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16/07/2013 | FRANCE | N°12BX01025

France | France, Cour administrative d'appel de, 2ème chambre (formation à 3), 16 juillet 2013, 12BX01025


Vu la requête enregistrée le 23 avril 2012 présentée pour M. F...C...et son épouse Mme E...C..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs D...C...et A...C..., demeurant..., par la Selarl Coubris, Courtois et associés ;

M. et Mme C...demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 0901351 du 28 février 2012 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il a limité à 14 500 euros le montant de l'indemnisation accordée à M. F... C...en réparation des préjudices résultant de sa contamination par l

e virus de l'hépatite C, à 2 500 euros le montant de l'indemnisation accordée à ...

Vu la requête enregistrée le 23 avril 2012 présentée pour M. F...C...et son épouse Mme E...C..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs D...C...et A...C..., demeurant..., par la Selarl Coubris, Courtois et associés ;

M. et Mme C...demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 0901351 du 28 février 2012 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il a limité à 14 500 euros le montant de l'indemnisation accordée à M. F... C...en réparation des préjudices résultant de sa contamination par le virus de l'hépatite C, à 2 500 euros le montant de l'indemnisation accordée à son épouse au titre de son préjudice personnel et n'a accordé aucune indemnité à leurs enfants, Walid et RedaC... ;

2°) de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à verser :

- à M. F...C..., une indemnité de 294 540 euros au titre des pertes de gains professionnels, de l'incidence professionnelle, du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées et du préjudice spécifique de contamination qu'il a subis ;

- à Mme E...C..., une indemnité de 12 000 euros au titre de son préjudice moral ;

- à Walid et RedaC..., une indemnité de 8 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral ;

3°) d'ordonner une expertise complémentaire afin d'évaluer le préjudice total subi par M. C...notamment sur le plan psychologique ;

4°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de soins ;

Vu l'article 67 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 ;

Vu l'article 72 de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 juin 2013 :

- le rapport de M. Jean-Pierre Valeins, président assesseur ;

- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public ;

1. Considérant que le 6 mai 1982, MonsieurC..., alors âgé de 17 ans, a été victime d'un accident de la circulation ; que, souffrant d'une fracture du fémur gauche, il a été opéré le 2 juin 1982 au centre hospitalier universitaire de Bordeaux ; que lors de cette intervention chirurgicale, Monsieur C...a reçu trois transfusions sanguines ; que six autres interventions chirurgicales ont été pratiquées sur M. C...entre le 21 août 1982 et septembre 1984 dont une greffe osseuse réalisée à partir de greffons congelés en mars 1984 ; qu'au cours des deux dernières interventions réalisées pendant cette période, M. C...a de nouveau bénéficié de transfusions sanguines ; que des examens médicaux ont fait apparaître en 1993 qu'il était séropositif au virus de l'hépatite C (VHC) ; que M. C...a saisi le tribunal de grande instance de Bordeaux afin de solliciter la désignation d'un expert chargé de déterminer l'origine de cette infection ; qu'à la suite du dépôt du rapport d'expertise M. C...et son épouse ont saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à la condamnation de l'EFS à les indemniser ainsi que leurs deux enfants mineurs des préjudices résultant pour eux de la contamination de M.C... ; que, par un jugement du 28 février 2012, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'ONIAM, substitué à l'EFS, à leur verser des indemnités ; que M. et Mme C...relèvent appel de ce jugement en tant qu'il ne leur a pas donné entièrement satisfaction quant aux indemnités qu'ils demandaient ; que l'ONIAM demande à la cour, par voie d'appel incident, d'annuler le jugement qui a imputé la contamination de M. C...aux transfusions sanguines ;

Sur la responsabilité de l'ONIAM :

2. Considérant que l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 précité dispose que : " En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur " ;

3. Considérant que la présomption prévue par les dispositions précitées est constituée dès lors qu'un faisceau d'éléments confère à l'hypothèse d'une origine transfusionnelle de la contamination, compte tenu de l'ensemble des éléments disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que tel est normalement le cas lorsqu'il résulte de l'instruction que le demandeur s'est vu administrer, à une date où il n'était pas procédé à une détection systématique du virus de l'hépatite C à l'occasion des dons du sang, des produits sanguins dont l'innocuité n'a pas pu être établie, à moins que la date d'apparition des premiers symptômes de l'hépatite C ou de révélation de la séropositivité démontre que la contamination n'a pas pu se produire à l'occasion de l'administration de ces produits ; qu'eu égard à la disposition selon laquelle le doute profite au demandeur, la circonstance que l'intéressé a été exposé par ailleurs à d'autres facteurs de contamination, résultant notamment d'actes médicaux invasifs ou d'un comportement personnel à risque, ne saurait faire obstacle à la présomption légale que dans le cas où il résulte de l'instruction que la probabilité d'une origine transfusionnelle est manifestement moins élevée que celle d'une origine étrangère aux transfusions ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert désigné par le président du tribunal de grande instance de Bordeaux, que M. C...présente une hépatite chronique C découverte le 20 août 1993 à l'occasion d'un bilan de fatigue ; qu'il a reçu des transfusions de sang lors d'interventions orthopédiques sur le fémur en juin 1982, en mai et septembre 1984 ; que le centre de transfusion sanguine de Bordeaux ne disposait pas en 1982 et en 1984 de tests permettant un dépistage du virus de l'hépatite C ; que si l'expert relève que M. C... a reçu des greffons osseux congelés et que de tels greffons étaient en 1984 à risque de contamination virale, en l'absence d'une information complète sur le statut viral à la fois des donneurs de sang et des donneurs de greffons, l'expert évalue d'une part, la probabilité de l'origine transfusionnelle de la contamination de M. C...à 3,25%, et d'autre part, la probabilité de son origine nosocomiale à 0,25% ;

5. Considérant que si l'ONIAM fait valoir que la mention " toxicomanie en 1982 " apparaît dans la rubrique " renseignements cliniques " d'un compte rendu de biopsie hépatique du 28 septembre 2004, l'expert relève qu'une confusion de patients est possible à deux niveaux, soit lors de la rédaction de la demande d'analyse du prélèvement biopsique, soit lors de la dictée du compte rendu au niveau du laboratoire ; que l'expert relève également que la consommation d'alcool par M. C...a été sans risque pour sa santé ; qu'ainsi M. C...doit être regardé comme n'ayant pas eu un comportement personnel à risque ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les risques de contamination d'origine nosocomiale ou du fait d'un comportement à risque de M. C...ne sont pas manifestement supérieurs au risque lié aux produits sanguins ; qu'il a lieu, dans ces conditions, par application des dispositions de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002, de regarder la contamination de l'intéressé comme imputable à l'administration des produits sanguins ; que, par suite, l'appel incident de l'ONIAM tendant à l'annulation du jugement attaqué pour le motif qu'il a imputé la contamination de M. C...à des produits sanguins doit être rejeté :

Sur la réparation :

En ce qui concerne le préjudice de M.C... :

S'agissant de son préjudice patrimonial :

7. Considérant que M. C...demande que lui soit allouée la somme de 130 000 euros au titre de ses pertes de revenus et de l'incidence professionnelle résultant de sa contamination par le VHC ; que les pertes de revenus seraient dues à la cession en 2006 de son activité de bar brasserie dont il avait fait l'acquisition en octobre 2004 ; que M. C...fait valoir qu'il n'a pas pu poursuivre cette activité à cause d'une asthénie persistante ; que par ailleurs, M. C...impute à cette asthénie le préjudice qu'il subit en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail du fait que les employeurs ne souhaiteraient pas l'embaucher pour cette raison ; que toutefois, le requérant n'apporte aucune preuve du lien de causalité entre sa contamination par le virus de l'hépatite C, la cession de son fond de commerce et ses difficultés sur le marché du travail ; que dès lors, sa demande d'indemnisation présentée à ce titre ne peut qu'être rejetée ;

S'agissant de son préjudice personnel :

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, que M. C...a subi une période d'incapacité temporaire totale de deux jours correspondant à la durée d'une hospitalisation pour biopsie ; que les souffrances qu'il a endurées ont été évaluées à 3 sur une échelle de 7 ; qu'il n'a jamais eu jusqu'à présent d'indication de traitement en raison de la discrétion des lésions résultant de sa contamination et du fait qu'il y a seulement une probabilité de 50% d'éradiquer le virus de génotype 1a dont il est porteur ; que par ailleurs, les derniers rapports de consultation de M. C...dans le service d'hépato-gastroentérologie du centre hospitalier universitaire de Bordeaux démontrent qu'il est toujours atteint du virus de l'hépatite C avec un stade de fibrose F1; que la consolidation de son état n'a pas été constatée par l'expert ; que, par conséquent il continue de subir les contraintes liées à l'obligation de s'astreindre à une surveillance médicale régulière et des craintes légitimes quant à l'évolution de son état de santé ; que compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le tribunal administratif de Bordeaux a fait une juste appréciation du préjudice de M. C...résultant des troubles de toute nature dans ses conditions d'existence y compris son déficit fonctionnel temporaire, ses souffrances endurées, son préjudice d'agrément et son préjudice spécifique de contamination en lui octroyant la somme de 14 500 euros ;

9. Considérant que M. C...demande que soit ordonnée une expertise complémentaire " afin de liquider définitivement ses préjudices " et que les séquelles d'ordre psychiatrique en lien avec la contamination soient évaluées ; que, toutefois, le dernier rapport de consultation médicale produit par M. C...fait mention " d'une hépatite C chronique stable sans argument pour une fibrose significative " ; que le praticien hospitalier chargé du suivi de M. C...estime qu'il n'est pas nécessaire de lui prescrire des médicaments ; que l'évaluation de l'état psychiatrique de l'intéressé faisait déjà partie de la mission dont avait été chargé l'expert et qu'aucun lien n'a été établi par l'expert ni d'ailleurs par les médecins consultés ultérieurement par M. C...entre une contamination par VHC et son état dépressif ; que, dans ces conditions, les conclusions à fin d'expertise complémentaire doivent être rejetées ;

En ce qui concerne le préjudice de Mme C...et de leurs enfants :

10. Considérant que la contamination de M.C..., dont l'état de santé n'est pas consolidé, occasionne des troubles dans les conditions d'existence à son épouse ; que le tribunal administratif n'a pas fait une insuffisante appréciation de ce préjudice en allouant à Mme C...la somme de 3 000 euros ; qu'en revanche, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif les enfants mineurs subissent également des troubles dans leurs conditions d'existence, du fait notamment de la moindre disponibilité de leur père, qui seront indemnisés par le versement à chacun d'eux de la somme de 2 500 euros ; que le jugement attaqué sera réformé dans cette mesure ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les consorts C...sont seulement fondés à demander que l'indemnité que le tribunal administratif a condamné l'ONIAM à leur verser soit portée à la somme de 19 500 euros ;

Sur les frais non compris dans les dépens :

12. Considérant que M. C...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 15 % ; qu'il y a donc lieu de mettre à la charge de l'ONIAM le remboursement aux requérants de la seule part des frais exposés par eux, non compris dans les dépens et laissés à leur charge par le bureau d'aide juridictionnelle ;

13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'ONIAM qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante à l'égard de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, la somme que cette dernière demande sur ce fondement ;

DECIDE

Article 1er : La somme de 14 500 euros que l'ONIAM a été condamné à verser aux consorts C...par le jugement du tribunal administratif de Bordeaux en date du 28 février 2012 est portée à 19 500 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux en date du 28 février 2012 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'ONIAM versera aux consorts C...la part des frais exposés par eux et non compris dans les dépens qui sont restés à leur charge au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de la requête des consortsC..., l'appel incident de l'ONIAM et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde sont rejetés.

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No 12BX01025


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-005-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité sans faute. Actes médicaux.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme MARRACO
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre VALEINS
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : SELARL COUBRIS, COURTOIS et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de
Formation : 2ème chambre (formation à 3)
Date de la décision : 16/07/2013
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 12BX01025
Numéro NOR : CETATEXT000027723861 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.de;arret;2013-07-16;12bx01025 ?
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