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29/12/2022 | FRANCE | N°451388

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 29 décembre 2022, 451388


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 avril 2021 et 16 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-99 du 30 janvier 2021 modifiant les décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en tant qu'il ne prévoit pas de dérogation à l'interdiction des déplaceme

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Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 avril 2021 et 16 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-99 du 30 janvier 2021 modifiant les décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en tant qu'il ne prévoit pas de dérogation à l'interdiction des déplacements entre la France et certains pays étrangers pour les visites à un conjoint ou partenaire qui ne vit pas sous le même toit, dans la mesure où des preuves plausibles d'une relation stable et durable peuvent être fournies, ainsi que le décret n° 2021-384 du 2 avril 2021 modifiant les mêmes décrets, en tant qu'il ne prévoit pas, pour les mêmes visites, de dérogation à l'interdiction des déplacements de personnes hors de leurs lieux de résidence.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;

- la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 ;

- le décret n° 2020 1257 du 14 octobre 2020 ;

- le décret n°2020-1262 du 16 octobre 2020 ;

- le décret n° 2020 1310 du 29 octobre 2020 ;

- le décret n° 2020-1582 du 14 décembre 2020 ;

- le décret n° 2021-296 du 19 mars 2021 ;

- le décret n° 2021-541 du 1er mai 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. L'accélération du rythme de l'épidémie de covid-19 au cours des mois de septembre et d'octobre 2020 a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre 2020, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020 sur l'ensemble du territoire national. Le 29 octobre 2020, le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du même code, un décret prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Ce dernier a été prorogé jusqu'au 16 février 2021 inclus, puis jusqu'au 1er juin 2021 inclus, respectivement par la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, puis la loi du 15 février 2021 prorogeant l'état d'urgence sanitaire.

2. L'article 4 du décret du 29 octobre 2020, dans sa version initiale, interdisait, sous réserve de certaines exceptions, les déplacements de personnes hors de leur lieu de résidence, mesure communément dite de " confinement ". Il a été modifié à plusieurs reprises, notamment par le décret du 14 décembre 2020, qui a remplacé le confinement par une interdiction des déplacements entre 20 heures et 6 heures du matin, dite " couvre-feu ". Le décret du 30 janvier 2021 a ensuite interdit certains déplacements internationaux. Le décret du 19 mars 2021 a, d'une part, fixé le couvre-feu à 19 heures et, d'autre part, institué un confinement de 6 heures à 19 heures dans certains départements, mesure généralisée par le décret du 2 avril 2021.

3. M. A... doit être regardé comme demandant l'annulation, d'une part, des dispositions régissant les déplacements internationaux issues du décret du 30 janvier 2021 et, d'autre part, des dispositions relatives à l'interdiction de sortie du lieu de résidence issues du décret du 2 avril 2021, en tant, dans l'un et l'autre cas, qu'elles ne prévoient pas de dérogations pour les conjoints qui ne vivent pas sous le même toit.

Sur les conclusions dirigées contre les dispositions du décret du 30 janvier 2021 relatives aux déplacements internationaux :

4. Le premier alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative dispose que : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ".

5. Il ressort des pièces du dossier que la requête de M. A... tendant à l'annulation des dispositions régissant les déplacements internationaux issues du décret du 30 janvier 2021 a été enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 6 avril 2021, soit après l'expiration du délai de recours de deux mois ouvert par les dispositions, citées au point 4, de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, qui courait à partir de la publication du décret attaqué au Journal officiel de la République française le 31 janvier 2021. Si le requérant fait valoir qu'il avait adressé au ministre de nombreuses réclamations laissées sans réponse, il ne justifie pas de la présentation d'un recours gracieux de nature à prolonger le délai du recours contentieux. Par suite, le ministre de la santé et de la prévention est fondé à soutenir que les conclusions du requérant tendant à l'annulation des dispositions régissant les déplacements internationaux issues du décret du 30 janvier 2021 sont irrecevables.

Sur les conclusions dirigées contre les dispositions du décret du 2 avril 2021 relatives au confinement et au couvre-feu :

6. Il ressort des pièces du dossier que si, à la suite du couvre-feu imposé à 18 heures par le décret du 15 janvier 2021, le nombre des hospitalisations s'était stabilisé, au demeurant à un niveau élevé, dans la seconde moitié de janvier 2021 et début février, la situation s'est ensuite aggravée. A la date du décret attaqué du 2 avril 2021, le taux d'incidence atteignait 400 par semaine pour 100 000 habitants, les tensions sur les capacités hospitalières contraignaient certains établissements à déprogrammer des opérations et à évacuer des patients en état critique, le nombre de morts atteignait 1 840 en une semaine. Un nouveau variant, alors identifié comme plus contagieux et plus dangereux, était devenu dominant. Les prévisions faisaient état d'une " troisième vague " épidémique, déjà manifeste dans certaines régions.

7. Au vu de l'ensemble de ces circonstances, apparaissait seule susceptible d'enrayer la progression du virus une stricte limitation des déplacements de personnes hors de leur domicile, notamment sur une longue distance, afin d'éviter une accélération de la diffusion du virus vers des régions qui demeuraient moins atteintes, accompagnée de dérogations réduites à celles qui étaient indispensables. Le gouvernement pouvait ainsi considérer comme nécessaire de restreindre les déplacements pour motif familial aux seuls cas de motifs impérieux. Par suite, eu égard au caractère exceptionnel de la situation sanitaire, à l'objectif de protection de la santé publique ainsi qu'au caractère circonscrit dans le temps des mesures en cause, les dispositions contestées, à la date à laquelle elles ont été édictées, n'ont pas porté une atteinte disproportionnée au droit à une vie familiale normale et à la liberté d'aller et venir, ni en tout état de cause aux autres droits invoqués par le requérant. La seule circonstance qu'elles n'avaient pas institué de régime dérogatoire en faveur des couples stables ne vivant pas sous le même toit ne leur conférait pas, par ailleurs, un caractère discriminatoire.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. A... doit être rejetée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre fin de non-recevoir soulevée par le ministre de la santé et de la prévention.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 décembre 2022 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 29 décembre 2022.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

La rapporteure :

Signé : Mme Isabelle Lemesle

La secrétaire :

Signé : Mme Sylvie Leporcq


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 451388
Date de la décision : 29/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 déc. 2022, n° 451388
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Isabelle Lemesle
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo

Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:451388.20221229
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