La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/10/2019 | FRANCE | N°19BX01034

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 01 octobre 2019, 19BX01034


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 2 octobre 2018 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n°1804915 du 21 novembre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 mars 2019, Mme C

..., représentée par Me G..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désig...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 2 octobre 2018 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n°1804915 du 21 novembre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 mars 2019, Mme C..., représentée par Me G..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse du 21 novembre 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 2 octobre 2018 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne, à titre principal, de l'admettre au séjour dans le délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application combinée des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

Sur le jugement attaqué :

- le premier juge ne pouvait considérer la motivation en fait de l'arrêté contesté comme suffisante dès lors qu'il n'a pas retenu que le préfet n'avait ni pris en compte les circonstances de fait personnelles à sa situation ni précisé les éléments permettant d'établir que les risques encourus en cas de retour en Algérie n'étaient pas établis, de sorte que cet arrêté est entaché d'un défaut de motivation en fait ;

- c'est à tort que le premier juge a considéré que le certificat médical établi par des psychologues ne permet pas de prouver la réalité du mariage forcé dont elle se prévaut et des menaces en cas de retour dans son pays d'origine.

Sur l'arrêté du 2 octobre 2018 :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est entachée d'un défaut de motivation en fait sur sa situation personnelle au sens des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, révélant un défaut d'examen réel et sérieux de sa demande ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences d'une exceptionnelle gravité qu'elle encourt en cas de retour en Algérie, son pays d'origine ;

- elle porte une atteinte disproportionnée au droit de l'appelante au respect de sa vie privée et familiale tel que protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation en tant qu'elle possède des attaches privées en France et a démontré sa volonté d'intégration.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- elle est entachée d'un défaut de motivation en fait sur sa situation personnelle dans son pays d'origine ;

- elle est dépourvue de base légale dans la mesure où la décision portant obligation de quitter le territoire devra être annulée ;

- elle porte atteinte à son droit de ne pas être soumise à des traitements inhumains et dégradants tels que protégés par l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2019, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- il réitère les faits, observations et conclusions formulés en première instance ;

- c'est à bon droit que le premier juge a écarté l'ensemble des moyens soulevés dès lors que ses décisions ne sont entachées d'aucune illégalité ;

- il n'a entaché sa décision d'aucune erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences d'une exceptionnelle gravité qu'elle encourt en cas de retour en Algérie, la seule attestation postérieure à l'arrêté attaqué de la soeur de la requérante ne permet pas d'établir le risque allégué, et la requérante peut mener sa vie en Algérie où elle était indépendante financièrement et où elle peut s'établir dans une autre ville que celle de sa famille.

Par ordonnance du 14 mai 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 17 juillet 2019 à 12h00.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 février 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. E... A..., a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante algérienne née le 14 avril 1979, est entrée en France le 17 septembre 2016 sous couvert d'un passeport valable du 5 avril au 30 septembre 2016, pour y solliciter l'asile le 15 juin 2017. A la suite du rejet de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 8 août 2017 puis par la Cour nationale du droit d'asile le 5 janvier 2018, le préfet de la Haute-Garonne, par un arrêté du 2 octobre 2018, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme C... relève appel du jugement du 21 novembre 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur l'arrêté du 2 octobre 2018 :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1°/ restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...) ". Selon l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".

3. La décision contestée vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et notamment ses articles 3 et 8, l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, et fait mention des articles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il fait application. L'arrêté précise également que la demande d'asile de Mme C... a été définitivement rejetée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 5 janvier 2018 et que par conséquent, en application de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elle peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. L'arrêté mentionne également que l'intéressée n'établit pas le risque d'être exposée à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine ni de nature à remettre en cause le bien fondé des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la Cour nationale du droit d'asile. Il est aussi précisé que la requérante est entrée récemment en France à l'âge de 37 ans, est célibataire et sans enfant, qu'elle n'est pas dans l'impossibilité de poursuivre sa vie ailleurs qu'en France et qu'elle n'est pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine, de sorte qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Ainsi, le préfet, qui n'est pas tenu de relever de manière exhaustive l'ensemble des éléments de la situation personnelle et familiale de Mme C..., a suffisamment motivé sa décision au regard des exigences posées par les dispositions précitées. En outre, il ressort de la motivation de l'arrêté que le préfet de la Haute-Garonne a procédé à un examen de sa situation.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.". Pour l'application des stipulations précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

5. Si les pièces du dossier démontrent un effort d'intégration, Mme C... n'est arrivée en France que le 17 septembre 2016 à l'âge de 37 ans, et ne se prévaut pas d'attaches familiales en France. Célibataire et sans enfants, elle n'est demeurée en France que de manière irrégulière puis de manière régulière le temps de l'examen de sa demande d'asile. De plus, si elle se prévaut des menaces proférées par sa famille et le risque de mariage forcé, ils ne sont pas établis par les pièces versées au dossier. En particulier les neuf attestations sur l'honneur émanant de la soeur de Mme C... et de son voisinage établies postérieurement au jugement attaqué et versées en appel qui se bornent pour certaines à relever le récit de la requérante et pour d'autres à évoquer sans aucune précision les circonstances du prétendu mariage forcé, qui sont sérieusement contestées par le préfet en défense, n'établissent pas la réalité et l'actualité des risques encourus en cas de retour en Algérie. En outre, la requérante ne fait état d'aucune circonstance faisant obstacle à ce qu'elle mène une vie privée et familiale normale dans son pays d'origine, dans une autre ville que celle de ses parents. Dès lors, et eu égard à la durée de son séjour en France, la décision attaquée n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, le préfet de la Haute-Garonne n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation de Mme C....

6. En troisième et dernier lieu, le moyen tiré de ce que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences d'une exceptionnelle gravité qu'elle encourait en cas de retour en Algérie, son pays d'origine est inopérant à l'encontre d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, laquelle ne fixe pas le pays de destination.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

7. En premier lieu, la décision fixant le pays de destination, qui vise les dispositions de l'article L. 513-1 à 513-4, l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, indique que Mme C... de nationalité algérienne, est obligée de quitter le territoire français pour rejoindre le pays dont elle possède la nationalité ou tout autre pays non-membre de l'Union européenne ou avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen, où elle est légalement admissible. Cette décision rappelle également les rejets successifs de sa demande d'asile par l'OFPRA le 8 août 2017 et de sa demande de réexamen par la CNDA le 5 janvier 2018, et précise qu'elle n'établit pas être exposée à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ainsi, en l'absence de tout risque établi en cas de retour en Algérie, une telle motivation, qui n'est pas stéréotypée, doit être regardée comme suffisante.

8. En deuxième lieu, il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de destination est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français qui la fonde.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Ces stipulations font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de renvoi d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressée s'y trouverait exposée à un risque réel pour sa personne, soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de renvoi ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée.

10. Mme C... soutient qu'elle serait exposée en cas de retour en Algérie à un mariage forcé, et sous le coup de menaces de mort de la part de son père et de ses frères, en raison de ce qu'elle aurait déshonoré la famille. Toutefois, les seules attestations produites pour la première fois en appel, et toutes postérieures à l'arrêté et au jugement attaqués, et alors au demeurant que sa demande d'asile a été définitivement rejetée, ne permettent pas d'établir qu'elle encourait un risque réel et personnel pour lequel les autorités algériennes ne seraient pas en mesure de la protéger. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être accueilli.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Par voie de conséquence les conclusions accessoires de la requête à fin d'injonction et relatives aux frais d'instance doivent également être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 3 septembre 2019 à laquelle siégeaient :

M. E... A..., président,

Mme D... F..., présidente-assesseure,

Mme Déborah de Paz, premier-conseiller,

Lu en audience publique, le 1er octobre 2019.

La présidente-assesseure,

Fabienne F...Le président-rapporteur,

Dominique A...Le greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N°19BX01034


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX01034
Date de la décision : 01/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. NAVES
Rapporteur ?: M. Dominique NAVES
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : NACIRI

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-10-01;19bx01034 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award