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27/09/2018 | FRANCE | N°16BX03616,16BX03905

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 27 septembre 2018, 16BX03616,16BX03905


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

Le préfet de la Martinique a déféré devant le tribunal administratif de la Martinique l'arrêté en date du 17 avril 2015 par lequel le maire de I...a accordé à MM. B...et C...A...E...un permis de construire pour l'édification d'un centre agrotouristique d'une surface de plancher de 185 mètres carrés sur des terrains cadastrés section C nos 1968 et 1969 situés lieu-dit Rivière la Manche - Bonne mère.

Par un jugement n° 1500470 du 6 octobre 2016, le tribunal administratif de la Martinique n'a pas admis l'int

ervention du " Collectif des justiciables martiniquais mécontents ", et a annulé le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

Le préfet de la Martinique a déféré devant le tribunal administratif de la Martinique l'arrêté en date du 17 avril 2015 par lequel le maire de I...a accordé à MM. B...et C...A...E...un permis de construire pour l'édification d'un centre agrotouristique d'une surface de plancher de 185 mètres carrés sur des terrains cadastrés section C nos 1968 et 1969 situés lieu-dit Rivière la Manche - Bonne mère.

Par un jugement n° 1500470 du 6 octobre 2016, le tribunal administratif de la Martinique n'a pas admis l'intervention du " Collectif des justiciables martiniquais mécontents ", et a annulé le permis en litige.

Procédures devant la Cour :

I) Par une requête enregistrée au greffe de la cour le 16 novembre 2016 sous le n° 16BX03616 et des pièces complémentaires transmises par un bordereau enregistré le 17 octobre 2017, MM. B...et C...A...E..., représentés par MeF..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 6 octobre 2016 ;

2°) de rejeter le déféré du préfet comme irrecevable ou non fondé ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, outre les " entiers dépens ", la somme de 3 000 euros à verser à chacun en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les consorts A...E...soutiennent que :

- le tribunal a écarté à tort la fin de non recevoir opposée devant lui ; si le préfet a adressé un seul courrier comportant les noms des deux bénéficiaires du permis, seul l'un d'entre eux en a été destinataire et reconnaît avoir reçu notification du recours gracieux ; ils sont deux personnes juridiques distinctes ayant chacun des droits qu'ils peuvent vouloir défendre distinctement ; M. C...A...E...ne pouvait être rendu destinataire d'un courrier dont l'accusé de réception ne comportait pas le prénom, quand bien même la lettre se trouvant dans l'enveloppe mentionnerait les deux prénoms ;

- la date à laquelle la notification du recours gracieux est intervenue, le 28 avril 2016, révèle que le préfet n'a pas respecté les dispositions de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme, qui prévoit que la notification du recours gracieux est effectuée dans les mêmes conditions que le recours contentieux, soit dans les quinze jours à compter de la date d'enregistrement du déféré au tribunal, en l'occurrence le 28 août 2016 ; le tribunal ne pouvait donc sans erreur écarter la fin de non-recevoir au motif que les prescriptions de cet article " n'ont pas pour effet d'imposer de notifier le recours administratif préalablement exercé dans les quinze jours de l'introduction d'un recours contentieux " ;

- sur le fond, ils s'en rapportent aux moyens développés par la commune devant le tribunal s'agissant tant de la prétendue méconnaissance du plan d'occupation des sols que celle du plan de prévention des risques d'inondation ; ils attestent tous deux soit avoir la qualité d'exploitant agricole soit de la réalité de l'exploitation de la ferme agrotouristique, un huissier ayant constaté l'existence sur leur parcelles de nombreuses essences d'arbres fruitiers ainsi que de cultures maraîchères ;

- le maire de la commune de I...avait, dès le 28 avril 2015, envisagé de faire évoluer le zonage du terrain sur lequel se trouve la construction litigieuse et ainsi, après le dépôt d'un permis modificatif, de régulariser le permis de construire en litige, d'autant que les travaux sont achevés ; l'établissement a reçu un avis favorable de la commission de sécurité et d'accessibilité présidée par l'Etat et le préfet lui-même a confirmé cette possibilité de régularisation en proposant le concours de ses services dans le cadre de la révision du document d'urbanisme local ; le maire a pris le 13 juin 2016 la décision de créer un secteur constructible en zone 1AU couvrant le secteur dans lequel ils ont construit leur ferme agritouristique et les dispositions applicables à la nouvelle zone permettront, par un permis modificatif, de régulariser le vice susceptible d'entraîner l'illégalité de l'actuel permis de construire.

Le préfet de la Martinique a produit un mémoire en défense enregistré le 22 février 2017 par lequel il conclut au rejet de la requête.

Le préfet fait valoir que :

- le recours gracieux du 28 avril 2015 demandant au maire de retirer la décision du 17 avril 2015 a été régulièrement notifié aux bénéficiaires du permis de construire en recommandé avec accusé de réception, conformément à l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme ; ce courrier mentionnait le nom des deux bénéficiaires du permis, domiciliés à la même adresse, une lettre unique a donc été envoyée en recommandé à l'adresse indiquée dans le dossier de demande ; cet envoi répond aux exigences de l'article R. 600-1 précité, d'autant que MM. A...E...ont admis en première instance tous les deux avoir reçu notification du recours gracieux, comme l'a relevé le tribunal ; le déféré est donc recevable ;

- le plan de prévention des risques naturels (PPRN) de la commune, annexé au document d'urbanisme local opposable par arrêté du 3 février 2014, classe le terrain d'assiette du projet en zone orange d'aléa fort inondation ; le règlement du plan prévoit que les constructions nouvelles de plus de 20 mètres carrés à usage d'activité et/ou recevant du public ne sont autorisées que dans le cadre d'un aménagement global ; la construction projetée est présentée comme un établissement recevant du public de 3ème catégorie dans le procès-verbal de la commission de sécurité du 20 mars 2015 ; cette catégorie d'établissement qui est qualifiée de " construction à caractère vulnérable humain " dans le PPRN n'est également autorisée que dans le cadre d'un aménagement global ; la circonstance que la commission de sécurité, lors de la visite d'ouverture de la structure, l'ait présentée comme un établissement recevant du public de 4ème catégorie n'a pas d'incidence sur cette construction nouvelle de plus de 20 mètres carrés à usage d'activité et/ou recevant du public qui ne peut être autorisée que dans le cadre d'un aménagement global ; or, aucuns travaux de sécurisation n'ont été engagés ; en outre, les prescriptions du PPRN concernant les bâtiments d'exploitation agricoles, pour lesquels la réalisation d'un aménagement global n'est pas imposée, ne sauraient s'appliquer au projet tel que présenté dans le dossier de demande puisque la construction envisagée n'est clairement pas un bâtiment agricole et qu'elle est destinée à recevoir du public ;

- selon les articles NC.1 à NC.2 du règlement du plan d'occupation des sols de la zone dans laquelle sont situées les parcelles d'assiette du projet, seuls les bâtiments et équipements techniques d'exploitation agricole et forestière sont admis sans condition, et les constructions liées à l'agritourisme ne peuvent être autorisées que dans le sous secteur NCc ; il n'est pas contesté que le bâtiment en litige n'est pas implanté dans ce sous-secteur, et donc le permis en litige contrevient aux dispositions du règlement du POS de la commune ; si la construction est présentée comme un restaurant lié à un projet d'agritourisme, il ne ressort pas des éléments produits par les intéressés que ses activités s'inscrivent dans le prolongement de l'acte de production ; si l'un des objectifs de la SARL " Au bout du monde" créée en septembre 2013 par M. B...A...E...est la production de cultures maraîchères à faire découvrir aux écoliers sous forme ludique et pédagogique dans le cadre d'un partenariat avec les écoles et les centres aérés et aux touristes grâce au restaurant sous le label " restaurant bio-local-produits du terroir ", il ressort de l'avis défavorable émis par la direction de l'agriculture le 16 janvier 2015 que le terrain concerné n'a fait l'objet d'aucune mise en valeur agricole et que la SARL ne dispose pas d'une autorisation d'exploiter au titre du contrôle des structures visé à l'article L. 331-2 du code rural ; il s'avère par ailleurs que M. B...A...E...n'a pas la qualité d'agriculteur et que l'activité agricole exercée par M. C... A...E...n'est pas clairement identifiable, notamment sur leur propriété ; l'extrait Kbis de la SARL mentionne une activité de " restauration, organisation de spectacles vivants, création et animation d'évènements sociaux culturels " et un procès-verbal de gendarmerie établi en décembre 2014 indique que l'établissement a une activité en majeure partie nocturne de type lounge-bar-dancing et d'organisation de spectacles et d'évènements qui n'a aucun lien avec l'agrotourisme ;

- contrairement à ce que soutiennent les appelants, le courrier du 8 juin 2016 adressé au maire de I...ne constitue pas une approbation du projet de régularisation de la construction édifiée par les consorts A...E..., mais un rappel de la procédure à suivre dans la perspective éventuelle d'une régularisation de la situation, notamment la révision du plan local d'urbanisme et la production d'une étude d'aménagement global sur l'ensemble du secteur puis la réalisation de travaux permettant de réduire le risque d'inondation pour engager éventuellement la révision du PPRN ; ce n'est qu'à ces conditions, lesquelles ne sont aujourd'hui pas réunies, que le terrain d'assiette du Bout du Monde pourrait juridiquement devenir constructible.

Par ordonnance du 24 mai 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 juin 2018 à 12 heures.

II) Par une requête enregistrée au greffe de la cour le 7 décembre 2016 sous le n° 16BX03905, la commune deI..., représentée par son maire en exercice et par MeD..., conclut aux mêmes fins que la requête n° 16BX03616 et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune soutient que :

- le tribunal n'a pas jugé utile de transmettre aux parties l'ensemble des mémoires produits, notamment les mémoires complémentaires enregistrés les 1er juillet, 14 et 16 septembre 2016 ; dans le deuxième mémoire cité, l'avocat des pétitionnaires a opposé une nouvelle fin de non recevoir tirée de ce que le recours gracieux n'aurait été communiqué qu'à un seul d'entre eux ; elle a elle-même soulevé cette fin de non recevoir, qu'elle croyait nouvelle, dans son mémoire enregistré le 23 septembre 2016 ; le mémoire complémentaire du préfet, enregistré le 16 septembre 2016, jour de la première clôture de l'instruction, n'a pas été transmis aux parties, ne lui permettant pas en qualité de défenderesse principale, de présenter ses observations en dernier lieu, comme le veulent, en principe, les droits de la défense ; la teneur de ce mémoire, à défaut d'en avoir eu une complète connaissance, a pu avoir une incidence sur le sens du jugement dans la mesure où il intervient après la réception des deux mémoires de MM. A... E... ; les parties n'ont ainsi pas été mises en mesure d'échanger, en temps utile, dans le cadre de la procédure écrite, sur le non-respect des formalités exigées par l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme, et de manière plus générale, sur l'ensemble des moyens et faits invoqués dans cette instance ; les écritures du préfet distribuées aux parties défenderesses ne contenant aucune argumentation en défense s'agissant de la fin de non-recevoir tenant à ce que le recours gracieux du préfet n'a pas été adressé aux deux pétitionnaires, il apparaît donc plus que probable que le tribunal pour rejeter cette fin de non-recevoir, s'est basé sur des écritures du préfet non communiquées aux défendeurs et donc que son jugement est irrégulier de ce premier chef ;

- les dispositions de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme ont pour finalité d'assurer une meilleure sécurité juridique des bénéficiaires d'autorisations d'urbanisme, en les informant dans les plus brefs délais de l'existence d'un recours, ce qui implique que les recours (tant administratif que contentieux) doivent être notifiés à chaque titulaire du permis en son nom propre, quand bien même ils seraient domiciliés à la même adresse ; cette règle de procédure doit être d'application stricte dans la mesure où il s'agit de la garantie d'un droit personnel, ce que confirme la jurisprudence des cours ; le préfet n'a produit en première instance qu'un seul certificat de dépôt et un seul avis de réception, au nom de M. B...A...E... ; or il lui revenait d'apporter la preuve de la notification du recours gracieux à M. C...J...A...E..., par courrier distinct ; le déféré doit par suite être considéré comme irrecevable, ce qui entraîne l'annulation du jugement ;

- les parcelles d'assiette du projet sont situées dans la zone NC du POS, zone naturelle comprenant des terrains non équipés, à préserver en raison de leur richesse économique, c'est-à-dire à valeur agricole ou touristique en littoral ; les constructions autorisées y sont ainsi limitées par le règlement de zone, lequel prévoit une partie non sectorisée (NC) et cinq secteurs, chacun réservé à une destination particulière, dont le secteur NCc est réservé à l'implantation d'un projet agritouristique ; ces secteurs n'ont vocation qu'à déterminer la destination des constructions autorisées sans déroger aux autres règles du règlement ; l'article NC2 du règlement interdit dans l'ensemble de la zone, tous les types d'occupations et d'utilisation du sol qui ne sont pas " strictement liés à l'exploitation agricole " et l'article NC1 admet dans le secteur NC, sous condition de se situer hors de la zone de bruit, les équipements et installations strictement nécessaires à un projet de développement agritouristique ; les activités agricoles sont définies à l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime et comprennent notamment les activités exercées dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation ; cette définition générale vise à permettre aux agriculteurs de diversifier leur source de revenu en exerçant des activités para commerciales, telles que l'agrotourisme, tout en conservant le bénéfice du régime agricole ; le règlement du POS n'interdit pas l'implantation d'équipements agritouristiques dans la zone NC non sectorisée, mais prévoit seulement que seuls ces équipements liés à un projet agritouristique sont autorisés en secteur NCc ; ainsi, le projet de centre d'agrotourisme pouvait donc parfaitement être autorisé sur les parcelles en cause, déjà suffisamment équipées en matière de réseaux, dès lors qu'il était supporté par l'exploitation agricole existante, sans qu'elle n'ait l'obligation de vérifier, sur pièces, la qualité d'agriculteur des pétitionnaires, sur laquelle ils se sont suffisamment justifiés en première instance ; le tribunal ne pouvait donc sans erreur retenir le moyen tiré ce que le permis en litige aurait méconnu les dispositions du POS opposable ;

- la règlementation de la zone orange du PPRN prévoit des prescriptions générales et des prescriptions particulières selon que les travaux envisagés concernent une construction nouvelle ou une construction existante ; s'agissant des constructions nouvelles, des règles différentes sont prévues en fonction des six catégories de bâtiments envisagées, ceux-ci pouvant être soit autorisés sous conditions précises, notamment en ce qui concerne la conception architecturale, soit autorisés dans le cadre d'un aménagement global, soit strictement interdits ; les travaux faisant l'objet de la demande de permis relevaient de la catégorie 3 du PPRN " constructions à caractère vulnérable " comprenant notamment les ERP de catégorie 1 à 3, et ainsi soumis à une étude préalable d'aménagement globale, sauf à considérer le projet comme un bâtiment à usage strictement agricole, relevant lui de la catégorie 2 du PPRN ; en autorisant la construction à destination agritouristique, au titre des conditions d'utilisation du sol prévues par son plan d'occupation des sols, le maire a pu légitimement estimer que la construction entrait dans la catégorie 2 du PPRN, dispensée d'étude d'aménagement global, au regard de la définition large de l'agrotourisme ; en outre, la description des travaux dans le dossier de demande de permis ne laissait pas craindre une aggravation du risque ou la création d'un nouveau risque, au regard de la très faible imperméabilisation des sols et du caractère ouvert des bâtiments ; le permis de construire n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard du règlement de la zone orange du PPRN ;

- l'application du PPRN en tant que ce plan classe le lieu-dit " la Bonne Mère ", terrain d'assiette du permis de construire litigieux, en zone orange d'aléa fort soumis à une étude d'aménagement global sauf exception ne peut qu'être écartée dès lors que ce classement ne correspond pas à la réalité du risque d'inondation, d'ailleurs fortement contesté dans le cadre de la concertation organisée avec les communes, préalablement à l'adoption du plan le 18 décembre 2013, et donc que ce plan est entaché sur ce point d'une erreur manifeste d'appréciation ; l'étude de géomètre réalisée à la demande des pétitionnaires montre que la cote altimétrique de leur terrain se situe au-dessus du niveau de la cote de référence des plus hautes eaux connues de la zone, tel qu'indiqué dans le rapport de présentation de la révision du PPRN en 2013 ; le site en question n'a pas été inondé depuis très longtemps, y compris lors des dernières intempéries du 6 novembre 2015.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 février 2017, le préfet de la Martinique conclut au rejet de la requête. Il reprend dans les mêmes termes ses écritures présentées dans le cadre de la requête n° 16BX03616 et fait valoir en outre que :

- le recours gracieux a été régulièrement notifié aux deux titulaires de l'autorisation de construire en litige à leur adresse commune, et le déféré a également été notifié à ces deux titulaires comme en attestent les imprimés de recommandé de ces courriers. Le déféré introduit en août 2016 apparaît ainsi recevable ;

- si la commune soutient que le PPRN de la commune n'a pas correctement évalué le risque inondation sur le terrain d'assiette du projet, elle se borne à produire un relevé altimétrique effectué par un cabinet de géomètre-expert et un extrait des procès-verbaux des délibérations du conseil municipal de la commune dans lequel le classement en zone orange de la zone concernée est remis en cause ; au demeurant, l'illégalité de ce document approuvé et annexé au document d'urbanisme de la commune ne peut être invoquée par voie d'exception que dans le délai de six mois à compter de son entrée en vigueur. Ce moyen n'apparaît donc pas recevable. Au demeurant, la commune ne produit aucune étude hydraulique sur le secteur au soutien de son moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation de 1'aléa inondation dans cette zone.

Par ordonnance du 23 mai 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 juin 2018 à 12 heures.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 30 août 2018 :

- le rapport de M. Jean-Claude Pauziès,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public,

- et les observations de MeG..., représentant MM. A...E....

Considérant ce qui suit :

1. Le maire de la commune de I...(Martinique) a refusé par un arrêté du 31 juillet 2014 le permis sollicité par M. B...A...E...le 3 février 2014 pour la construction d'un restaurant-bar sur la parcelle cadastrée section C n° 1968 située lieu-dit Rivière la Manche - Bonne Mère et située en zone NC du plan d'occupation des sols de la commune. Le pétitionnaire, malgré un arrêté interruptif de travaux pris par la commune le 7 avril 2014, a achevé la construction du bâtiment, qu'il a commencé à exploiter sous l'enseigne " Le bout du monde ", avant de faire l'objet d'une fermeture administrative pour une durée de six mois ordonnée par le préfet le 19 décembre 2014. Le maire de I...a délivré le 17 avril 2015 à MM. B... et C...A...E...un permis de construire pour l'édification d'un " centre agritouristique " d'une surface de plancher de 185 mètres carrés sur le même terrain reprenant le bâtiment existant, ainsi que sur la parcelle voisine no 1969. Le préfet de la Martinique, dans une lettre d'observation valant recours gracieux du 28 avril 2015 réceptionnée en mairie le même jour, a demandé au maire de retirer ce permis accordé selon lui en méconnaissance des dispositions du plan d'occupation des sols et du plan de prévention des risques d'inondations. En l'absence de réponse du maire, une décision implicite de rejet de ce recours gracieux est née le 29 juin 2016. Le tribunal administratif de la Martinique a été saisi le 29 août 2016 d'un déféré préfectoral tendant à l'annulation de ce permis. Par deux requêtes enregistrées respectivement sous les n° 16BX03616 et 16BX03905, MM. B...et C...A...E...d'une part, et la commune de I...d'autre part, relèvent appel du jugement du 6 octobre 2016 par lequel le tribunal administratif de la Martinique, après avoir rejeté l'intervention du Collectif des justiciables martiniquais mécontents, a fait droit au déféré du préfet et annulé le permis de construire en litige.

Sur la jonction :

2. Les requêtes n° 16BX03616 et 16BX03905 sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité du jugement :

3. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer un mémoire ou une pièce contenant des éléments nouveaux est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.

4. Il ressort des pièces du dossier de première instance et de la consultation de l'application Sagace que la clôture de l'instruction est intervenue trois jours avant l'audience fixée, après renvoi, le 29 septembre 2016. Les mémoires du préfet enregistrés les 30 juin 2016 et 16 septembre 2016 répondaient aux moyens de défense soulevés par les appelants et nécessitaient une communication aux parties en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative. En outre, le mémoire de la commune deI..., enregistré le 23 septembre 2016 et qui n'a pas été communiqué, soulevait un moyen de défense nouveau tiré de l'insuffisante notification du recours gracieux à un seul des pétitionnaires, qui nécessitait un débat. Par suite, la commune de I...est fondée à soutenir que le jugement a été rendu à la suite d'une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l'annulation. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer et de statuer immédiatement sur le déféré préfectoral.

Sur l'intervention :

5. Le collectif des justiciables martiniquais mécontents a pour objet " la défense des intérêts matériels et moraux de tous les martiniquais lorsqu'ils s'estiment lésés dans leurs droits. ". Compte tenu de la nature et de l'objet du présent litige, relatif à la légalité d'un permis de construire délivré à deux particuliers, le collectif des justiciables martiniquais mécontents ne justifie pas, par son objet statutaire, d'un intérêt de nature à le rendre recevable à intervenir devant le juge de l'excès de pouvoir. Par suite, son intervention n'est pas recevable.

Sur les fins de non-recevoir opposées par MM. A...E...et la commune deI... :

6. Aux termes de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme : " En cas (...) de recours contentieux à l'encontre (...) d'un permis de construire, d'aménager ou de démolir, (...) l'auteur du recours est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation. (...) L'auteur d'un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d'irrecevabilité du recours contentieux qu'il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif. / La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du déféré ou du recours. (...) ".

7. MM. A...E...et la commune soutiennent que le déféré du préfet est tardif dès lors d'une part que celui-ci n'aurait notifié la lettre d'observation valant recours gracieux qu'à un seul des deux bénéficiaires du permis, et que, d'autre part, cette même notification du recours gracieux n'est pas intervenue dans les quinze jours à compter de la date d'enregistrement du déféré au tribunal comme le prévoient, selon eux, les dispositions de l'article R. 600-1 précitées.

8. Il ressort des pièces du dossier que la lettre de notification du recours gracieux était adressée à " MM. B...et C...A...E... ", lesquels ne contestent pas avoir déclaré résider à la même adresse. Si le certificat de dépôt et l'accusé de réception de ce pli ne comportent que le seul nom de M. B...A...E..., les " bénéficiaires du permis " ont tous deux admis dans leurs écritures devant le tribunal avoir reçu notification de ce recours gracieux. Par ailleurs, dès lors qu'il n'est pas contesté que la réception de ce recours gracieux par la commune est intervenue le 5 mai 2015 et qu'il résulte des dispositions de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme qu'un recours gracieux contre un permis de construire, notifié dans les formes requises par cet article, conserve le délai de recours contentieux, les appelants ne peuvent soutenir que la notification du recours gracieux du préfet serait irrégulière faute d'être intervenue dans le délai de quinze jours francs à compter du dépôt du déféré, alors que, pour que le délai de recours contentieux puisse être conservé par la notification régulière d'un recours administratif préalable, celui-ci doit être nécessairement notifié avant l'introduction du recours. Par suite, les fins de non-recevoir tirées de l'irrecevabilité du déféré opposées par MM. A...E...et la commune de I...doivent être écartées.

Sur la légalité de l'arrêt du 17 avril 2015 :

9. Le plan d'occupation des sols de la commune de I...a classé les parcelles en cause en zone NC, définie comme une " zone naturelle [comprenant] des terrains non équipés, à préserver en raison de leur richesse économique " et définit au sein de cette zone cinq secteurs, dont le secteur NCc " destiné à l'implantation d'un projet agrotouristique ". Aux termes de l'article NC1 du règlement du POS : " 1.1. Occupations et utilisations du sol admises sans condition. / Sont admis : dans la zone NC, les bâtiments et équipements techniques d'exploitation agricole et forestière (...) / 1.2. Occupations et utilisations du sol admises sous conditions / Sont éventuellement admis : (...) - dans le secteur NCc (hors des zones de bruit) les installations et équipements strictement nécessaires à un projet de développement agritouristique. ". Il résulte de ces dispositions, contrairement à ce que soutient la commune, que les installations agritouristiques ne sont admises que dans le secteur NCc.

10. Il ressort des pièces du dossier que le projet en cause était présenté comme consistant en l'implantation en zone NC d'une " ferme agritouristique " comprenant un bâtiment de restauration et d'échanges, lequel s'avère être la construction érigée sans autorisation en 2014, et un dépôt. Ni les pétitionnaires ni la commune ne contestent, pas plus en première instance qu'en appel, que le terrain d'assiette du projet n'est pas situé au sein du sous-secteur NCc. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, une telle installation ne saurait être assimilée, au regard du règlement de la zone NC, à un bâtiment ou un équipement technique d'exploitation agricole et forestière, exploitation dont les pétitionnaires ne démontrent d'ailleurs pas de manière suffisamment probante l'existence sur la parcelle n° 1969. Par suite, le préfet est fondé à soutenir que le projet autorisé méconnaît les dispositions du règlement du plan d'occupation des sols de la commune.

11. Aux termes de l'article L. 562-1 du code de l'environnement : " I. L'Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles tels que les inondations, les mouvements de terrain, les avalanches, les incendies de forêt, les séismes, les éruptions volcaniques, les tempêtes ou les cyclones. II. Ces plans ont pour objet, en tant que de besoin : 1°) De délimiter les zones exposées aux risques, dites "zones de danger", en tenant compte de la nature et de l'intensité du risque encouru, d'y interdire tout type de construction, d'ouvrage, d'aménagement ou d'exploitation agricole, forestière, artisanale, commerciale ou industrielle ou, dans le cas où des constructions, ouvrages, aménagements ou exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles pourraient y être autorisés, prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités ; 2°) De délimiter les zones, dites "zones de précaution", qui ne sont pas directement exposées aux risques mais où des constructions, des ouvrages, des aménagements ou des exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles pourraient aggraver des risques ou en provoquer de nouveaux et y prévoir des mesures d'interdiction ou des prescriptions telles que prévues au 1° ; 3°) De définir les mesures de prévention, de protection et de sauvegarde qui doivent être prises, dans les zones mentionnées au 1° et au 2°, par les collectivités publiques dans le cadre de leurs compétences, ainsi que celles qui peuvent incomber aux particuliers ; 4°) De définir, dans les zones mentionnées au 1° et au 2°, les mesures relatives à l'aménagement, l'utilisation ou l'exploitation des constructions, des ouvrages, des espaces mis en culture ou plantés existants à la date de l'approbation du plan qui doivent être prises par les propriétaires, exploitants ou utilisateurs. (...) ". Les plans de prévention des risques naturels prévisibles, qui doivent être annexés aux plans locaux d'urbanisme en application de l'article L. 126-1 du code de l'urbanisme, précisent la nature des risques, les zones dans lesquelles ils sont susceptibles de se réaliser et les prescriptions qui en découlent, lesquelles sont opposables aux demandes d'utilisation des sols et aux opérations d'aménagement.

12. La commune de I...soutient que le plan de prévention des risques naturels n'a pas correctement évalué le risque d'inondation sur le terrain d'assiette du projet. Toutefois, en se bornant à produire une étude de géomètre démontrant selon elle que " la cote altimétrique du terrain des pétitionnaires " est largement supérieure à celle de l'entrée du centre commercial Genipa, pourtant situé à quelques mètres de là ou même de la cote moyenne de la voirie au droit de leur parcelle " elle n'établit pas que le zonage du plan de prévention des risques naturels serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

13. Il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet litigieux est situé en zone " orange ", correspondant à un aléa moyen d'inondation, du plan de prévention des risques naturels annexé au plan d'occupation des sols de la commune de I...par arrêté du 3 février 2014. Ce plan n'autorise les constructions nouvelles de catégorie n°1 (constructions nouvelles de plus de 20m² à usage d'activité et/ou recevant du public autres que celles visées plus loin), ou n° 3 (ERP de catégorie 1 à 3), que dans le cadre d'un aménagement global. La circonstance que le procès-verbal de la commission de sécurité rédigé à l'occasion de la visite d'ouverture de la structure le 9 octobre 2015 ait mentionné que l'établissement constituait un établissement recevant du public de 4ème catégorie est sans influence, dès lors que l'établissement est en tout état de cause destiné à recevoir du public et entrait alors dans la catégorie n°1 du plan de prévention des risques naturels. Il n'est pas contesté que le projet de construction d'un centre d'agrotourisme présenté par MM. A...E...ne s'inscrit pas dans le cadre d'un tel aménagement global de la zone.

14. Enfin, si la commune de I...fait également valoir que le maire a pu légitimement estimer que le projet entrait dans la catégorie n° 2 du plan de prévention des risques naturels, dispensée d'étude d'aménagement global, au regard de la définition large de l'agrotourisme, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet autorisé portait sur la création d'une construction à usage strictement agricole.

15. Aux termes de l'article L. 600-5-1 du même code : " Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. ". Il ne ressort pas des pièces du dossier que les illégalités relevées aux points 10 et 13 puissent être régularisées par la délivrance d'un permis de construire modificatif. Si MM. A...E...se prévalent en appel de la volonté du maire de créer une zone 1AU " constructible " dans laquelle sera inclus le bâtiment litigieux permettant ainsi la régularisation de leur projet, il ne ressort en tout état de cause d'aucune pièce du dossier que la révision du document d'urbanisme communal comprenant des dispositions en ce sens ait été achevée à ce jour, ni même que cette modification, à la supposer possible, suffirait à elle seule à régulariser ladite construction.

16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Martinique est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 17 avril 2015 par lequel le maire de I...a accordé à MM. B...et C...A...E...un permis de construire pour l'édification d'un centre agritouristique d'une surface de plancher de 185 mètres carrés sur des terrains cadastrés section C nos 1968 et 1969 situés lieu-dit Rivière la Manche - Bonne Mère.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, les sommes que les consorts A...E...et la commune de I...demandent sur leur fondement. Les conclusions tendant à la condamnation de l'Etat au paiement des " entiers dépens " de l'instance, laquelle n'en comprend au demeurant aucun, ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1500470 du 6 octobre 2016 du tribunal administratif de la Martinique est annulé.

Article 2 : L'intervention du collectif des justiciables martiniquais mécontents n'est pas admise.

Article 3 : L'arrêté du maire de I...du 17 avril 2015 est annulé.

Article 4 : Le surplus des conclusions de MM. A...E...et de la commune de I...est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A...E..., à M. C...A...E..., à la commune deI..., au ministre d'Etat, ministre de l'écologie et de la transition énergétique et au préfet de la Martinique. Copie en sera adressée au procureur de la république près le tribunal de grande instance de Fort-de-France et au Collectif des justiciables martiniquais mécontents.

Délibéré après l'audience du 30 août 2018 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

M. David Terme, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 27 septembre 2018.

Le rapporteur,

Jean-Claude PAUZIÈS Le président,

Catherine GIRAULT

Le greffier,

Virginie MARTY

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'écologie et de la transition énergétique, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 16BX03616, 16BX03905 9


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-03-03-02-02 Urbanisme et aménagement du territoire. Permis de construire. Légalité interne du permis de construire. Légalité au regard de la réglementation locale. POS ou PLU (voir supra : Plans d`aménagement et d`urbanisme).


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Jean-Claude PAUZIÈS
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : SELAS JURISCARIB

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Date de la décision : 27/09/2018
Date de l'import : 02/10/2018

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 16BX03616,16BX03905
Numéro NOR : CETATEXT000037445537 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-09-27;16bx03616.16bx03905 ?
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