Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 15 septembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 6 juillet 2021 de l'autorité consulaire française à Téhéran (Iran) refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité d'étudiante.
Par un jugement n° 2112374 du 23 mai 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer à Mme A... B... le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 juillet 2022, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- le refus de visa n'est pas entaché d'erreur de droit dès lors que la requérante ne justifie pas de son inscription définitive à l'université de Paris 1 Panthéon Sorbonne par la seule production d'un accord préalable d'inscription, qui ne constitue pas une preuve d'acceptation dans un établissement français ;
- la production d'une fausse promesse d'embauche en Iran dans un but migratoire constitue un motif d'ordre public justifiant le refus de visa ;
- Mme B... ne justifie pas de moyens de subsistance en France.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 octobre 2022, Mme A... B..., représentée par Me Assadollahi, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'instruction interministérielle relative aux demandes de visas de long séjour pour études dans le cadre de la directive UE 2016/801 du 4 juillet 2019 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Montes-Derouet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 6 juillet 2021, l'ambassade de France à Téhéran a rejeté la demande de visa de long séjour présentée en qualité d'étudiante par Mme B..., ressortissante iranienne. Par une décision du 15 septembre 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision. Par un jugement du 23 mai 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme B..., la décision du 15 septembre 2021 de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer à l'intéressée le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour (...) ". Aux termes de l'article R. 312-2 du même code : " (...)./ Les autorités diplomatiques et consulaires sont tenues de statuer sur les demandes de visa de long séjour formées par (...) les étudiants dans les meilleurs délais ".
3. Selon l'article 5 de la directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative aux conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d'études, de formation, de volontariat et de programmes d'échange d'élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair, l'admission d'un ressortissant d'un pays tiers à des fins d'études est soumise à des conditions générales, fixées par l'article 7, comme l'existence de ressources suffisantes pour couvrir ses frais de subsistance durant son séjour ainsi que ses frais de retour et à des conditions particulières, fixées par l'article 11, telles que l'admission dans un établissement d'enseignement supérieur ainsi que le paiement des droits d'inscription. L'article 20 de la même directive, qui définit précisément les motifs de rejet d'une demande d'admission, prévoit qu'un État membre rejette une demande d'admission si ces conditions ne sont pas remplies ou encore, peut rejeter la demande, selon le f) du 2, " s'il possède des preuves ou des motifs sérieux et objectifs pour établir que l'auteur de la demande souhaite séjourner sur son territoire à d'autres fins que celles pour lesquelles il demande son admission ".
4. En l'absence de dispositions spécifiques figurant dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une demande de visa de long séjour formée pour effectuer des études en France est notamment soumise aux instructions générales établies par le ministre chargé de l'immigration prévues par le décret du 13 novembre 2008 relatif aux attributions des chefs de mission diplomatique et des chefs de poste consulaire en matière de visas, en particulier son article 3, pris sur le fondement de l'article L. 311-1 de ce code. L'instruction applicable est, s'agissant des demandes de visas de long séjour en qualité d'étudiant mentionnés à l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'instruction ministérielle du 4 juillet 2019 relative aux demandes de visas de long séjour pour études dans le cadre de la directive (UE) 2016/801, laquelle participe de la transposition de cette même directive.
5. Le point 2.1 de l'instruction interministérielle relative aux demandes de visas de long séjour pour études dans le cadre de la directive UE 2016/801 du 4 juillet 2019, intitulé " L'étranger doit justifier qu'il a été admis dans un établissement d'enseignement supérieur pour y suivre un cycle d'études ", indique notamment : " Il présente (...) au dossier de demande de visa un certificat d'admission dans un établissement en France. ". Cette même instruction, en son point 2.4 intitulé " Autres vérifications par l'autorité consulaire ", indique que cette dernière " (...) peut opposer un refus s'il existe des éléments suffisamment probants et des motifs sérieux permettant d'établir que le demandeur séjournera en France à d'autres fins que celles pour lesquelles il demande un visa pour études. ". Ainsi, l'autorité administrative peut, le cas échéant, et sous le contrôle des juges de l'excès de pouvoir restreint à l'erreur manifeste, rejeter la demande de visa de long séjour pour effectuer des études en se fondant sur le défaut de caractère sérieux et cohérent des études envisagées, de nature à révéler que l'intéressé sollicite ce visa à d'autres fins que son projet d'études.
6. La décision contestée est fondée sur l'absence de justification, par Mme B..., d'une inscription définitive dans un établissement universitaire et sur le risque de détournement de l'objet du visa à d'autres fins que son projet d'études, eu égard à sa situation personnelle.
7. D'une part, il ressort des pièces du dossier que Mme B... a joint à son dossier de demande de visa en qualité d'étudiante un " accord préalable d'inscription " à une formation en Master indifférencié (recherche ou professionnel) Arts, lettres, langues mention Arts plastiques au sein de l'UFR " 04 Arts plastiques et sciences de l'art " de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, délivré le 15 juin 2021 par Campus France. Il ressort des termes de l'attestation fournie par Campus France qu'il appartient au demandeur de visa " après avoir obtenu [son] visa de long séjour " de se présenter à l'établissement d'enseignement supérieur " muni de cette attestation et des justificatifs requis par [son] établissement d'accueil, le cas échéant, pour finaliser [son] inscription ". Cette pré-incription doit donc être regardée comme le certificat d'admission qu'il appartient au demandeur de visa de présenter dans son dossier de demande de visa en application des dispositions du point 2.1 de l'instruction interministérielle cité au point 5. Il s'ensuit qu'en se fondant sur ce que Mme B... ne justifiait pas d'une inscription définitive auprès de l'établissement d'enseignement supérieur pour refuser de lui délivrer le visa sollicité, la commission de recours a méconnu les dispositions précitées.
8. D'autre part, le ministre de l'intérieur ne remet pas en cause le caractère sérieux et cohérent des études envisagées par la demandeuse de visa, dont il ressort des pièces du dossier qu'elles sont en lien avec les diverses missions professionnelles qu'elle a exercées en Iran. Les seules allégations du ministre relatives à l'absence de légalisation de l'acte de naissance du père de l'intéressée, à la présence en France d'un ami qui s'est engagé à l'héberger pendant son séjour ou à ce que la promesse d'embauche dont elle dispose pour exercer les fonctions de " designer " graphique auprès d'un atelier d'artiste, à l'issue de ses études en France, présenterait " les caractéristiques d'un document apocryphe ", ne sont pas de nature à établir l'existence d'un risque de détournement de l'objet du visa sollicité. Il s'ensuit qu'en se fondant, pour refuser le visa sollicité, sur l'existence d'un risque de détournement de l'objet du visa, la commission de recours a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
9. Toutefois, pour établir que le refus de visa est légal, le ministre invoque, dans sa requête d'appel, deux autres motifs tirés de ce que Mme B... ne justifie pas disposer de ressources suffisantes et de la menace à l'ordre public qu'elle présenterait.
10. Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'attestation d'un organisme bancaire iranien, que Mme B... dispose sur son compte d'une somme de 3 014 415 638 rials, soit 15 865 euros. Si le ministre soutient que cet organisme bancaire ferait l'objet de sanctions internationales faisant obstacle à tout transfert d'argent vers un compte bancaire à ouvrir auprès d'une banque française, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces fonds ne seraient pas disponibles pour le financement des études de l'intéressée. Dans ces conditions, la demande de substitution de motifs sollicitée, sur ce premier point, par le ministre ne peut être accueillie.
11. D'autre part, la seule circonstance invoquée par le ministre selon laquelle la promesse d'embauche mentionnée au point 8 présenterait " les caractéristiques d'un document apocryphe ", ce qui ne ressort d'ailleurs pas des pièces du dossier, n'est pas de nature faire regarder Mme B... comme constituant une menace pour l'ordre public. Il s'ensuit que la demande de substitution de motifs sollicitée, sur ce second point, par le ministre ne peut davantage être accueillie.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 15 septembre 2021 de la commission de recours refusant de délivrer à Mme B... un visa d'entrée et de long séjour et lui a enjoint de faire délivrer à cette dernière le visa sollicité.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B... d'une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme A... B....
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2023.
La rapporteure,
I. MONTES-DEROUETLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT02395