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05/01/2023 | FRANCE | N°452595

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 05 janvier 2023, 452595


Vu la procédure suivante :

La société 5FetF a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 mai 2013, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2010, 2011 et 2012, des pénalités correspondantes ainsi que de l'amende infligée en application de l'article 1759 du code général des impôts. Par un jugement n° 1612045 du 7 juillet 2017, le tribunal administ

ratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17PA02609 du 8 juin 2018...

Vu la procédure suivante :

La société 5FetF a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 mai 2013, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2010, 2011 et 2012, des pénalités correspondantes ainsi que de l'amende infligée en application de l'article 1759 du code général des impôts. Par un jugement n° 1612045 du 7 juillet 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17PA02609 du 8 juin 2018, la cour administrative d'appel de Paris a fait droit à l'appel de la société 5FetF contre ce jugement et l'a déchargée des impositions en litige.

Par une décision n° 422870 du 12 juin 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi du ministre de l'action et des comptes publics, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Paris.

Par un second arrêt n° 20PA01513 du 18 mars 2021, la cour administrative d'appel de Paris a fait droit à l'appel de la société 5FetF contre le jugement du 7 juillet 2017 et l'a déchargée des impositions en litige.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés le 17 mai 2021 et le 24 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, avocat de la société 5FetF ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société LCDC, devenue 5FetF, qui exerce une activité de restauration, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale a mis à sa charge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 mai 2013, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2010, 2011 et 2012, des pénalités ainsi que l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts. Par un jugement du 7 juillet 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société tendant à la décharge de ces impositions, pénalités et amende. Par un arrêt du 8 juin 2018, la cour administrative d'appel de Paris l'a déchargée des impositions en litige. Par une décision du 12 juin 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à cette cour. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 mars 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a de nouveau fait droit à l'appel de la société 5FetF formé contre le jugement du 7 juillet 2017.

2. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " (...) la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge ". Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence d'avis rendu par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, et lorsque le contribuable n'a pas accepté les rehaussements qui lui avaient été notifiés dans le cadre de la procédure contradictoire, il incombe à l'administration d'apporter la preuve du bien-fondé des suppléments d'impôt.

3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que pour écarter la méthode de reconstitution des recettes mise en œuvre par le vérificateur, la cour a estimé que celle-ci était fondée sur un retraitement de données selon des règles qui n'étaient pas justifiées, et que par conséquent, l'administration fiscale ne pouvait être regardée comme apportant la preuve du bien-fondé des suppléments d'impôt résultant de cette reconstitution.

4. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'administration fiscale s'était prévalue d'un guide de lecture et de sa propre connaissance des modalités de fonctionnement du logiciel de caisse permissif " Prores " utilisé par la société 5FetF, acquise au fur et à mesure des contrôles auxquelles elle procède et synthétisée dans un document intitulé " Rappels sur les systèmes de caisse Pi Electronique ", annexé aux propositions de rectification des 19 décembre 2013 et 14 mai 2014 notifiées à la société. Dès lors, en estimant que la méthode de reconstitution était fondée sur un retraitement de données selon des règles qui n'étaient pas justifiées, la cour a dénaturé les pièces du dossier. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

5. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

6. En premier lieu, aux termes du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales : " En présence d'une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés et lorsqu'ils envisagent des traitements informatiques, les agents de l'administration fiscale indiquent par écrit au contribuable la nature des investigations souhaitées. Le contribuable formalise par écrit son choix parmi l'une des options suivantes : (...) ". Il résulte de ces dispositions que le vérificateur qui envisage un traitement informatique sur une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés est tenu d'indiquer au contribuable, au plus tard au moment où il décide de procéder au traitement, par écrit et de manière suffisamment précise, la nature des investigations qu'il souhaite effectuer, c'est-à-dire les données sur lesquelles il entend faire porter ses recherches ainsi que l'objet de ces investigations, afin de permettre au contribuable de choisir en toute connaissance de cause entre les trois options offertes par ces dispositions.

7. Il résulte de l'instruction que le vérificateur a, par un courrier du 18 juillet 2013 remis en mains propres au représentant légal de la société LCDC, informé celle-ci que les traitements informatiques envisagés consistaient à " s'assurer de la cohérence et de l'exhaustivité des ventes et règlements enregistrés ", à " contrôler les taux de TVA appliqués aux articles vendus " et à " contrôler les procédures de correction et d'annulation utilisées sur le système de caisses, notamment à partir des éléments de traçabilité intégrés ", et faisait également référence à " tout traitement destiné à valider la cohérence et l'exhaustivité des données requises pour ces différentes analyses ". Alors même que l'éventualité d'une reconstitution des recettes n'était pas mentionnée dans ce courrier, le vérificateur a, contrairement à ce qu'elle soutient, suffisamment informé la société 5FetF sur la nature des investigations souhaitées afin de lui permettre d'effectuer, en toute connaissance de cause et avec un délai suffisant de réflexion de sept jours, son choix entre les options prévues par l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales.

8. En deuxième lieu, il y a lieu, par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif au point 8 du jugement, qui est suffisamment motivé sur ce point, d'écarter les moyens tirés de ce que l'administration aurait méconnu son obligation de loyauté ainsi que les droits de la défense.

9. En troisième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ". Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des documents et renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour mettre à même l'intéressé d'y avoir accès avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Lorsque le contribuable lui en fait la demande, l'administration est, en principe, tenue de lui communiquer, alors même qu'il en aurait eu connaissance, les renseignements, documents ou copies de documents obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés, afin de lui permettre d'en vérifier l'authenticité ou d'en discuter la teneur ou la portée. Il en va autrement s'agissant des documents et renseignements qui, à la date de la demande de communication, sont directement et effectivement accessibles au contribuable dans les mêmes conditions qu'à l'administration. Dans cette dernière hypothèse, si le contribuable établit qu'il ne peut avoir effectivement accès aux mêmes documents et renseignements que ceux détenus par l'administration, celle-ci est alors tenue de les lui communiquer.

10. D'autre part, aux termes de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. / Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. (...) ". Aux termes du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi (...) ". Enfin, aux termes de l'article 13 de cette même convention : " Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale (...) ".

11. Il résulte de l'instruction que la reconstitution des recettes mise en œuvre par le vérificateur est seulement fondée sur le guide de lecture de caisse, sur la connaissance des modalités de fonctionnement du logiciel de caisse permissif " Prores ", synthétisée dans un document intitulé " Rappels sur les systèmes de caisse Pi Electronique ", annexé aux propositions de rectification des 19 décembre 2013 et 14 mai 2014, et sur l'analyse des fichiers de remontées de caisse, et non sur des éléments obtenus de l'éditeur du logiciel de caisse

" Prores ", sur , les spécifications techniques et fonctionnelles de ce logiciel ou sur son code source, qui n' auraient pas été communiqués à la société . Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

Sur le bien-fondé des impositions :

12. En premier lieu, il y a lieu, par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif au point 9 du jugement, qui est suffisamment motivé sur ce point, d'écarter les moyens tirés de ce que l'administration n'apporterait pas la preuve de ce que la comptabilité de la société était dénuée de valeur probante.

13. En second lieu, il résulte de l'instruction que pour procéder à la reconstitution de recettes, le vérificateur s'est fondé sur les fichiers de caisse, sur lesquels aucune anomalie n'a été détectée, à partir desquels il a déterminé, pour chaque exercice vérifié, la part moyenne des encaissements effectués en espèces. Il a ensuite appliqué le taux ainsi obtenu aux recettes résultant des bandes de caisse présentant des anomalies en vue de déterminer le taux des recettes encaissées en espèces omises par la société vérifiée. Il résulte de l'instruction que les pourcentages de paiement en espèces déterminés pour chacune des années vérifiées, y compris celui afférent aux cinq premiers mois de l'année 2013 que la société 5FetF propose de retenir pour l'ensemble de la période vérifiée, sont proches les uns des autres et le sont également du pourcentage de paiement en espèces afférent à l'année 2014 que la société propose d'appliquer à titre subsidiaire. Par suite, le moyen tiré de ce que la méthode de reconstitution de recettes serait excessivement sommaire ne peut qu'être écarté.

Sur les amendes et pénalités :

14. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, conformément à l'avis de la commission des infractions fiscales, aucune poursuite pénale n'a été engagée par l'administration. Par suite et en tout état de cause, la société 5FetF ne peut utilement soutenir que lorsque des poursuites pénales sont abandonnées ou se terminent par un acquittement, les sanctions administratives fondées sur les mêmes faits devraient être abandonnées ou annulées.

15. En deuxième lieu, compte tenu de ce qui a été dit aux points 12 et 13 ci-dessus, le moyen tiré de ce que l'application des pénalités prévues à l'article 1729 du code général des impôts et de l'amende prévue à l'article 1759 du même code résulterait d'une reconstitution de recettes " aléatoire " en méconnaissance des stipulations de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de l'article 1er du protocole additionnel à cette convention, ne peut qu'être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu d'ordonner une expertise, que la société 5FetF n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions, pénalités et amende en litige.

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, lequel n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 18 mars 2021 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.

Article 2 : La requête présentée par la société 5FetF devant la cour administrative d'appel de Paris est rejetée.

Article 3 : Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 mai 2013, les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2010, 2011 et 2012, les pénalités correspondantes ainsi que l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts, sont remis à la charge de la société 5FetF.

Article 4 : Les conclusions de la société 5FetF présentées devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société 5FetF et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 décembre 2022 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M Nicolas Polge, conseiller d'Etat et M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 5 janvier 2023.

La présidente :

Signé : Mme Anne Egerszegi

Le rapporteur :

Signé : M. Matias de Sainte Lorette

La secrétaire :

Signé : Mme Wafak Salem

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 452595
Date de la décision : 05/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 05 jan. 2023, n° 452595
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Matias de Sainte Lorette
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SARL CABINET BRIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:452595.20230105
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