La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/03/2023 | FRANCE | N°470350

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 24 mars 2023, 470350


Vu la procédure suivante :

Par trois mémoires, enregistrés les 9 janvier, 12 janvier et 30 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, l'association National organisation for the reform of marijuana laws France demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice du 31 août 2020 précisant les conditions de mise en œuvre de la forfaitisation du délit prévu à l'art

. L. 3421-1 du code de la santé publique ainsi que de la décision implic...

Vu la procédure suivante :

Par trois mémoires, enregistrés les 9 janvier, 12 janvier et 30 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, l'association National organisation for the reform of marijuana laws France demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice du 31 août 2020 précisant les conditions de mise en œuvre de la forfaitisation du délit prévu à l'art. L. 3421-1 du code de la santé publique ainsi que de la décision implicite de rejet de sa demande d'abrogation de cette dépêche, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions, d'une part des premier et troisième alinéas de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique et, d'autre part, du deuxième alinéa de l'article 495-17 du code de procédure pénale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de la santé publique ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2019-778 DC du 21 mars 2019 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Hortense Naudascher, auditrice,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 mars 2023, présentée par le garde des sceaux, ministre de la justice.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. D'une part, le premier alinéa de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique prévoit que l'usage illicite de l'une des substances ou plantes classées comme stupéfiants est puni d'un an d'emprisonnement et de 3750 euros d'amende. D'autre part, le troisième alinéa du même article prévoit que l'action publique peut être éteinte, dans les conditions prévues aux articles 495-17 à 495-25 du code de procédure pénale, par le versement d'une amende forfaitaire d'un montant de 200 euros, le montant de l'amende forfaitaire minorée étant de 150 euros et le montant de l'amende forfaitaire majorée de 450 euros. Par ailleurs, le premier alinéa de l'article 495-17 du code de procédure pénale dispose que, lorsque la loi le prévoit, l'action publique est éteinte par le paiement d'une amende forfaitaire délictuelle fixée par la loi. Enfin, le deuxième alinéa de ce même article prévoit que la procédure de l'amende forfaitaire n'est pas applicable si le délit a été commis par un mineur, ni si plusieurs infractions, dont l'une au moins ne peut donner lieu à une amende forfaitaire, ont été constatées simultanément, ni en état de récidive légale, sauf lorsque la loi en dispose autrement.

Sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions combinées du troisième alinéa de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique et du deuxième alinéa de l'article 495-17 du code pénal :

3. Les dispositions du premier alinéa de l'article 495-17 du code de procédure pénale ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel par sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, qui a jugé que les exigences d'une bonne administration de la justice et d'une répression effective des infractions sont susceptibles de justifier, pour certains délits et sous certaines conditions, que le législateur prévoie que l'action publique relative à la commission d'un délit puisse être éteinte par le seul paiement d'une amende, en dehors de toute décision juridictionnelle. Il résulte de la même décision que le recours à de tels modes d'extinction de l'action publique ne peut cependant porter que sur les délits les moins graves, sans pouvoir s'appliquer à des délits punis d'une peine d'emprisonnement supérieure à trois ans, et sur des peines d'amende de faible montant, ce qui est le cas lorsque le montant de l'amende forfaitaire délictuelle ne peut excéder le plafond des amendes contraventionnelles fixé par l'article 131-13 du code pénal à 3 000 euros.

4. En premier lieu, il résulte des termes mêmes de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique que le délit d'usage illicite de l'une des substances ou plantes classées comme stupéfiants qu'il définit au premier alinéa est puni d'un an d'emprisonnement et que le montant de l'amende forfaitaire encourue est fixé par le troisième alinéa du même article à 200 euros. Eu égard au montant maximal de la peine d'emprisonnement encourue ainsi qu'au montant de l'amende prévue, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le grief tiré de ce qu'en rendant la procédure d'amende forfaitaire prévue par l'article 495-17 du code pénal applicable à ce délit, le législateur, qui n'a pas institué, contrairement à ce que soutient l'association requérante, deux peines concurrentes pour une même infraction ni méconnu le principe de légalité des délits et des peines, aurait méconnu le principe d'égalité devant la justice, ne présente pas de caractère sérieux.

5. En deuxième lieu, s'il résulte de la combinaison des dispositions critiquées que la procédure d'amende forfaitaire n'est pas applicable, en ce qui concerne le délit d'usage de stupéfiants, aux mineurs, une telle exclusion se justifie par la nécessité d'assurer l'adaptation de la sanction à leur âge et leur personnalité et à permettre à une juridiction de décider de solutions, notamment sanitaires, adaptées à leur relèvement éducatif et moral, conformément au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs. Si cette procédure n'est pas davantage applicable aux personnes en état de récidive légale ni aux cas où plusieurs infractions ont été constatés simultanément, de telles exclusions se justifient par la nécessité d'assurer une bonne administration de la justice. Le grief tiré de ce que les exceptions à la procédure d'amende forfaitaire prévues par la combinaison des dispositions critiquées seraient contraire au principe d'égalité ne présente, dès lors, pas de caractère sérieux.

Sur les autres griefs dirigés dirigées contre les dispositions de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique :

6. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ". Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il lui appartient de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue. Il ne ressort cependant pas des allégations très générales avancées par l'association requérante relatives au bilan de la politique de lutte contre l'usage des stupéfiants que le moyen tiré d'une disproportion manifeste entre l'infraction définie par le premier alinéa de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique et la peine encourue présenterait un caractère sérieux.

7. Si l'association requérante soutient enfin qu'en instituant deux peines principales concurrentes pour une seule et même infraction, les dispositions contestées portent atteinte au principe de légalité des délits et des peines, ainsi qu'en tout état de cause à l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté de la loi, et au principe de nécessité et de proportionnalité des peines eu égard à la différence entre les peines encourues selon qu'il est ou non fait usage de la procédure d'amende forfaitaire, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les dispositions critiquées, qui n'ont pas la portée qui leur est prêtée, se bornent à prévoir pour le délit en cause la possibilité d'appliquer la procédure d'amende forfaitaire prévue par les dispositions de l'article 495-17 du code de procédure pénale, déjà déclarées conformes à la Constitution.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la question de la conformité à la Constitution des dispositions des premier et troisième alinéas de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique et du deuxième alinéa de l'article 495-17 du code de procédure pénale, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par l'association National organisation for the reform of marijuana laws France portant sur ces dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par l'association National organisation for the reform of marijuana laws France.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association National organisation for the reform of marijuana laws France et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 24 mar. 2023, n° 470350
Inédit au recueil Lebon
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Hortense Naudascher
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel

Origine de la décision
Formation : 5ème chambre
Date de la décision : 24/03/2023
Date de l'import : 14/04/2023

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 470350
Numéro NOR : CETATEXT000047342183 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2023-03-24;470350 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award