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20/06/2019 | FRANCE | N°17BX01854

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 20 juin 2019, 17BX01854


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MM.C..., A...et F...B...ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la commune de Léognan à verser à l'indivision B...une indemnité de 384 623,23 euros en réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi en raison du caractère non constructible de leur terrain situé rue Jules Guesde, pour lequel le maire de Léognan leur avait délivré un permis d'aménager le 11 mars 2013.

Par un jugement n° 1502213 du 13 avril 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné la comm

une de Léognan à verser à MM. B...une indemnité de 143 094,88 euros.

Procédure de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MM.C..., A...et F...B...ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la commune de Léognan à verser à l'indivision B...une indemnité de 384 623,23 euros en réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi en raison du caractère non constructible de leur terrain situé rue Jules Guesde, pour lequel le maire de Léognan leur avait délivré un permis d'aménager le 11 mars 2013.

Par un jugement n° 1502213 du 13 avril 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné la commune de Léognan à verser à MM. B...une indemnité de 143 094,88 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 12 juin, 18 septembre 2017 et 31 janvier 2018, la commune de Léognan, représentée par MeG..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 13 avril 2017 ;

2°) de rejeter la demande des consortsB... ;

3°) de mettre à la charge solidaire des consorts B...une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est entaché d'une insuffisance de motivation au regard des exigences de l'article L.9 du code de justice administrative, en ce que les premiers juges ont omis de répondre à l'argumentation, qui n'était pas inopérante, selon laquelle l'ensemble des chefs du préjudice invoqué résultait, non des illégalités commises par la commune en approuvant la révision du plan local d'urbanisme, par la délibération du 31 octobre 2011 annulée par jugement n° 1201699 du 25 septembre 2014, mais de la combinaison de deux circonstances, également insusceptibles d'engager la responsabilité de la commune : d'une part, l'inclusion, dans le compromis de vente des parcelles de l'indivision B...conclu avec la SCI Cimalab, d'une clause de caducité en cas de refus de permis de construire, et, d'autre part, le refus du permis de construire les habitations projetées opposé à cette dernière par le maire de la commune ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que les préjudices résultant pour les consorts B...de l'aménagement d'un terrain en réalité implanté dans une zone non constructible trouvaient leur origine directe dans l'illégalité de la délibération du 31 octobre 2011 et qu'il existait donc un lien de causalité direct entre les fautes commises par la commune de Léognan et les préjudices subis par MM.B... ; un permis d'aménager un lotissement ne donnant aucun droit à obtenir un permis de construire sur les lots aménagés, l'aménageur ne saurait obtenir réparation des conséquences préjudiciables qu'il invoque résultant d'un refus légal de permis de construire opposé au constructeur, à la suite de la reconnaissance de l'illégalité du document d'urbanisme ayant rendu les parcelles constructibles et de l'impossibilité subséquente de régulariser la vente, la cause directe du préjudice de l'aménageur résidant dans les actes de vente prévoyant une clause suspensive portant sur l'obtention des permis de construire ; le tribunal administratif a commis une erreur de droit, une erreur de qualification juridique, et a entaché son jugement d'une contradiction de motifs en ce qu'il a accueilli d'autres chefs de réclamation de l'indivisionB..., alors que la cause directe de ces préjudices résultait, tout autant que pour les chefs d'indemnisation écartés, non dans l'illégalité de la révision du plan local d'urbanisme ayant rendu le terrain de l'indivision constructible, mais dans l'impossibilité pour l'aménageur de vendre les parcelles à la SCI Cimalab, en raison d'une part, du refus du permis de construire opposé légalement par la commune et, d'autre part, du compromis conclu avec la SCI Cimalab comportant une clause suspensive tenant à l'obtention d'un permis de construire ; les sommes d'un montant total de 134 094,88 euros ont été engagées par l'indivision B...pour la mise en oeuvre du permis d'aménager qui lui a été légalement accordé, qui a été régulièrement et complètement exécuté par elle et qui n'a pas été remis en cause par l'annulation du plan local d'urbanisme révisé, dont l'illégalité est constitutive de la faute de la commune ; ces sommes ne sont apparues comme constituant un préjudice pour l'indivision B...que du seul fait de la non levée de la condition suspensive incluse dans le compromis de vente avec la SCI Cimalab, empêchant la régularisation de la vente du lot 1 à cette dernière et résultant du refus du permis de construire légalement opposé par la commune de Léognan ; la cause directe du préjudice pour l'ensemble de ces sommes résulte non de la faute de la commune, mais du compromis de vente conclu avec la SCI Cimalab ; l'" assurance suffisante " de la constructibilité des parcelles de l'indivision B...donnée par la commune à la date de délivrance du permis d'aménager, évoquée par le jugement attaqué, n'a pas été démentie pour l'exécution des travaux du permis d'aménager, mais seulement pour la délivrance ultérieure du permis de construire, auquel le permis d'aménager ne pouvait donner aucun droit ; le coût des travaux d'aménagement réalisés par l'indivision B...pour l'exécution de son permis d'aménager n'était donc pas susceptible de constituer un préjudice en lien de causalité direct avec la faute de la commune ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a regardé comme indemnisable le préjudice moral résultant de la mise en vente par les consorts B...d'une maison d'habitation située à Lège-Cap Ferret pour rembourser le 9 novembre 2016 le prêt souscrit auprès du Crédit Agricole, à hauteur de 3 000 euros chacun, soit la somme de 9 000 euros au total ; la cause directe du préjudice allégué réside, non dans la faute de la commune, mais dans le compromis de vente conclu par les consorts B...avec la SCI Cimalab et ayant prévu un certain nombre de conditions suspensives, dont la délivrance d'un permis de construire, condition non levée en raison du refus de permis de construire légalement opposé par la commune de Léognan ; en outre, c'est également au prix d'une erreur de qualification juridique que le tribunal administratif a considéré que la vente d'une propriété pour rembourser un prêt destiné à financer des travaux d'aménagement était susceptible de constituer un préjudice moral, la mobilisation d'un actif pour rembourser une dette étant pour un aménageur un acte de gestion normal dans le cadre de son activité ;

- à supposer même que le préjudice allégué par les consorts B...ait été en lien de causalité direct avec la faute de la commune, l'imprudence de ces derniers était de nature à exonérer la commune de sa responsabilité ; les consorts B...ont entrepris les travaux d'aménagement de leur lotissement pour le lot 1 en vue de le céder à la SCI Cimalab, alors même que l'ensemble des conditions suspensives prévues dans leur compromis de vente, dont la délivrance d'un permis de construire au bénéfice de cette dernière, n'étaient pas levées ; les consorts B...ont assumé le risque d'engager des travaux d'aménagement du lot 1 sans avoir l'assurance de pouvoir régulariser la vente avec la SCI Cimalab ;

- l'appel incident est irrecevable sur les chefs de préjudice distincts de ceux qui font l'objet de son appel principal ;

- au regard de la révision future du plan local d'urbanisme, le préjudice est éventuel.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 décembre 2017, 30 janvier et 30 mars 2018, MM.C..., A...et F...B..., représentés par MeE..., concluent à ce que le jugement attaqué soit réformé en tant qu'il a limité l'indemnisation à la somme de 143 094,88 euros, à ce que la commune de Léognan soit condamnée à leur verser la somme de 387 900,52 euros en réparation de leurs préjudices, et à la mise à la charge de la commune de Léognan d'une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la commune de Léognan a commis des agissements fautifs qui engagent sa responsabilité ; en premier lieu, le tribunal administratif de Bordeaux a, par un jugement en date du 25 septembre 2014, annulé la délibération du 31 octobre 2011, pour trois motifs d'illégalités externe et pour un motif d'illégalité interne ; ces illégalités sont constitutives d'une faute, directement à l'origine du dommage des requérants ; la commune ne saurait s'exonérer de sa responsabilité que par la preuve de l'information des requérants du risque d'annulation du plan local d'urbanisme et donc du risque de refus de permis de construire ; en deuxième lieu, la commune avait l'obligation d'informer les consorts B...non seulement du risque d'annulation du plan local d'urbanisme mais également des conséquences qu'elle tirerait de cette annulation ; la commune aurait dû explicitement les avertir de ce qu'en raison de l'annulation du plan local d'urbanisme, leur terrain serait considéré rétroactivement comme inconstructible ; en troisième lieu, la commune, consciente des risques élevés d'annulation du plan local d'urbanisme, a laissé les requérants poursuivre l'aménagement de leur terrain, voire les y a encouragés ; en citant l'article L. 442-14 du code de l'urbanisme dans l'arrêté de permis d'aménager, la commune a laissé s'instiller dans l'esprit des consorts B...une espérance légitime de ce que leur terrain resterait constructible pendant une durée de cinq ans à compter de la déclaration d'achèvement des travaux ; en donnant son aval à la réalisation des travaux d'aménagement du terrain, la commune a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à leur égard;

- les agissements fautifs de la commune sont à l'origine du préjudice subi par les consortsB... ; c'est par une erreur de lecture que, pour critiquer le jugement attaqué, la commune s'appuie sur une décision du Conseil d'Etat en date du 28 octobre 2009 n° 299753, laquelle n'a pas vocation à s'appliquer au cas d'espèce ; par ailleurs, l'insertion d'une clause suspensive d'obtention du permis de construire dans le compromis de vente ne saurait constituer une faute ;

- pour l'aménagement du lotissement, l'indivision B...a dépensé la somme de 134 094,88 euros pour laquelle elle a été contrainte de contracter, en janvier 2014, un prêt pour un montant de 128 930 euros d'une durée de 48 mois à 2,3% ; la vente à la SCI Cimalab n'ayant pu se réaliser, le remboursement de ce prêt a été différé de 47 mensualités si bien que le montant du prêt s'élève aujourd'hui à la somme de 140 434,23 euros comprenant les intérêts ; en conséquence de l'annulation du plan local d'urbanisme de la commune, le prêt a été contracté pour financer des travaux qui se révèlent totalement inutiles ; la commune elle-même reconnaît cette dépense inutile engagée par sa faute, puisqu'elle a proposé un dédommagement à hauteur de 92 000 euros ;

- en ce qui concerne la dépréciation de la valeur de leur terrain, en raison de la faute de la commune, la valeur du terrain d'assiette du permis d'aménager d'une surface de 2 693 m² ne dépasse pas la somme de 4 147 euros ; l'indivision B...a engagé des frais de notaire et droits d'enregistrement relatifs à la donation importants, dès lors qu'ils ont été calculés sur la base du terrain constructible évalué à 540 000 euros ; ils seront également indemnisés de la somme de 17 466,29 euros dépensée pour la passation d'un acte de donation parfaitement inutile compte tenu de l'annulation du plan local d'urbanisme ;

- en ce qui concerne le manque à gagner sur la vente non réalisée, la SCI Cimalab s'était engagée à acheter la parcelle pour un montant de 200 000 euros sous réserve de l'obtention du permis de construire ; le refus de permis de construire ayant été validé par la juridiction administrative compte tenu de l'annulation rétroactive du plan local d'urbanisme, l'indivision B...subit donc un manque à gagner actuel et certain de 200 000 euros ; compte tenu des fautes avérées de la commune, les intimés sont fondés à solliciter l'indemnisation de leur manque à gagner à hauteur de 200 000 euros ;

- les consorts B...ont subi un important préjudice moral du fait de la faute de la commune, leurs projets personnels sont devenus irréalisables et ils doivent faire face à différentes imprévisions telles que les tracas liés à la procédure ; ne pouvant faire face aux échéances du prêt, l'indivision B...a sollicité auprès de la banque une modification de la durée initiale du prêt, ce qui leur a été accordé par courrier en date du 10 mai 2016 ; le 2 novembre 2016 ces derniers ont été contraints, afin de rembourser le crédit qu'ils avaient contracté pour l'aménagement du terrain, de vendre leur maison de famille située à Lège Cap Ferret ; ce préjudice doit être réparé à hauteur de 30 000 euros, soit 10 000 euros par personne.

Par ordonnance du 4 avril 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au

27 avril 2018 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 23 mai 2019 :

- le rapport de Mme Nathalie Gay-Sabourdy,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public,

- et les observations de MeD..., représentant MM.B....

Considérant ce qui suit :

1. Par délibération du 31 octobre 2011, le conseil municipal de Léognan a approuvé la révision du plan local d'urbanisme de la commune. Le 11 mars 2013, le maire de Léognan a délivré à MM. A..., C...et F...B..., propriétaires d'un terrain d'une superficie de 2 763 m², non bâti, cadastré section AA n° 90, situé rue Jules Guesde et avenue de Cadaujac, un permis d'aménager visant le plan local d'urbanisme tel qu'approuvé le 31 octobre 2011, en vue de la réalisation du lotissement " Les Vergers de Pontaulic " composé de trois lots. Un permis d'aménager modificatif a été délivré le 8 août 2013. Le 10 septembre 2013, les consorts B...ont conclu avec la SCI Cimalab un compromis de vente portant sur le lot n° 1 de cette propriété, sous condition suspensive d'obtention d'un permis de construire. La déclaration attestant l'achèvement et la conformité des travaux autorisés par le permis d'aménager a été déposée le 22 avril 2014. Par jugement n° 1201699 du 25 septembre 2014, devenu définitif, le tribunal a annulé la délibération approuvant le plan local d'urbanisme. Par arrêté du 9 décembre 2014, le maire de Léognan a refusé de délivrer à la SCI Cimalab un permis de construire pour la réalisation de trois maisons d'habitation au motif que le projet se situait en zone naturelle au plan local d'urbanisme redevenu applicable, et ne respectait pas les dispositions des articles N1 et N2 du règlement du plan local d'urbanisme approuvé le 4 décembre 2003. Le 5 février 2015, MM. C..., A...et F...B...ont adressé à la commune de Léognan une demande préalable d'indemnisation puis ont demandé, le 19 mai 2015, au tribunal administratif de Bordeaux la condamnation de la commune de Léognan à leur verser une indemnité de 384 623,23 euros en réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi en raison du caractère non constructible de leur terrain. Par un jugement n° 1502212 du 1er décembre 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de la SCI Cimalab tendant à l'annulation de l'arrêté de refus de permis de construire du maire de Léognan. Par un jugement n° 1502213 du 13 avril 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné la commune de Léognan à verser à MM. B... une indemnité de 143 094,88 euros au titre des travaux d'aménagement réalisés sur le terrain devenu inconstructible et du préjudice moral. La commune de Léognan relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. La commune de Léognan fait valoir que les premiers juges n'ont pas répondu à l'argumentation selon laquelle l'ensemble des chefs de préjudice invoqués résultait, non des illégalités commises par la commune en approuvant la révision du plan local d'urbanisme, par délibération du 31 octobre 2011 annulée par jugement n° 1201699 du 25 septembre 2014, mais de la combinaison de deux circonstances, également insusceptibles d'engager la responsabilité de la commune, tirées d'une part, de l'inclusion, dans le compromis de vente des parcelles de l'indivision B...conclu avec la SCI Cimalab, d'une clause de caducité en cas de refus de permis de construire, et, d'autre part, du refus du permis de construire opposé à cette dernière par le maire de la commune. Toutefois, il résulte des motifs du jugement attaqué, et notamment du point 3, que les premiers juges ont écarté l'engagement de la responsabilité de la commune du fait du refus de permis de construire en date du 9 décembre 2014, en relevant qu'il n'était pas entaché d'illégalité. Par ailleurs, la commune n'a soutenu que les préjudices invoqués par les consorts B...résultaient de l'inclusion d'une condition suspensive dans le contrat de vente que dans la note en délibéré enregistrée au greffe du tribunal le 25 mars 2017, qui n'a pas été communiquée et ne comportait pas d'élément auquel le tribunal aurait été tenu de répondre. Par suite, la commune de Léognan n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.

Sur la responsabilité :

3. Les consorts B...se bornent à reprendre en appel, sans l'assortir de précisions de droit ou de fait nouvelles, leur moyen tiré de ce que la commune de Léognan aurait commis une faute en s'abstenant de les informer, lors de la demande de permis d'aménager, du risque d'annulation du plan local d'urbanisme. Il y a lieu de l'écarter par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.

4. Aux termes de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme : " L'annulation ou la déclaration d'illégalité (...) d'un plan local d'urbanisme (...) a pour effet de remettre en vigueur (...) le plan local d'urbanisme (...) immédiatement antérieur ". Aux termes de l'article L. 442-14 : " Le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues dans un délai de cinq ans suivant : (...) / 2° L'achèvement des travaux constaté dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, lorsque le lotissement a fait l'objet d'un permis d'aménager (...) ".

5. Le tribunal administratif de Bordeaux, dans son jugement n° 1502212 du 1er décembre 2016, a reconnu que l'achèvement des travaux du lotissement constaté le 22 avril 2014 a fait courir le délai de cinq ans, prévu par les dispositions précitées de l'article L. 442-14 du code de l'urbanisme, pendant lequel les dispositions d'urbanisme nouvelles ne peuvent être opposées à une demande de permis de construire sur un lot du lotissement, mais a jugé que la remise en vigueur du plan local d'urbanisme dans sa version immédiatement antérieure à celle approuvée le 31 octobre 2011 et annulée le 25 septembre 2014, " ne saurait être regardée comme une disposition d'urbanisme nouvelle " non susceptible de fonder un refus de permis de construire pendant un délai de cinq ans au sens de l'article L. 442-14 du code de l'urbanisme. Il est constant que la SCI Cimalab a renoncé à faire appel de ce jugement, qui a donc définitivement reconnu la légalité du refus de permis de construire, fondé sur la situation du terrain en zone naturelle du plan local d'urbanisme de Léognan dans sa version approuvée le 4 décembre 2003 et sur la méconnaissance des articles N1 et N2 du règlement de ce plan.

6. Le tribunal a en revanche rappelé que, par jugement n° 1201699 du 25 septembre 2014, devenu définitif, il a annulé la délibération du 31 octobre 2011 par laquelle le conseil municipal de Léognan a approuvé la révision du plan local d'urbanisme de la commune. Quelle qu'en soit la nature, les illégalités entachant la délibération approuvant le plan local d'urbanisme du 31 octobre 2011 sont fautives et, comme telles, susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat dès lors qu'elles seraient à l'origine des préjudices subis. Par suite, la commune ne peut utilement souligner que le tribunal a retenu trois vices de légalité externe tirés de ce que la mention de l'affichage en mairie de la délibération du 9 avril 2008 prescrivant la révision du plan local d'urbanisme n'avait pas fait l'objet d'une insertion dans un journal diffusé dans le département, que la commune n'avait pas respecté les modalités de la concertation, et qu'une note explicative de synthèse n'avait pas été envoyée avec la convocation à la séance du conseil municipal du 31 octobre 2011, et l'illégalité du classement partiel d'une parcelle en zone UD sans rapport avec la présente instance.

7. Les consorts B...font valoir que la commune de Léognan, a, par la participation d'un de ses représentants lors d'une réunion du 18 juin 2013, donné son assentiment au commencement des travaux d'aménagement de leur lotissement et commis une faute résultant d'une promesse non tenue. Toutefois, le simple fait d'accompagner les travaux de viabilisation de la parcelle en cause, autorisés par un permis d'aménager du 11 mars 2013, modifié le 8 août 2013, et sur une parcelle classée constructible par délibération du 11 octobre 2011 qui n'était alors pas annulée, ne peut être regardé comme une faute de nature à engager la responsabilité de la commune.

8. La commune de Léognan soutient que les consorts B...auraient commis une imprudence en réalisant les travaux de viabilisation de la parcelle cadastrée n° AA 90 alors que la condition suspensive de la vente à la SCI Cimalab du lot n° 1 n'était pas encore réalisée. Toutefois, les consorts B...n'ont pas commis de faute en acceptant l'insertion au contrat de vente d'une condition suspensive, et pas davantage en exécutant les travaux de viabilisation autorisés par un permis d'aménager du 11 mars 2013, sur une parcelle alors classée constructible. Par suite, l'imprudence alléguée par la commune de Léognan n'est pas établie et ne peut venir exonérer, même pour partie, la commune de Léognan de sa responsabilité.

Sur le lien de causalité et les préjudices :

9. La responsabilité d'une personne publique n'est susceptible d'être engagée que s'il existe un lien de causalité suffisamment direct entre les fautes qu'elle a commises et le préjudice subi par la victime.

10. Le tribunal administratif de Bordeaux a retenu, au titre des préjudices trouvant leur origine directe dans l'illégalité de la délibération du 31 octobre 2011, le coût des dépenses engagées pour l'aménagement du lotissement et le préjudice moral subis par les consortsB....

11. La commune de Léognan fait valoir que les préjudices dont les consorts B...demandent la réparation résultent de la combinaison de deux circonstances, également insusceptibles d'engager la responsabilité de la commune tenant d'une part, à l'inclusion, dans le compromis de vente des parcelles de l'indivision B...conclu avec la SCI Cimalab, d'une clause de caducité en cas de refus de permis de construire, et, d'autre part, au refus du permis de construire les habitations projetées opposé à cette dernière par le maire de la commune. Toutefois, si la commune fait valoir qu'il existe une perspective d'évolution du plan local d'urbanisme qui, en raison des motifs d'annulation de la décision approuvant le plan local d'urbanisme, permettrait d'écarter le lien de causalité entre l'illégalité de la délibération du 11 octobre 2011 et les préjudices invoqués par les consortsB..., elle ne justifie d'aucun calendrier, ni même d'aucune démarche tendant à faire modifier le classement en zone naturelle de la parcelle litigieuse. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Bordeaux a jugé qu'il existait un lien de causalité direct entre l'illégalité de la délibération du 11 octobre 2011, entraînant la remise en vigueur des dispositions du plan local d'urbanisme antérieur, et les préjudices qu'il a retenus.

12. Au regard de l'état du terrain tel qu'il résulte des photographies produites au dossier, il n'est pas certain que les travaux effectués en 2013 pourraient être utilisés à moyen terme sans nécessiter une reprise partielle ou complète. Dans ces conditions, la commune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal l'a condamnée à indemniser les consorts B...des dépenses exposées en vain pour le permis d'aménager, à hauteur de la somme non contestée de 143 094,88 euros.

13. Par ailleurs, si la commune soutient que la mobilisation d'un actif pour rembourser une dette étant pour un aménageur un acte de gestion normal dans le cadre de son activité, le préjudice moral résultant de la vente d'un bien pour rembourser le prêt consenti pour réaliser les travaux de viabilisation ne pourrait être indemnisé, il est établi par les pièces du dossier que les consortsB..., qui ne sont pas des aménageurs professionnels, ont été contraints de substituer à un terrain désormais non qualifiable de terrain à bâtir, une maison de famille en garantie de leur emprunt, et que la vente de ce bien a permis de rembourser ledit prêt. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal a indemnisé leur préjudice moral.

Sur l'appel incident des consortsB... :

14. Contrairement à ce que soutient la commune, les consorts B...sont recevables à demander, par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement en tant qu'il n'a pas accueilli l'intégralité de leur demande indemnitaire, les chefs de préjudice invoqués et non retenus reposant sur la même cause juridique, l'illégalité des décisions de la commune, que celle invoquée pour les dépenses d'aménagement exposées.

15. Il résulte de l'instruction que, pour financer les travaux d'aménagement, les consorts B...ont souscrit un emprunt, selon une offre éditée le 20 décembre 2013, d'un montant de 128 930 euros pour une durée de 24 mois avec un différé total de 23 mois, d'un coût total de 134 934,37 euros. En raison de l'absence de réalisation de la condition suspensive tenant à l'obtention du permis de construire, le contrat de vente avec la société Cimalab n'a pu être réalisé, et MM. B...ont été contraints de modifier le contrat de prêt initial afin de le proroger pour 24 mois. Le coût de ce second crédit, soit la somme de 6 549,03 euros, a pour origine directe l'illégalité de la délibération du 31 octobre 2011 approuvant le plan local d'urbanisme, impliquant la remise en vigueur du plan local d'urbanisme antérieur, laquelle a fondé le refus de permis de construire du 9 décembre 2014. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a jugé, pour écarter cette demande, que l'avenant portant la durée de ce prêt de 24 à 48 mois pour un montant total de 140 165,58 euros a pour cause le refus légal de permis de construire, opposé le 9 décembre 2014 et non l'annulation de la révision du plan local d'urbanisme.

16. Les consorts B...établissent que les frais notariés afférents à la donation de leur mère dont ils ont bénéficié pour lotir le terrain ont été calculés sur une valeur vénale de la parcelle AA 90 estimée à 540 000 euros, et demandent le remboursement de ces frais, qu'ils justifient en appel avoir exposés à hauteur de 17 466,29 euros, en raison de la dépréciation de la valeur du terrain. En outre, il résulte de l'instruction que les services des domaines ont estimé la valeur de cette parcelle devenue inconstructible à une somme de 5 526 euros. En l'absence de perspective d'évolution du plan local d'urbanisme, la différence entre les frais notariés calculés sur la base d'un terrain constructible et ceux qui auraient été versés pour la donation d'un terrain non constructible résulte de la remise en vigueur du plan local d'urbanisme antérieur induite par l'annulation de la délibération approuvant le plan local d'urbanisme du 11 octobre 2011. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a refusé l'indemnisation de ce préjudice, dont il sera fait une juste appréciation en l'évaluant à 15 000 euros.

17. Les consorts B...demandent, en troisième lieu, réparation au titre du bénéfice qu'ils pouvaient raisonnablement attendre du contrat conclu avec la SCI Cimalab. Toutefois, la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité pour les consorts B...de réaliser la vente du terrain à la SCI Cimalab résulte du refus de permis de construire, lequel a été regardé comme légal par une décision définitive du 1er décembre 2016. Par suite, les consorts B...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté leurs conclusions indemnitaires à ce titre.

18. Dans les circonstances de l'espèce, le tribunal administratif de Bordeaux n'a pas fait une inexacte appréciation du préjudice moral évoqué au point 12 en accordant à chacun des indivisaires une somme de 3 000 euros. Par suite, leur demande de porter l'indemnité globale sur ce point à 30 000 euros doit être rejetée.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Léognan n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux l'a condamnée à verser à MM. B...la somme de 143 094,88 euros. En revanche, les consorts B...sont fondés à demander à ce que la somme que la commune de Léognan a été condamnée à leur verser soit portée à la somme de 164 643,91 euros.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de MM.B..., qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la commune de Léognan au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la commune de Léognan le versement d'une somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés par MM. B....

DECIDE:

Article 1er : La requête de la commune de Léognan est rejetée.

Article 2 : La somme que la commune de Léognan a été condamnée par l'article 1er du jugement n° 1502213 du 13 avril 2017 à verser à MM. B...est portée à 164 643,91 euros.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 13 avril 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : La commune de Léognan versera à MM. B...la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de MM. B...est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...B..., à M. A...B..., à M. F... B... et à la commune de Léognan.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

Mme Nathalie Gay-Sabourdy, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 juin 2019.

Le rapporteur,

Nathalie GAY-SABOURDY Le président,

Catherine GIRAULT

Le greffier,

Virginie MARTY

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 17BX01854


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17BX01854
Date de la décision : 20/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-04-01 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Responsabilité et illégalité. Illégalité engageant la responsabilité de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Nathalie GAY-SABOURDY
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : SELARL LEGIPUBLIC AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-06-20;17bx01854 ?
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