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18/03/2019 | FRANCE | N°16BX03742

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 18 mars 2019, 16BX03742


Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

Mme A...E...et M. C...I...B...ont, par recours séparés, demandé au tribunal administratif de La Réunion, d'une part, d'annuler les décisions des 3 mars et 7 avril 2015 par lesquelles le maire de Petite-Ile a refusé de prendre en charge, au titre de la protection fonctionnelle, l'indemnisation à laquelle il a droit en conséquence du harcèlement moral commis par M. G...et de la condamnation prononcée par la cour d'appel de Saint-Denis le 18 décembre 2014, et de condamner la commune de Petite-Ile à vers

er à Mme E... la somme de 92 000 euros et à M. B...la somme de 82 348 euro...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

Mme A...E...et M. C...I...B...ont, par recours séparés, demandé au tribunal administratif de La Réunion, d'une part, d'annuler les décisions des 3 mars et 7 avril 2015 par lesquelles le maire de Petite-Ile a refusé de prendre en charge, au titre de la protection fonctionnelle, l'indemnisation à laquelle il a droit en conséquence du harcèlement moral commis par M. G...et de la condamnation prononcée par la cour d'appel de Saint-Denis le 18 décembre 2014, et de condamner la commune de Petite-Ile à verser à Mme E... la somme de 92 000 euros et à M. B...la somme de 82 348 euros, en réparation du harcèlement moral et la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'illégalité des décisions de refus susmentionnées et, d'autre part, d'annuler la délibération du 28 mai 2015 par laquelle le conseil municipal de Petite-Ile n'a que partiellement accueilli leur demande de protection fonctionnelle et de condamner la commune de Petite-Ile à verser à Mme E...la somme de 92 000 euros et à M. B...la somme de 82 348 euros, en réparation du harcèlement moral et la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'illégalité de cette délibération.

Par un jugement n°s 1500487, 1500488, 1500773 du 24 août 2016, le tribunal administratif de La Réunion a annulé les décisions du maire de Petite-Ile des 3 mars et 7 avril 2015 et la délibération du conseil municipal de Petite-Ile du 28 mai 2015 en tant qu'elles refusent d'indemniser Mme E...et M.B..., a condamné la commune à verser à Mme E... et à M. B...chacun la somme de 10 000 euros et a rejeté le surplus de leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 novembre 2016, la commune de Petite-Ile, représentée par MeF..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 24 août 2016 ;

2°) de rejeter les demandes de Mme E...et de M.B... présentée devant le tribunal administratif de La Réunion ;

3°) de mettre à la charge solidairement de Mme E...et de M.B..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 4 000 euros et, au titre de l'article R. 761-1 du même code, la somme de 13 euros correspondant aux droits de plaidoirie.

Elle soutient que :

- aux termes de la jurisprudence concernant l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, l'octroi de la protection fonctionnelle à un agent n'entraîne pas la substitution de la collectivité publique aux auteurs des faits pour le paiement des dommages et intérêts accordés par une décision de justice, lorsque ces auteurs sont insolvables ou se soustraient à l'exécution de cette décision de justice ;

- en l'espèce, si les agents ont appelé la garantie de la commune pour les condamnations de M.G..., il y avait non-lieu à statuer dès lors que les condamnations civiles de M. G...avaient été annulées ; or, le non-lieu prime l'examen du fond ; les agents demandaient la garantie de la commune pour les condamnations de M. G...et non une indemnisation propre ; dès lors qu'aucune indemnisation n'était demandée à la commune en propre, le jugement est entaché d'ultra petita ;

- d'autre part, le fait que l'ordre judiciaire se soit déclaré compétent ne permet plus de rechercher la responsabilité de l'administration, la condamnation de M. G...par les juridictions civiles établissant le caractère personnel de la faute ; or, la faute personnelle exclut la responsabilité de l'administration ;

- ce caractère personnel a également été reconnu par un jugement non contesté du tribunal administratif du 31 mars 2016 ; c'est donc à juste titre que la commune a refusé d'accorder la protection fonctionnelle à M.G... ; ses délibérations sont donc justifiées ;

- il n'appartient pas à la commune de se substituer à M. G...pour ses condamnations pénales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mars 2017, Mme A...E..., représentée par MeD..., conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à la réformation du jugement, en tant qu'il a limité la condamnation de la commune à 10 000 euros, et à la condamnation de la commune à lui verser les sommes de 6 373,53 euros à titre de remboursement des frais d'avocat exposés devant les juridictions civiles et de 92 000 euros au titre de son entier préjudice du fait du harcèlement moral dont elle a été victime dans l'exercice de ses fonctions ;

3°) à ce qu'il soit mis à la charge de la commune la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- elle est en droit d'invoquer le cumul de responsabilité de M. G...et de la commune ; la responsabilité de la commune peut en effet être engagée pour une faute commise par l'un de ses agents, même s'il s'agit d'une faute personnelle lorsqu'elle n'est pas dépourvue de tout lien avec le service ; en l'espèce, si M. G...a bien commis une faute de ce type, elle n'est pas dépourvue de tout lien avec le service, puisque c'est par des décisions administratives faisant grief que le harcèlement a été constitué ;

- il n'est donc pas demandé à la commune de se substituer à M. G...en ce qui concerne le paiement de ses condamnations, mais bien de l'indemniser de ses préjudices, en fixant le quantum au même montant que celui fixé par le juge pénal ;

- elle a subi, pendant deux ans et demi, un terrible harcèlement, par lequel elle a été mise à l'écart professionnellement, a été sanctionnée financièrement et a vu son état de santé physique et psychique se dégrader considérablement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mars 2017, M. C...B..., représenté par MeD..., conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à la réformation du jugement, en tant qu'il a limité la condamnation de la commune à 10 000 euros, et à la condamnation de la commune à lui verser les sommes de 6 373,53 euros à titre de remboursement des frais d'avocat exposés devant les juridictions civiles et de 82 348,16 euros au titre de son entier préjudice du fait du harcèlement moral dont il a été victime dans l'exercice de ses fonctions ;

3°) à ce qu'il soit mis à la charge de la commune la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- il est en droit d'invoquer le cumul de responsabilité de M. G...et de la commune ; la responsabilité de la commune peut en effet être engagée pour une faute commise par l'un de ses agents, même s'il s'agit d'une faute personnelle lorsqu'elle n'est pas dépourvue de tout lien avec le service ; en l'espèce, si M. G...a bien commis une faute de ce type, elle n'est pas dépourvue de tout lien avec le service, puisque c'est par des décisions administratives faisant grief que le harcèlement a été constitué ;

- il n'est donc pas demandé à la commune de se substituer à M. G...en ce qui concerne le paiement de ses condamnations, mais bien de l'indemniser de ses préjudices, en fixant le quantum au même montant que celui fixé par le juge pénal ;

- il a subi, pendant deux ans et demi, un terrible harcèlement, par lequel il a été mis à l'écart professionnellement, a été sanctionné financièrement et a vu son état de santé physique et psychique se dégrader considérablement.

Par un mémoire, enregistré le 22 mars 2017, la commune de Petite-Ile déclare se désister de l'instance.

Par un mémoire, enregistré le 14 avril 2017, Mme E...déclare ne pas acquiescer au désistement d'instance exprimé par la commune et maintenir ses conclusions d'appel incident, ainsi que ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 14 avril 2017, M. B...déclare ne pas acquiescer au désistement d'instance exprimé par la commune et maintenir ses conclusions d'appel incident, ainsi que ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 20 avril 2017, la commune déclare procéder au retrait de son désistement.

Par une ordonnance en date du 19 février 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 mars 2018.

La commune de Petite-Ile a produit un mémoire, enregistré le 12 février 2019, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,

- et les observations de MeH..., représentant la commune de Petite-Ile.

Deux notes en délibéré pour la commune de Petite-Ile ont été enregistrées le 20 février et le 7 mars 2019.

Une note en délibéré pour Mme E...et B...a été enregistrée le 8 mars 2019.

Considérant ce qui suit :

1. Deux agents de la commune de Petite-Ile, Mme E...et M.B..., ont porté plainte en 2013 contre le maire, M.G..., pour des faits de harcèlement moral. Par une délibération du 29 juin 2013, le conseil municipal a accordé à M. G...le bénéfice de la protection fonctionnelle au titre de sa mise en cause dans le cadre de cette plainte. Cependant, par jugement du 23 janvier 2014, le tribunal correctionnel de Saint-Pierre a déclaré M. G... coupable des faits de harcèlement moral qui lui étaient imputés, l'a condamné à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 5 000 euros d'amende, outre des condamnations au titre de l'action civile. Par un arrêt du 18 décembre 2014, la Cour d'appel de Saint-Denis a confirmé le jugement sur la culpabilité, l'a réformé sur la peine d'emprisonnement avec sursis, celle-ci étant portée à 10 mois et a mis à la charge de M. G...des condamnations civiles portées à 92 000 euros pour le préjudice de Mme E... et à 82 348 euros pour le préjudice de M.B.... Par une délibération en date du 18 février 2015, le conseil municipal de Petite-Ile a refusé d'accorder à M.G..., au titre du mandat de maire qu'il détenait avant le renouvellement municipal de mars 2014, le bénéfice de la protection fonctionnelle sollicitée au titre de sa procédure d'appel et de son pourvoi en cassation. Néanmoins, par décisions du maire de Petite-Ile des 3 mars et 7 avril 2015 et une délibération du conseil municipal du 28 mai 2015, la commune a refusé d'indemniser Mme E...et M. B...en conséquence du harcèlement moral commis par l'ancien maire, M.G.... Par un jugement du 24 août 2016, le tribunal administratif de La Réunion a annulé ces trois décisions et condamné la commune à verser à Mme E...et à M. B...une indemnité de 10 000 euros chacun. La commune demande l'annulation de ce jugement, et, en défense, Mme E...et M. B... présentent tous deux des conclusions incidentes, en réitérant les montants demandés en première instance.

3. Si tant l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis du 18 décembre 2014 que le jugement, devenu définitif, du tribunal administratif de La Réunion du 31 mars 2016 ont considéré que les fautes commises par M. G...étaient des fautes personnelles, celles-ci, bien que détachables du service dès lors qu'elles révèlent des préoccupations d'ordre privé et présentent un gravité inadmissible, ont néanmoins été commises dans l'exercice même de ses fonctions de maire. Ainsi, si la commune de Petite-Ile n'a pas à se substituer à son ancien maire pour assumer la charge des dommages et intérêts fixés par la décision de la cour d'appel, la circonstance que les faits de harcèlement moral commis par M.G..., qui ne peuvent qu'être regardés comme établis, au vu notamment de l'arrêt de la précité du 18 décembre 2014, sont constitutifs en l'espèce d'une faute personnelle détachable des fonctions de maire, demeure sans incidence sur les droits à réparation dont peuvent se prévaloir Mme E...et M. B...vis-à-vis de la commune de Petite-Ile, au titre des faits de harcèlement dont ils ont été victimes dans l'exercice de leurs fonctions.

4. Après avoir annulé les deux décisions des 3 mars et 7 avril 2015 et la délibération du 28 mai 2015, en tant qu'elles ont refusé toute indemnisation aux deux agents, le tribunal administratif de La Réunion a fait une appréciation de la réparation due à Mme E...et à M. B... au titre de l'ensemble des préjudices subis du fait du harcèlement moral dont ils ont été victimes et du fait des trois décisions de refus précitées, en condamnant la commune de Petite-Ile à verser à chacun une indemnité globale de 10 000 euros. Cependant, eu égard à la durée, à la gravité des faits de harcèlement qu'ont subis Mme E...et M. B..., ainsi qu'à l'illégalité des trois décisions de refus, il sera fait une juste appréciation de leurs préjudices en condamnant la commune de Petite-Ile à verser à chacun une indemnité globale de 15 000 euros.

5. Comme cela a déjà été souligné par les premiers juges, la commune de Petite-Ile est subrogée, à concurrence des deux indemnités de 15 000 euros allouées par le présent arrêt, dans les droits détenus par Mme E...et M. B...à l'encontre de M.G....

6. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Petit-Ile n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de La Réunion, mais qu'il y a lieu d'accueillir les appels incidents formés par Mme E...et M. B...à hauteur de 15 000 euros chacun.

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de M. B...et de MmeE..., qui ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes, une quelconque somme à verser à la commune de Petite-Ile. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Petite-Ile à verser à Mme E...et à M. B...la somme de 2 000 euros, chacun, sur le fondement de ces dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Petite-Ile est rejetée.

Article 2 : La commune de Petite-Ile est condamnée à verser à Mme E...et à M. B...une indemnité de 15 000 euros chacun.

Article 3 : Le jugement n°s 1500487, 1500488, 1500773 du 24 août 2016 du tribunal administratif de La Réunion est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 ci-dessus.

Article 4 : Le surplus des conclusions des appels incidents de Mme E...et de M. B...est rejeté.

Article 5 : La commune de Petite-Ile versera à Mme E...et à M. B...chacun la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...E..., à M. C... I...B...et à la commune de Petite-Ile.

Délibéré après l'audience du 13 février 2019 à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

M. Pierre Bentolila, président-assesseur,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 mars 2019.

Le rapporteur,

Florence Rey-GabriacLe président,

Pierre Larroumec

Le greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

2

N° 16BX03742


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX03742
Date de la décision : 18/03/2019
Type d'affaire : Administrative

Analyses

36-07-01-01 Fonctionnaires et agents publics. Statuts, droits, obligations et garanties. Statut général des fonctionnaires de l'État et des collectivités locales. Droits et obligations des fonctionnaires (loi du 13 juillet 1983).


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : MAILLOT JEROME

Origine de la décision
Date de l'import : 20/03/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-03-18;16bx03742 ?
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