La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/03/2018 | FRANCE | N°17BX02218

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 26 mars 2018, 17BX02218


Vu la procédure suivante :

La société Total EetP Guyane Française (TEPGF) et la société Esso Guyane Française Exploration et Production (EGFEP), sociétés par actions simplifiées, ont demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision implicite du 5 mai 2014 par laquelle le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et le ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique ont rejeté leur demande de permis exclusif de recherche d'hydrocarbures dit " Udo ", ainsi que les décisions implicites de ces autorités rejetan

t leurs recours gracieux.

Par jugement n° 1401191, 1401201 du 20 avril ...

Vu la procédure suivante :

La société Total EetP Guyane Française (TEPGF) et la société Esso Guyane Française Exploration et Production (EGFEP), sociétés par actions simplifiées, ont demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision implicite du 5 mai 2014 par laquelle le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et le ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique ont rejeté leur demande de permis exclusif de recherche d'hydrocarbures dit " Udo ", ainsi que les décisions implicites de ces autorités rejetant leurs recours gracieux.

Par jugement n° 1401191, 1401201 du 20 avril 2017, le tribunal administratif de la Guyane a annulé les décisions contestées mentionnées ci-dessus.

Par un recours enregistré le 13 juillet 2017, le ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour d'annuler ce jugement du 20 avril 2017 du tribunal administratif de la Guyane et de rejeter les conclusions des sociétés TEPGF et EGFEP.

Par un mémoire enregistré le 26 février 2018, la société EGFEP, représentée par Me C... et MeD..., demande à la cour de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 3 de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017.

Elle soutient que :

- en application de l'article 3 de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017, l'interdiction de délivrer des permis exclusifs de recherche s'applique aux demandes en cours d'instruction à la date de publication de la loi sous la seule réserve de décisions juridictionnelles passées en force de chose jugée enjoignant à l'administration d'accorder la délivrance ou la prolongation d'un permis ;

- ces dispositions qui font obstacle à ce que la cour enjoigne à l'administration de délivrer le permis " Udo ", sont applicables au litige, l'appréciation de l'applicabilité au litige d'une disposition contestée dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité devant se comprendre comme visant les conclusions à fin d'injonction ;

- ces dispositions n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

- la question présente un caractère sérieux ;

- les dispositions contestées méconnaissent la garantie des droits consacrée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; elles remettent en effet en cause les effets légitimement attendus de la loi s'agissant des demandes de permis en cours d'instruction, parfois présentées, comme en l'espèce, plusieurs années avant la loi du 30 décembre 2017, et ce sans justification par un motif d'intérêt général ; l'Etat a entendu mener une politique d'inaction afin d'obtenir ultérieurement une validation législative ; le transfert de compétences en matière de délivrance des titres miniers au profit des collectivités territoriales d'outre-mer n'est intervenu que plusieurs années après l'entrée en vigueur de la loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000 et presque quatre ans après une injonction en ce sens du Conseil d'Etat ; la dérogation prévue à l'article 3 de la loi du 30 décembre 2017 n'est que purement formelle ;

- les dispositions contestées remettent en cause le droit à un recours juridictionnel effectif également garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; le droit d'obtenir l'exécution des décisions juridictionnelles est une composante de ce droit ;

- ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en créant une rupture d'égalité entre les opérateurs qui ont un titre minier au jour de l'entrée en vigueur de la loi et ceux qui n'en n'ont pas mais qui ont introduit une demande et saisi le juge administratif bien des années avant cette entrée en vigueur ; dans son avis du 1er septembre 2017, le Conseil d'Etat avait d'ailleurs encouragé le Gouvernement à apurer le stock anormalement élevé de demandes en cours et à atténuer au cas par cas les effets de l'intervention de la loi nouvelle en prenant des mesures transitoires plus substantielles ou en ouvrant des possibilités de dérogation, ce qui n'a pas été fait ; elle-même se trouverait du fait de la loi dans la même situation qu'un opérateur ayant présenté une demande après l'entrée en vigueur de la loi alors que la demande de permis " Udo " a été présentée six ans et demi avant l'adoption de la loi ; la différence de traitement introduite par les dispositions contestées n'est pas en rapport direct avec l'objet de la loi ; elle résulte du calendrier de l'administration et du juge ; au regard du nombre de dossiers en souffrance, l'application des nouvelles dispositions entraine une différence de traitement qui ne présente pas un caractère résiduel ; en novembre 2017, il n'existait aucune décision juridictionnelle passée en force de chose jugée enjoignant à l'administration de délivrer un titre ; le législateur a donc adopté des mesures transitoires qu'il savait inutiles ;

- les dispositions contestées méconnaissent le principe de la liberté du commerce et de l'industrie en restreignant voire en interdisant les activités de recherche et de production d'hydrocarbures y compris lorsque les demandes ont été depuis longtemps présentées aux autorités compétentes ; cette atteinte est disproportionnée au regard de l'objectif de la loi visant un arrêt progressif ;

- ces dispositions méconnaissent le principe de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales consacré par l'article 72-2 de la Constitution ; l'exploration et l'exploitation d'hydrocarbures donnent lieu au versement de redevances communales et départementales ; la loi du 30 décembre 2017 a également prévu une taxe additionnelle au profit de la collectivité territoriale de Guyane ; l'arrêt des recherches entraine une diminution importante des ressources publiques ; le Conseil d'Etat avait souligné l'insuffisance de l'étude d'impact et du projet de loi sur ce point.

Par un mémoire enregistré le 26 février 2018, la société TEPGF, représentée par Me A..., demande à la cour de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 3 de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017.

Elle soutient les mêmes moyens que ceux invoqués par la société EGFEP et visés ci-dessus à l'exception de ceux relatifs à la méconnaissance du principe de la liberté du commerce et de l'industrie et à la méconnaissance du principe de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales.

Par un mémoire enregistré le 15 mars 2018, la collectivité territoriale de Guyane, représentée par MeB..., et déclarant venir aux droits de l'Etat, soutient, d'une part, que les demandes de transmission des questions prioritaires de constitutionnalité doivent être examinées en tenant compte du contexte, caractérisé par une adoption excessivement tardive du décret mettant en oeuvre le transfert de compétences en matière de titres miniers aux collectivités territoriales et par un transfert de compétences en réalité vidé de l'essentiel de sa substance et, d'autre part, qu'elle doit être substituée à l'Etat dans l'instance, compte tenu du transfert de compétences intervenu.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution et notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le code minier ;

- la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement ;

- le décret n° 2018-62 du 2 février 2018 portant application de l'article L. 611-33 du code minier ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que la cour administrative d'appel, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de cette question et procède à cette transmission, si est remplie la triple condition que la disposition soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

2. L'article 3 de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 rend applicable l'interdiction de délivrance de permis exclusif de recherches prévue par le nouvel article L. 111-9 du code minier aux demandes en cours d'instruction à la date de publication de la loi sous la seule réserve de décisions juridictionnelles passées en force de chose jugée enjoignant à l'administration de procéder à la délivrance ou d'autoriser la prolongation d'un titre. Ces dispositions sont applicables au présent litige, dès lors que les sociétés Esso Guyane Française Exploration et Production (EGFEP) et Total EetP Guyane Française (TEPGF) ont obtenu devant le tribunal administratif de Pau, avant la publication de la loi du 30 décembre 2017, l'annulation du refus du permis exclusif de recherche sollicité sans que le jugement du tribunal administratif ne prononce d'injonction, une telle injonction n'ayant pas été demandée et dès lors que le jugement, qui est frappé d'appel, n'est, en tout état de cause, pas passé en force de chose jugée.

3. L'article 3 de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

4. Les moyens tirés de l'atteinte portée par l'article 3 de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017, d'une part, au droit d'obtenir l'exécution d'une décision de justice, composante du droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, d'autre part, au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et, de troisième part, à la liberté du commerce et de l'industrie, ne sont pas dépourvus de caractère sérieux, eu égard notamment au contexte dans lequel est intervenue la loi du 30 décembre 2017, alors que de nombreuses demandes d'autorisation et de prolongation déposées depuis plusieurs années étaient restées sans réponse explicite et sans justification de refus, et même si les opérateurs concernés peuvent présenter des demandes d'indemnisation au titre de ces refus injustifiés. Il y a lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité ainsi invoquée.

5. En revanche, l'article 3 de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 ne porte atteinte à aucune situation acquise. Par ailleurs, il n'a pas par lui-même pour effet de créer des charges nouvelles excessives pour les collectivités territoriales auxquelles ont été transférées les compétences prévues à l'article L. 611-31 du code minier ni de les priver de ressources au point d'entraver leur libre administration garantie par l'article 72 de la Constitution, au regard des charges transférées, ou de porter atteinte à leur autonomie financière garantie par l'article 72-2 de la Constitution. Par suite, la question ainsi invoquée est dépourvue de caractère sérieux et il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question de l'atteinte portée par l'article 3 de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017, d'une part, à la protection des effets qui peuvent être légitimement attendus de situations légitimement acquises, garantie par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et, d'autre part, au principe de libre administration des collectivités territoriales et à leur autonomie financière garantie par les articles 72 et 72-2 de la Constitution.

Article 2 : La question de l'atteinte portée par l'article 3 de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 au droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et à la liberté du commerce et de l'industrie est transmise au Conseil d'Etat.

Article 3 : Il est sursis à statuer sur le recours du ministre de la transition écologique et solidaire jusqu'à réception de la décision du Conseil d'Etat ou, s'il a été saisi, jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité visée à l'article 2 ci-dessus.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Esso Guyane Française Exploration et Production (EGFEP), à la société Total EetP Guyane Française (TEPGF), au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et à la collectivité territoriale de Guyane.

Fait à Bordeaux, le 26 mars 2018.

Le président de chambre

Elisabeth Jayat

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

5

N° 17BX02218


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro d'arrêt : 17BX02218
Date de la décision : 26/03/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BOIVIN et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-03-26;17bx02218 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award