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08/02/2023 | FRANCE | N°470804

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 08 février 2023, 470804


Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'annuler " la décision implicite " par laquelle la maire de la commune de Plaisir, en autorisant la publication d'un document intitulé " Engagements tenus 2022 - bilan de l'action municipale ", a refusé que les groupes d'opposition au conseil municipal aient la possibilité de s'exprimer dans ce document au moyen de tribunes, d'enjoindre à la maire de la commune de Plaisir de suspendre

la distribution de ce document, de prendre, sous astreinte, to...

Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'annuler " la décision implicite " par laquelle la maire de la commune de Plaisir, en autorisant la publication d'un document intitulé " Engagements tenus 2022 - bilan de l'action municipale ", a refusé que les groupes d'opposition au conseil municipal aient la possibilité de s'exprimer dans ce document au moyen de tribunes, d'enjoindre à la maire de la commune de Plaisir de suspendre la distribution de ce document, de prendre, sous astreinte, toutes les mesures nécessaires pour garantir le droit d'expression des groupes d'opposition au sein du conseil municipal et de procéder à un nouveau tirage et à une nouvelle distribution du document en litige, complété des tribunes des groupes d'opposition. Par une ordonnance n° 2300148 du 11 janvier 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a enjoint à la maire de la commune de Plaisir de suspendre la diffusion de ce document, de procéder à sa réédition en intégrant dès la première page les observations des conseillers municipaux d'opposition sur les propos tenus dans ce document sur la gestion et la réalisation de la majorité municipale, puis de lui assurer la même diffusion que le document initial dans la première quinzaine du mois de février.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 janvier et 2 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Plaisir demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 11 janvier 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Versailles ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'ordonnance du juge des référés de première instance est insuffisamment motivée en ce qu'elle ne contient pas de motivation propre à la caractérisation de la situation d'urgence ;

- le document litigieux n'était déjà plus en distribution à la date de l'ordonnance du juge des référés de première instance ;

- la condition d'urgence n'est pas satisfaite dès lors qu'il n'est pas fait état, à la date de saisine du juge des référés de première instance, de circonstances particulières de nature à justifier la prise d'une mesure dans les quarante-huit heures, qu'elle a seulement omis, ponctuellement, d'intégrer les tribunes litigieuses dans un supplément de bulletin municipal, et non dans chaque publication mensuelle du magazine d'information municipale, et que le simple ajout d'un trombinoscope représentant l'ensemble des élus municipaux, majorité comme opposition, dans le document litigieux, ne peut donner l'impression d'une adhésion des élus de l'opposition aux projets de l'exécutif local ;

- il n'existe pas d'intérêt public à ce qu'elle procède à la réédition du document litigieux en intégrant, dès la première page, les observations des conseillers municipaux de l'opposition et diffuse ce document dès la première quinzaine du mois de février, dès lors qu'il n'est pas fait état de circonstances particulières de nature à justifier une telle réédition ;

- il existe un intérêt public tenant à la bonne gestion des deniers publics et au fonctionnement de la municipalité à ne pas procéder, en dehors de toute circonstance exceptionnelle, à la réédition d'un supplément portant sur les réalisations de l'équipe municipale en 2022, dans les mêmes conditions que le supplément initialement paru avec le bulletin municipal de janvier 2023, avec l'édition de février 2023 ;

- il n'est pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;

- les élus de l'opposition, et la requérante en particulier, auront la possibilité de s'exprimer librement, s'agissant du contenu du supplément litigieux, dans le prochain magazine municipal à paraître en février 2023.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2023, Mme A... conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Plaisir la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la condition d'urgence est satisfaite et qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales, notamment son article L. 2121-27-1 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la commune de Plaisir et, d'autre part, Mme A... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 3 février 2023, à 14 heures 30 :

- Me Guérin, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Plaisir ;

- les représentantes de la commune de Plaisir ;

- Me Maitre, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme A... ;

- Mme A... ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". En distinguant les deux procédures ainsi prévues par les articles L. 521-1 et L. 521-2, le législateur a entendu répondre à des situations différentes ; les conditions auxquelles est subordonnée l'application de ces dispositions ne sont pas identiques, non plus que les pouvoirs dont dispose le juge des référés. Il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l'action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu'existe une situation d'urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai et qu'il est possible de prendre utilement de telles mesures.

2. Mme Carneiro, conseillère municipale d'opposition de la commune de Plaisir, a pris connaissance le 6 janvier 2023 de la distribution d'un document municipal intitulé " Engagements tenus 2022 - bilan de l'action municipale ", document distinct du bulletin mensuel d'information municipale, sans que les conseillers municipaux n'appartenant pas à la majorité municipale en soient informés préalablement et aient par suite la possibilité de s'exprimer dans ce document. Mme A... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, afin qu'il soit ordonné à la commune de Plaisir de suspendre la distribution de ce document et de procéder à un nouveau tirage et à une nouvelle distribution du document complété d'un espace d'expression pour les conseillers municipaux n'appartenant pas à la majorité municipale. Par une ordonnance du 11 janvier 2023, dont la commune de Plaisir relève appel, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a enjoint à la maire de la commune de Plaisir de suspendre la diffusion de ce document et de procéder à sa réédition en intégrant un espace d'expression pour les conseillers municipaux n'appartenant pas à la majorité municipale.

3. Aux termes de l'article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales : " Dans les communes de 3 500 habitants et plus, lorsque la commune diffuse, sous quelque forme que ce soit, un bulletin d'information générale sur les réalisations et la gestion du conseil municipal, un espace est réservé à l'expression des conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale. Les modalités d'application de cette disposition sont définies par le règlement intérieur ".

4. Il résulte de l'instruction que l'absence d'espace réservé à l'expression des conseillers municipaux n'appartenant pas à la majorité municipale dans le document " Engagements tenus 2022 - bilan de l'action municipale " ne caractérise pas, en l'absence de circonstances particulières exigeant que ses lecteurs aient connaissance de l'expression des groupes d'opposition dans les jours suivants sa distribution, une situation d'urgence impliquant qu'une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise dans un très bref délai. Il résulte en outre de l'instruction que la commune de Plaisir a pris l'engagement, dans son mémoire en réplique produit devant le Conseil d'Etat, engagement confirmé lors de l'audience, de publier dans le bulletin d'information municipale de février 2023 deux tribunes pour chacun des deux groupes d'opposition, une habituellement prévue dans chaque bulletin, ainsi d'ailleurs qu'elle est tenue de le faire en vertu des dispositions précitées de l'article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales, et une autre compte tenu de l'absence d'espace réservé à l'expression des groupes d'opposition dans le document " Engagements tenus 2022 - bilan de l'action municipale ". Ainsi, la commune de Plaisir est fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a estimé que la condition d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative était remplie. Il y a lieu, par suite, d'annuler l'ordonnance que la commune de Plaisir attaque et de rejeter la demande présentée par Mme A....

5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Plaisir, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Plaisir au titre de ces mêmes dispositions.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance en date du 11 janvier 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Versailles est annulée.

Article 2 : La demande de Mme A... devant ce tribunal et ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de la commune de Plaisir au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Plaisir et à Mme B... A....

Fait à Paris, le 8 février 2023

Signé : Jérôme Marchand-Arvier


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 08 fév. 2023, n° 470804
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP GUÉRIN - GOUGEON ; SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE

Origine de la décision
Formation : Juge des référés
Date de la décision : 08/02/2023
Date de l'import : 12/02/2023

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 470804
Numéro NOR : CETATEXT000047121746 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2023-02-08;470804 ?
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