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10/10/2023 | FRANCE | N°468498

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 10 octobre 2023, 468498


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat à lui verser une somme de 46 000 euros, majorée des intérêts légaux à compter du 22 février 2016, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de l'absence d'offre d'hébergement de la part du préfet des Yvelines. Par un jugement n° 1607881 du 14 mars 2019, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par une décision n° 432061 du 8 octobre 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par M. A..., a an

nulé le jugement du tribunal administratif de Versailles du 14 mars 2019 et a ...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat à lui verser une somme de 46 000 euros, majorée des intérêts légaux à compter du 22 février 2016, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de l'absence d'offre d'hébergement de la part du préfet des Yvelines. Par un jugement n° 1607881 du 14 mars 2019, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par une décision n° 432061 du 8 octobre 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par M. A..., a annulé le jugement du tribunal administratif de Versailles du 14 mars 2019 et a renvoyé l'affaire devant le même tribunal.

Par un jugement n° 2006898 du 30 mai 2022, le tribunal administratif de Versailles a condamné l'Etat à verser à M. A... une indemnité de 4 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 25 février 2016, et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 27 octobre 2022 et 27 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 46 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 22 février 2016 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à son avocat, la société Delvolvé et Trichet, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

- le rapport de Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Le II de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation prévoit les conditions dans lesquelles une commission de médiation peut être saisie d'une demande de logement locatif social. Aux termes du III du même article : " La commission de médiation peut également être saisie, sans condition de délai, par toute personne qui, sollicitant l'accueil dans une structure d'hébergement, un logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale, n'a reçu aucune proposition adaptée en réponse à sa demande (...) ". Aux termes du IV du même article : " Lorsque la commission de médiation est saisie d'une demande de logement dans les conditions prévues au II et qu'elle estime, au vu d'une évaluation sociale, que le demandeur est prioritaire mais qu'une offre de logement n'est pas adaptée, elle transmet au représentant de l'Etat dans le département (...) cette demande pour laquelle il doit être proposé un accueil dans une structure d'hébergement, un établissement ou un logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'après avoir formé une demande de logement sur le fondement du II de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation, M. A... a saisi en décembre 2013 la commission de médiation des Yvelines afin de se voir déclarer prioritaire. Par une décision du 4 avril 2014 prise conformément aux dispositions précitées du IV de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation, la commission de médiation l'a déclaré prioritaire mais devant être accueilli, en raison de son manque d'autonomie, dans une structure d'hébergement, un logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale. Par un jugement du 23 avril 2015, le tribunal administratif de Versailles, saisi par M. A... sur le fondement du I de l'article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation, a enjoint au préfet des Yvelines d'assurer son accueil dans une de ces structures. Faute d'en avoir bénéficié, M. A... a demandé le 25 février 2016 au préfet des Yvelines de l'indemniser des préjudices subis. Sans réponse, il a saisi le tribunal administratif de Versailles d'une demande de condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 46 000 euros. Par un jugement du 30 mai 2022, le tribunal administratif, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat après cassation, a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 4 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 25 février 2016. M. A... se pourvoit en cassation contre ce jugement, en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Sur le pourvoi :

3. Lorsqu'une personne a été reconnue comme prioritaire et devant être accueillie dans une structure d'hébergement, un logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale par une commission de médiation, en application des dispositions du III ou du IV de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation, la carence fautive de l'Etat à exécuter cette décision dans le délai imparti engage sa responsabilité à l'égard du demandeur au titre des troubles dans les conditions d'existence résultant du maintien de la situation qui a motivé la décision de la commission. La période de responsabilité de l'Etat court à compter de l'expiration du délai de six semaines que l'article R. 441-18 du même code impartit au préfet, à compter de la décision de la commission de médiation, pour proposer un accueil dans une structure d'hébergement, un logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale, ce délai étant porté à trois mois si la décision de la commission spécifie que l'accueil ne peut être proposé que dans un logement de transition ou dans un logement-foyer. Les troubles dans les conditions d'existence doivent être appréciés en tenant notamment compte des conditions d'hébergement ou de logement qui ont perduré du fait de la carence de l'Etat, de la durée de cette carence et du nombre de personnes composant le foyer du demandeur pendant la période de responsabilité de l'Etat.

4. Pour limiter au 28 février 2018 la période d'indemnisation des troubles de toute nature subis par M. A... du fait de son absence d'hébergement, le tribunal administratif a retenu qu'il avait à cette date fait obstacle à l'exécution de la décision de la commission de médiation du 4 avril 2014, en manifestant expressément son opposition à un accueil en hébergement. Il ne résulte cependant pas des pièces du dossier soumis au tribunal administratif qu'un quelconque hébergement aurait été proposé à M. A... entre la décision de la commission et cette date. Si, reçu le 28 février 2018 au " service intégré accueil et orientation " de Conflans-Sainte-Honorine, M. A... y a signé une " attestation de refus de réorientation vers le volet hébergement " au motif qu'il souhaite un logement social, il n'est pas allégué qu'un hébergement, ou, conformément à sa demande initiale ainsi renouvelée, un logement social, lui aurait été proposé à cette date. Dans ces conditions, en estimant que M. A... a fait obstacle par son comportement, en signant l'attestation remise par le service, à l'exécution de la décision de la commission, le tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier. M. A... est par suite fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation du jugement qu'il attaque, en tant qu'il ne fait pas intégralement droit à sa demande indemnitaire.

5. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.

Sur la demande indemnitaire :

6. Il est constant que M. A... n'a, en dépit de la décision de la commission de médiation du 4 avril 2014 et du jugement du 23 avril 2015 ordonnant son hébergement, pas reçu de proposition d'accueil dans l'une des structures citées par les dispositions, rappelées au point 1 ci-dessus, du III de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation. L'administration a renoncé à lui proposer un tel hébergement le 28 février 2018, au motif qu'il ne le souhaitait pas, mais sans démontrer que sa situation ne justifiait plus, à cette date, la mesure préconisée en 2014 par la commission de médiation et en 2015 par le juge. Dans ces conditions, M. A... est fondé à soutenir que la carence de l'Etat ouvre droit à réparation des troubles de toute nature qu'il subit de ce fait, jusqu'au jour de la présente décision.

7. Il résulte de l'instruction que M. A..., qui était menacé d'expulsion de son logement de Mantes-la-Jolie lors de la décision prise le 4 avril 2014 par la commission de médiation, l'a effectivement quitté à la fin de la même année et a d'abord été hébergé par une de ses sœurs et l'époux de celle-ci dans leur appartement des Yvelines, à une adresse à laquelle il était encore domicilié lorsqu'il a saisi le préfet en février 2016 et le tribunal administratif en novembre 2016. Il indique cependant, sans être démenti, avoir connu dès cette époque une certaine errance résidentielle du fait de difficultés de cohabitation allant en s'aggravant, et avoir dû, à partir de 2017, être hébergé de façon temporaire par divers proches. Toutefois, il n'apporte aucune précision sur ses conditions de logement actuelles, alors qu'il bénéficie depuis début 2018 de la même adresse à Clichy (Hauts-de-Seine), qui correspondrait selon les mémoires en défense produits devant le tribunal par le préfet des Yvelines à un logement social qu'il occuperait seul. Dans ces conditions, en l'absence de toute précision sur les troubles que M. A... subit depuis 2018, il ne résulte pas de l'instruction que la somme de 4 000 euros, avec intérêts à compter du 25 février 2016, que le tribunal administratif a mise à la charge de l'Etat constitue une insuffisante appréciation de l'ensemble des préjudices, y compris moraux, que l'intéressé a subis au jour de la présente décision du fait de la carence de l'Etat à lui proposer une solution d'hébergement.

Sur les frais liés au litige :

8. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat, la société Delvolvé-Trichet, peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la société Delvolvé-Trichet renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à cette société.

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Versailles du 30 mai 2022 est annulé en tant qu'il rejette le surplus des conclusions indemnitaires de M. A....

Article 2 : Le surplus de la demande de M. A... devant le tribunal administratif de Versailles est rejeté.

Article 3 : L'Etat versera à la société Delvolvé-Trichet la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Article4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 septembre 2023 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat et Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 10 octobre 2023.

Le président :

Signé : M. Jean-Philippe Mochon

La rapporteure :

Signé : Mme Sylvie Pellissier

La secrétaire :

Signé : Mme Anne-Lise Calvaire


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 468498
Date de la décision : 10/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 10 oct. 2023, n° 468498
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sylvie Pellissier
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SARL DELVOLVE ET TRICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 12/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:468498.20231010
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