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09/06/2015 | FRANCE | N°13BX02502

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre (formation à 3), 09 juin 2015, 13BX02502


Vu le recours, enregistré le 30 août 2013 sous forme de télécopie et régularisé par courrier le 3 septembre suivant, présentée par le garde des sceaux, ministre de la justice, qui demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1101178 du 10 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Fort-de-France a condamné l'Etat à payer au fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions la somme de 229 809 euros, augmentée des intérêts au taux légal ;

2°) de rejeter la demande présentée par le fonds de garantie des victimes d'actes de

terrorisme et d'autres infractions devant le tribunal administratif ;

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Vu le recours, enregistré le 30 août 2013 sous forme de télécopie et régularisé par courrier le 3 septembre suivant, présentée par le garde des sceaux, ministre de la justice, qui demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1101178 du 10 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Fort-de-France a condamné l'Etat à payer au fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions la somme de 229 809 euros, augmentée des intérêts au taux légal ;

2°) de rejeter la demande présentée par le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions devant le tribunal administratif ;

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Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code civil ;

Vu l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 mai 2015 :

- le rapport de Mme Marie-Thérèse Lacau, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public ;

- les observations de Me Derer, avocat du fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions ;

1. Considérant que le 10 septembre 2007, MmeA... a été martyrisée et assassinée par un mineur alors placé dans une famille d'accueil par le juge des enfants en application de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante ; que ses ayants droit ont saisi la commission d'indemnisation des victimes d'infractions près le tribunal de grande instance de Fort-de-France ; que, le 8 août 2011, le président de la commission a homologué les transactions conclues pour le versement d'indemnités d'un montant total de 229 809 euros ; que, se prévalant de la subrogation prévue à l'article 706-11 du code de procédure pénale, le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions a saisi le tribunal administratif de Fort-de-France d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui rembourser cette somme ; que le garde des sceaux, ministre de la justice fait appel du jugement du 10 juin 2013 par lequel le tribunal a fait droit à cette demande ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que, devant le tribunal administratif, le ministre faisait notamment valoir que les pertes de revenus alléguées n'étaient pas établies et contestait le quantum des indemnités allouées au titre du préjudice d'affection ; qu'en se bornant à relever que "le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions produit des copies de livrets de famille établissant que les personnes indemnisées étaient sa mère, ses frères et soeurs, son époux et ses trois fils ", " que le requérant produit également une copie de la facture des frais d'obsèques de MmeA... " et " que, dans ces conditions, le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions doit être regardé comme justifiant avoir versé une somme totale de 229 809 euros ", les premiers juges n'ont pas répondu à l'argumentation soulevée en défense sur la détermination du préjudice indemnisable ; que le jugement, insuffisamment motivé, doit être annulé ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions devant le tribunal administratif de Fort-de-France ;

Sur la recevabilité de la demande :

3. Considérant qu'en vertu des articles 706-3 et 706-4 du code de procédure pénale, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits présentant le caractère matériel d'une infraction peut, lorsque certaines conditions sont réunies, obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne auprès d'une commission d'indemnisation des victimes d'infractions, juridiction civile instituée dans le ressort de chaque tribunal de grande instance, qui peut rendre sa décision avant qu'il soit statué sur l'action publique ; que l'indemnité accordée par la commission est, en application de l'article 706-9 du même code, versée par le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions ; que le premier alinéa de l'article 706-11 dudit code dispose que le fonds est "subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction ou tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle le remboursement de l'indemnité ou de la provision versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge desdites personnes " ;

4. Considérant que si le ministre fait valoir que le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, qui demande à bénéficier de la subrogation prévue par la loi, n'a pas justifié du paiement des indemnités aux ayants droit de la victime et, partant, de son intérêt à agir, le demandeur a produit, d'une part, les constats d'accords conclus en application de l'article 706-5-1 du code de procédure pénale, signés par les parties les 24 et 25 février 2011, homologués le 18 mars suivant, d'autre part, les états informatiques comportant les montants des indemnités, les dates de paiement et les bénéficiaires ; que ces pièces attestaient du règlement des montants, le 12 avril 2011 ; que la fin de non-recevoir doit, dès lors, être écartée ;

Sur la responsabilité :

5. Considérant qu'il est constant que depuis le 18 mai 2007, l'assassin de Mme A...bénéficiait d'une des mesures de liberté prévue par l'ordonnance du 2 février 1945 ; que la responsabilité de l'Etat en raison du risque spécial créé pour les tiers du fait de la mise en oeuvre de cette mesure se trouve engagée, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par le ministre ;

Sur le préjudice :

6. Considérant qu'en application des dispositions, citées au point 3, du code de procédure pénale, le fonds de garantie est subrogé dans les droits des victimes pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction le remboursement de l'indemnité versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge de ces personnes ; que toutefois, d'une part, la nature et l'étendue des réparations incombant à une personne publique ne dépendent pas de l'évaluation du dommage faite par le juge judiciaire dans un litige auquel elle n'a pas été partie, mais doivent être déterminées par le juge administratif compte tenu des règles relatives à la responsabilité des personnes morales de droit public, d'autre part, le juge n'est pas davantage lié par le contenu des transactions conclues par le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions ;

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que MmeA..., ouvrière agricole alors âgée de trente-huit ans, vivait avec son époux et ses trois fils, respectivement âgés de dix-neuf, quatorze et six ans ; qu'il n'est pas sérieusement contesté qu'elle avait conservé des liens affectifs avec sa mère et ses quatre frères et soeurs, qui résidaient eux aussi en Martinique ; que, contrairement à ce qui est soutenu, la réalité des liens de parenté entre la victime et ses ayants droit est établie par les copies des livrets de famille versés au dossier ;

8. Considérant que l'époux de la victime a justifié, par la facture établie à son nom le 17 septembre 2007, avoir exposé des frais d'obsèques et de sépulture d'un montant de 3 706,87 euros ; que compte tenu notamment de la circonstance qu'il a trouvé le cadavre martyrisé et en partie dénudé de son épouse, il sera fait une juste appréciation de son préjudice moral en l'évaluant à 30 000 euros ; que le préjudice économique subi par une personne du fait du décès de son conjoint est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à son entretien compte tenu de ses propres revenus ; qu'il est établi tant par l'avis d'imposition de l'année 2007 que par les bulletins de salaire pour la période du 1er mai au 31 août 2007 que les revenus annuels nets que Mme A...apportait à son ménage s'élevaient à 7 658,70 euros ; que compte tenu de la part de ces revenus qu'elle consommait pour son propre compte, qui ne peut être supérieure à 20 %, la perte de revenu de M.A..., estimée par le demandeur à partir d'un montant annuel de 1 831,82 euros correspondant, sur la base d'une valeur de l'euro de rente non contestée, à un capital de 44 207 euros n'est pas exagérée ;

9. Considérant qu'eu égard notamment aux circonstances dramatiques dans lesquelles leur mère est décédée, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par chacun des trois fils de Mme A...en l'estimant à 25 000 euros ; qu'il résulte de l'instruction que les demandes au titre des pertes de revenus subies par ses deux fils mineurs jusqu'à leur vingtième année, estimées respectivement, après capitalisation, à 8 623,29 et 13 271,53 euros ne présentent pas un caractère excessif ;

10. Considérant que le préjudice moral subi tant par la mère de la victime que par chaque membre de la fratrie doit être évalué à 10 000 euros ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions est fondé à demander la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 224 808,69 euros ; qu'il a droit aux intérêts au taux légal sur ce montant à compter du 28 avril 2011, date à laquelle il a fait parvenir sa demande d'indemnisation à l'Etat ;

Sur l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de condamner l'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, à payer la somme de 1 500 euros au fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 10 juin 2013 du tribunal administratif de Fort-de-France est annulé.

Article 2 : L'Etat versera au fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, d'une part, la somme de 224 808,69 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 28 avril 2011, d'autre part, la somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus de la demande du fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions présentée devant le tribunal administratif de Fort-de-France est rejeté.

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No 13BX02502


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 13BX02502
Date de la décision : 09/06/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: Mme Marie-Thérèse LACAU
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : CABINET CASSEL

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2015-06-09;13bx02502 ?
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