre 2018 par lesquels le préfet des Landes, d'une part, a prononcé son transfert aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile, et, d'autre part, l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1802323 du 15 octobre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Pau a annulé ces arrêtés.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 novembre 2018, le préfet des Landes demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 15 octobre 2018 ;

2°) de rejeter la demande de M. B... tendant à l'annulation des arrêtés des 10 octobre 2018.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, il n'existe aucune défaillance systémique dans le traitement et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie, comme la cour l'a d'ailleurs déjà jugé à de nombreuses reprises. La situation de M. B... a ainsi bien été examinée au regard de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; aux termes du protocole n° 6 du traité d'Amsterdam, les Etats-membres de l'Union sont considérés comme des pays sûrs les uns vis-à-vis des autres et ni la cour de justice de l'Union qui pose le principe de la présomption renforcée de respect des droits fondamentaux par les Etats-membres ni la cour européenne des droits de l'homme n'ont pour l'heure reconnu l'existence de telles défaillances en Italie ; M. B... n'apporte par ailleurs aucun élément de preuve personnalisés au soutien de ses allégations au sujet des risques personnels de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Italie alors que ce pays a connu une baisse de 84 % du nombre de migrants débarqués sur ses côtes ;

- la décision de transfert est suffisamment motivée, en mentionnant notamment les textes sur lesquels cette mesure est fondée et les faits précis ressortissant de l'examen particulier de sa situation ;

- M. B... a bien reçu, dans la langue qu'il a déclaré comprendre, l'ensemble des informations énoncées à l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 précité et a bénéficié d'un entretien individuel à l'issue duquel il n'a émis aucune observation ;

- le conseil d'Etat indique que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 29 du règlement précité concernant l'obligation d'information des personnes relevant du règlement au moment où les empreintes digitales de la personne concernée sont prélevées est inopérant à l'égard d'une décision de transfert ;

- l'intéressé, comme le montre le résultat de la comparaison de ses empreintes relevées le jour du dépôt de sa demande d'asile en France avec la base de données Eurodac, a bien déposé une demande d'asile en Italie, contrairement à ce qu'il affirme ;

- la situation de M. B... a bien été examinée au regard de l'application des articles 3.2 et 17 du règlement précité ;

- le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas fondé lorsque, comme en l'espèce, l'étranger n'établit pas la réalité des risques auxquels il prétend être exposé ;

- M. B... déclare être célibataire et sans enfant, n'a mentionné aucune présence familiale sur le territoire dans le formulaire de demande d'asile et n'établit pas davantage être dans l'impossibilité de retourner en Italie, pays qui a accepté d'instruire sa demande d'asile ; aussi, la décision portant transfert aux autorités italiennes ne porte pas une atteinte disproportionnée au respect du droit à la vie privée et familiale de l'intéressé protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision de transfert étant parfaitement légale, la mesure ordonnant son assignation à résidence de M. B..., dont l'éloignement est envisageable à court terme une fois levées les contraintes liées à l'organisation de son départ, apparaît parfaitement fondée.

Par un mémoire enregistré le 7 janvier 2019, M. B..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 2 000 euros à verser à son avocat sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

M. B... fait valoir que les moyens ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, le 27 août 2019, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré du non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet des Landes du 10 octobre 2018 portant transfert aux autorités italiennes pour l'examen de la demande d'asile de M. B... (caducité de l'arrêté en raison de l'expiration du délai de six mois défini à l'article 29 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013, ce délai ayant recommencé à courir à la date à laquelle le tribunal administratif a statué en vertu de l'article L. 742-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile).

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 mars 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du

26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant malien né le 5 avril 1992, est entré irrégulièrement sur le territoire français, le 16 juillet 2018, selon ses déclarations, et a déposé une demande d'asile le 24 juillet 2018 auprès du préfet du Val-d'Oise avant de rejoindre la commune de Mont-de-Marsan. Après avoir constaté à la suite de la consultation du fichier Eurodac que les empreintes digitales de M. B... avaient été relevées par les autorités italiennes le 8 mai 2017 lors du franchissement de la frontière de cet Etat puis le 5 août 2017 lors du dépôt dans ce pays d'une demande d'asile, le préfet des Landes a adressé aux autorités italiennes le 24 août 2018 une demande de reprise en charge de la demande d'asile de M. B... sur le fondement de l'article 18-1 b) du règlement d'UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé. Une décision implicite d'acceptation est née le 10 septembre 2018 du silence gardé par les autorités italiennes sur cette demande, en application du 2° de l'article 25 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 susvisé. Le préfet des Landes, par deux arrêtés en date du 10 octobre 2018 notifiés le lendemain, a ordonné le transfert de M. B... aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et l'a assigné à résidence. Le préfet des Landes relève appel du jugement du 15 octobre 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Pau a annulé ces deux arrêtés.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision portant transfert aux autorités italiennes :

2. Aux termes de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 susvisé, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. (...) / Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Selon le I de l'article L. 742-4 de ce code : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...) ". En vertu du second alinéa de l'article L. 742-5 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de quinze jours ou, si une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 a été notifiée avec la décision de transfert, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s'il a été saisi ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 précité, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date de la notification à l'administration de la décision du tribunal administratif statuant sur cette demande, quel qu'en soit le sens. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. L'expiration de ce délai a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

5. Il résulte de l'instruction que l'arrêté du 10 octobre 2018 par lequel le préfet des Landes a ordonné le transfert de M. B... aux autorités italiennes est intervenu moins de six mois après la décision implicite d'acceptation née le 10 septembre 2018 du silence des autorités de cet Etat à la demande de reprise en charge de l'intéressée présentée le 24 août 2018 par le préfet des Landes, dans le délai d'exécution du transfert fixé par l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 susvisé. Ce délai a toutefois été interrompu par l'introduction, par M. B..., du recours qu'il a présenté contre cette décision sur le fondement de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Un nouveau délai de six mois a commencé à courir à compter de la notification à l'administration du jugement du 15 octobre 2018 rendu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Pau qui a notamment annulé cette décision. Il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que cet arrêté de transfert aurait été exécuté ou aurait fait l'objet d'une prolongation en vertu du dernier alinéa de l'article 29 du règlement précité. Ainsi, la France est devenue responsable de l'examen de la demande de protection internationale de M. B... à la date du 15 avril 2019. Le préfet des Landes, qui n'a pas répondu au courrier du 3 avril 2019 envoyé par le greffe de la cour l'invitant à verser au dossier, pour compléter l'instruction, tout élément justifiant de l'exécution de cette décision ou de la prolongation du délai précité, ne conteste pas les éléments de fait susmentionnés et doit, par suite, en tirer les conséquences. Il s'ensuit qu'à la date du 15 avril 2019, la décision de transfert était devenue caduque et ne peut plus être légalement exécutée. Cette caducité étant intervenue postérieurement à l'introduction de l'appel formé par le préfet des Landes, les conclusions de la requête dirigées contre l'arrêté de transfert ont perdu leur objet.

6. Par suite, l'ensemble des moyens invoqués par le préfet des Landes étant dirigé contre l'arrêté de transfert, il résulte de ce qui précède que ses conclusions tendant à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a annulé cet arrêté doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté ordonnant l'assignation à résidence de M. B... :

7. Aux termes du I de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : 1° (...) fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 (...) ".

8. Il ressort des termes du jugement attaqué que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Pau a annulé l'arrêté du préfet des Landes du 10 octobre 2018 assignant M. B... à résidence après avoir reconnu l'illégalité de l'arrêté prononçant son transfert aux autorités italiennes et accueilli le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 au motif que M. B... donne des éléments permettant de croire sérieusement que le système italien de traitement de l'asile et les conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile, voire des réfugiés, qu'offre ce pays peuvent désormais être regardés comme affectés de défaillances systémiques qui, portant en particulier sur le droit au logement et à la santé, l'exposent à un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

9. Aux termes de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ". En vertu de l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". Si la mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 précité doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif, la faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

10. Il résulte de ces dispositions et stipulations que la présomption selon laquelle un État " Dublin " respecte ses obligations découlant de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est renversée en cas de défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant subi par ces derniers. Les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 prévoient ainsi que chaque État membre peut examiner une demande d'asile qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par ce règlement. Cette possibilité, également prévue par l'article 17 du même règlement et reprise par l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit en particulier être mise en oeuvre lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. En application du principe qui vient d'être énoncé, il appartient au juge administratif de rechercher si, à la date de l'arrêté contesté, au vu de la situation générale du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en Italie et de la situation particulière de M. B..., il existait des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise aux autorités italiennes, il ne bénéficierait pas d'un examen effectif de sa demande d'asile et risquerait de subir des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales justifiant la mise en oeuvre de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

12. M. B... se prévaut de ce que les autorités italiennes sont confrontées à un afflux massif de migrants sans précédent entraînant de grandes difficultés pour traiter les demandes d'asiles correspondantes et qui allongerait considérablement les délais de traitement, précariserait les conditions d'accueil et mettrait les autorités italiennes dans l'impossibilité de prendre en charge de façon satisfaisante les personnes vulnérables. Toutefois, l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de ces deux conventions internationales. Si cette présomption est réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, M. B... n'établit pas l'existence de défaillances en Italie qui constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Au demeurant, à les supposer même établies, ces défaillances ne concernent que la gestion matérielle de l'accueil initial des flux de réfugiés arrivant dans certaines zones saturées du territoire, et ne sont pas structurelles, de sorte qu'elles ne sauraient être regardées comme révélant une défaillance systémique. Si les rapports d'organisations non gouvernementales révèlent des défaillances sans pour autant que celles-ci puissent être qualifiées de systémiques, il n'est pas établi que les autorités italiennes seraient dans l'incapacité structurelle d'examiner sa demande d'asile tant en ce qui concerne la procédure d'instruction de la demande qu'en ce qui concerne les conditions d'accueil des demandeurs. D'ailleurs, M. B... n'établit ni même n'allègue avoir été victime de mauvais traitements lors de son séjour en Italie. En outre, l'intéressé ne peut utilement se prévaloir du décret-loi approuvé par le conseil des ministres italien le 24 septembre 2018, lequel n'était pas entré en vigueur à la date de l'arrêté litigieux. Ainsi, les circonstances invoquées par M. B... ne suffisent pas à établir qu'en s'abstenant de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet des Landes se serait livré à une appréciation manifestement erronée de sa situation personnelle, notamment du degré de gravité des conséquences de son éloignement vers l'Italie et ainsi aurait méconnu l'article 3 du règlement (UE) précité.

13. Dès lors, le préfet des Landes est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Pau a annulé, sur ce seul motif, l'arrêté litigieux du 10 octobre 2018 assignant M. B... à résidence par voie d'exception d'illégalité de l'arrêté du même jour décidant de son transfert aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile.

14. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance et en appel par M. B... dirigés contre les deux arrêtés en litige.

15. Aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. ".

16. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est présenté pour la première fois à la préfecture du Val-d'Oise le 24 juillet 2018 afin de solliciter son admission au séjour au titre de l'asile. Pour démontrer que M. B... a été destinataire des informations prévues à l'article 4 du règlement précité, le préfet produit les copies des couvertures des brochures A et B rédigées en langue bambara sur lesquelles figurent deux dates et deux signatures différentes. Il ressort toutefois de la " fiche d'évolution asile ", sans en-tête ni signature ni cachet, produite par le préfet des Landes que M. B... a bénéficié d'un " entretien ce jour en français de 15 h 09 à 15 h 20 ", dont le compte-rendu n'est par ailleurs pas produit, et que les arrêtés en litige lui ont également été notifiés en langue française. Ainsi, le préfet ne démontre pas que ces brochures ont été traduites dans une langue que l'intéressé comprend, ni davantage, compte tenu de ce qui vient d'être dit, qu'il pouvait raisonnablement être supposé qu'il le comprend et ne conteste pas utilement ces éléments en indiquant tant en première instance qu'en appel que ces brochures lui ont été remises " en langue dari ainsi qu'il l'a demandé ". Par suite, le préfet des Landes ne démontre pas que les informations prévues à l'article 4 précité du règlement (UE) n° 604/2013 lui auraient été remises dans une langue que M. B... comprend ou dont on peut raisonnablement penser qu'il la comprend. Dès lors que ce manquement a privé l'intéressé d'une garantie de procédure et M. B... est fondé à soutenir que l'arrêté contesté du 10 octobre 2018 est entaché d'illégalité, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande.

17. Compte tenu de ce qui précède, le préfet des Landes n'est pas fondé à se plaindre que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Pau a annulé l'arrêté assignant M. B... à résidence en conséquence de l'illégalité de la mesure de transfert vers l'Italie prononcée à son encontre.

18. Si le préfet reproche au premier juge de lui avoir enjoint de placer M. B... en procédure d'asile normale, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que la France est devenue l'Etat responsable de la demande de protection internationale présentée par l'intéressé. Les conclusions du préfet visant à contester la mesure d'injonction prise par le premier juge doivent être rejetées.

19. Il résulte de ce qui vient d'être dit que M. B... ne pouvait être regardé comme partie perdante en première instance. Dans ces conditions, le préfet des Landes n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné a mis la somme de 1 200 euros à la charge de l'Etat au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

20. En revanche, et dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions d'appel de M. B... tendant à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions présentées par le préfet des Landes tendant à l'annulation du jugement du 15 octobre 2018 du magistrat désigné par le président de tribunal administratif de Pau en tant qu'il a annulé son arrêté du 4 juin 2018 ordonnant son transfert aux autorités italiennes.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B.... Copie en sera adressée au préfet des Landes.

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme D..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 octobre 2019.

Le rapporteur,

D...

Le président,

Marianne HARDY

Le greffier,

Cindy VIRIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX03847


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335 Étrangers.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Nathalie GAY-SABOURDY
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : PATHER

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Date de la décision : 10/10/2019
Date de l'import : 15/10/2019

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18BX03847
Numéro NOR : CETATEXT000039203660 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-10-10;18bx03847 ?
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