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27/01/2023 | FRANCE | N°459960

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 27 janvier 2023, 459960


Vu la procédure suivante :

La société ContextLogic a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du 23 novembre 2021 par laquelle la cheffe du service national des enquêtes, service à compétence nationale placé auprès de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), a enjoint aux sociétés Google Ireland, Qwant, Microsoft Corporation et Apple de procéder au déréféren

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Vu la procédure suivante :

La société ContextLogic a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du 23 novembre 2021 par laquelle la cheffe du service national des enquêtes, service à compétence nationale placé auprès de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), a enjoint aux sociétés Google Ireland, Qwant, Microsoft Corporation et Apple de procéder au déréférencement de l'adresse du site " Wish.com " de leurs moteurs de recherche et applications respectifs, et, d'autre part, d'enjoindre à la DGCCRF d'informer les mêmes sociétés de la suspension de l'exécution de la décision attaquée dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir.

Par une ordonnance n° 2125366 du 17 décembre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, d'une part, rejeté les demandes de la société ContextLogic et, d'autre part, refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle a soulevée à l'encontre du a du 2° de l'article L. 521-3-1 du code de la consommation.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 30 décembre 2021 et les 7 janvier et 3 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société ContextLogic demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à ses demandes de suspension et d'injonction ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) n° 2017/2394 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2017 ;

- le règlement (UE) n° 2019/1020 du Parlement européen et du Conseil du 20juin 2019 ;

- la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 ;

- le code de la consommation ;

- la décision du 22 juillet 2022 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société ContextLogic ;

- la décision n° 2022-1016 QPC du Conseil constitutionnel du 21 octobre 2022 statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société ContextLogic ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agathe Lieffroy, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la société ContextLogic ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la société ContextLogic, société de droit américain, exploite une place de marché numérique constituée d'un site internet et d'une application mobile de vente en ligne sous l'appellation commerciale " Wish ". Le site internet " wish.com " et l'application associée ont fait l'objet d'un contrôle par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui a donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal le 25 mai 2021. Par une décision du 15 juillet 2021, adoptée sur le fondement des dispositions de l'article

L. 441-1 du code de la consommation, le directeur départemental du service national des enquêtes de la DGCCRF a enjoint à la société ContextLogic de cesser de tromper le consommateur sur la nature des produits vendus, sur les risques inhérents à leur utilisation et sur les contrôles effectués. À l'issue d'un nouveau procès-verbal du 16 novembre 2021, la cheffe du service national des enquêtes de la DGCCRF a estimé que la société ContextLogic n'avait pas déféré à l'injonction du 15 juillet et a, par une décision du 23 novembre 2021, fondée sur les dispositions de l'article L. 521-3-1 du code de la consommation, enjoint aux sociétés Google Ireland, Qwant, Microsoft Corporation et Apple de procéder au déréférencement de l'adresse du site " wish.com " et de l'application " Wish " de leurs moteurs de recherche et magasins d'applications respectifs. Par une ordonnance du 17 décembre 2021 prise sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative dont la société ContextLogic demande l'annulation, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête tendant à la suspension de l'exécution de cette décision de déréférencement.

2. Aux termes de l'article L. 521-3-1 du code de la consommation : " Lorsque les agents habilités constatent, avec les pouvoirs prévus au présent livre, une infraction ou un manquement aux dispositions mentionnées aux articles L. 511-5, L. 511-6 et L. 511-7 ainsi qu'aux règles relatives à la conformité et à la sécurité des produits à partir d'une interface en ligne et que l'auteur de la pratique ne peut être identifié ou qu'il n'a pas déféré à une injonction prise en application des articles L. 521-1 et L. 521-2, l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut : / 1° Ordonner aux opérateurs de plateformes en ligne au sens du I de l'article L. 111-7, aux personnes mentionnées au 1 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ou à celles exploitant des logiciels permettant d'accéder à une interface en ligne l'affichage d'un message avertissant les consommateurs du risque de préjudice encouru lorsqu'ils accèdent au contenu manifestement illicite ; / 2° Lorsque l'infraction constatée est passible d'une peine d'au moins deux ans d'emprisonnement et est de nature à porter une atteinte grave à la loyauté des transactions ou à l'intérêt des consommateurs : a) Notifier aux personnes relevant du I de l'article L. 111-7 du présent code les adresses électroniques des interfaces en ligne dont les contenus sont manifestement illicites pour qu'elles prennent toute mesure utile destinée à faire cesser leur référencement ; / b) Notifier aux opérateurs et personnes mentionnés au 1° du présent article ou au 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 précitée les adresses électroniques des interfaces en ligne dont les contenus sont manifestement illicites afin qu'ils prennent toute mesure utile destinée à en limiter l'accès ; / c) Ordonner aux opérateurs de registre ou aux bureaux d'enregistrement de domaines de prendre une mesure de blocage d'un nom de domaine, d'une durée maximale de trois mois renouvelable une fois, suivie, si l'infraction constatée persiste, d'une mesure de suppression ou de transfert du nom de domaine à l'autorité compétente. / Ces mesures sont mises en œuvre dans un délai, fixé par l'autorité administrative, qui ne peut être inférieur à quarante-huit heures. / Une interface en ligne s'entend de tout logiciel, y compris un site internet, une partie de site internet ou une application, exploité par un professionnel ou pour son compte et permettant aux utilisateurs finals d'accéder aux biens ou aux services qu'il propose ".

Sur le moyen du pourvoi tiré du refus de transmettre la question prioritaire de constitutionalité :

3. Par sa décision n° 2022-1016 QPC du 21 octobre 2022, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le a du 2° de l'article L. 521-3-1 du code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière. Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions seraient contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution ne peut qu'être écarté.

Sur les autres moyens du pourvoi :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 441-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable au litige : " Il est interdit pour toute personne, partie ou non au contrat, de tromper ou tenter de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers : / 1° Soit sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises ; / 2° Soit sur la quantité des choses livrées ou sur leur identité par la livraison d'une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l'objet du contrat ; / 3° Soit sur l'aptitude à l'emploi, les risques inhérents à l'utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d'emploi ou les précautions à prendre. / Les dispositions du présent article sont également applicables aux prestations de services ".

5. Il résulte des dispositions de l'article L. 521-3-1 du code de la consommation citées au point 2 que, lorsqu'elle est manifeste, toute infraction aux règles relatives à la conformité et à la sécurité des produits commise à partir d'une interface en ligne peut faire l'objet d'une des mesures administratives prévues au même article. Figure au nombre de ces infractions la tromperie sur la nature de la marchandise, les risques inhérents à l'utilisation du produit et les contrôles effectués, délit puni d'une peine d'emprisonnement de deux ans et d'une amende de 300 000 euros en vertu des dispositions de l'article L. 454-1 du même code. Dès lors, le moyen tiré de ce que le juge des référés du tribunal administratif de Paris a méconnu le champ d'application de la loi en jugeant implicitement qu'une tromperie sur la nature d'un produit prévue au 1° de l'article L. 441- 1 du code de la consommation cité au point 4, peut justifier la mise en œuvre d'une mesure de déréférencement en application de l'article L. 521-3-1 du code de la consommation, ne peut qu'être écarté.

6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Paris, notamment du procès-verbal du 16 novembre 2021, que la société ContextLogic continuait, à la date de la décision contestée, de proposer à la vente des produits identiques à ceux pour lesquels elle avait pourtant été informée, par l'administration, de leur non-conformité et de leur dangerosité pour la sécurité des consommateurs, et pour lesquels les vendeurs pouvaient obtenir l'apposition d'un badge revêtant la mention " Vérifié par les utilisateurs Wish " ou la mention " produits de qualité ". En relevant que la société ContextLogic n'établissait pas avoir supprimé toute possibilité pour les vendeurs d'obtenir, pour les produits proposés à la vente, un badge portant la mention " Vérifié par les utilisateurs Wish ", lequel était de nature à induire en erreur le consommateur sur la conformité et la sécurité des produits, et en jugeant, par suite, que n'était pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision de déréférencement contestée, le moyen soulevé tiré de ce que le délit de tromperie reproché n'était pas manifestement caractérisé, le juge des référés du tribunal administratif de Paris n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier.

7. En troisième lieu, le juge des référés du tribunal administratif de Paris n'a pas dénaturé les pièces du dossier en jugeant que le moyen tiré du caractère disproportionné de la mesure de déréférencement contestée n'était pas, alors même que la loi permettait également à l'autorité administrative d'ordonner l'affichage d'un message avertissant les consommateurs du risque de préjudice encouru lorsqu'ils accèdent au contenu manifestement illicite, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de cette décision.

8. En dernier lieu, c'est sans dénaturation ni méconnaissance de la charge de la preuve que le juge des référés du tribunal administratif de Paris a déduit des éléments postérieurs à l'édiction de la décision contestée, notamment des constats d'huissier des 25 et 26 novembre 2021, que la société ContextLogic ne s'était pas conformée à l'injonction administrative du 15 juillet 2021. Par suite, le moyen tiré de ce que le juge des référés aurait méconnu son office et commis une erreur de droit en jugeant que la légalité de la décision de déréférencement s'appréciait à la date de son édiction ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la société ContextLogic est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société ContextLogic et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 janvier 2023 où siégeaient :

Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Vincent Daumas, conseiller d'Etat et Mme Agathe Lieffroy, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 27 janvier 2023.

La présidente :

Signé : Mme Anne Egerszegi

La rapporteure :

Signé : Mme Agathe Lieffroy

La secrétaire :

Signé : Mme Laurence Chancerel

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 27 jan. 2023, n° 459960
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Agathe LIEFFROY
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH

Origine de la décision
Formation : 9ème chambre
Date de la décision : 27/01/2023
Date de l'import : 29/01/2023

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 459960
Numéro NOR : CETATEXT000047069102 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2023-01-27;459960 ?
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