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22/12/2022 | FRANCE | N°464247

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 22 décembre 2022, 464247


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 464247, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 20 mai, 20 août et 12 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. H... E... et l'association Génération Harkis demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-393 du 18 mars 2022 relatif aux mesures d'indemnisation des préjudices et aux mesures d'aide sociale en faveur des harkis, des autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit loc

al et de leurs familles et le décret n° 2022-394 du 18 mars 2022 relatif à la c...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 464247, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 20 mai, 20 août et 12 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. H... E... et l'association Génération Harkis demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-393 du 18 mars 2022 relatif aux mesures d'indemnisation des préjudices et aux mesures d'aide sociale en faveur des harkis, des autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et de leurs familles et le décret n° 2022-394 du 18 mars 2022 relatif à la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 464249, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 mai et 20 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... I... et le Comité Harkis et Vérité demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les deux mêmes décrets ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le n° 464250, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 mai et 21 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... I... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les deux mêmes décrets ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

4° Sous le n° 464252, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 mai et 20 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... I... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les deux mêmes décrets ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

5° Sous le n° 468852, par une requête enregistrée le 10 novembre 2022, M. G... F... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2022-394 du 18 mars 2022 relatif à la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles ainsi que la décision de refus implicite née le 12 juillet 2022 du silence gardé par la Première ministre sur son recours gracieux dirigé contre ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code civil ;

- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 2022-229 du 23 février 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme D... de Moustier, rapporteure publique ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 19 décembre 2022, présentée par M. E... et l'association Génération Harkis pour la requête n° 464247 ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 19 décembre 2022, présentée par M. A... I... et le comité Harkis et Vérité, pour la requête n° 464249 ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 19 décembre 2022, présentée par M. C... I..., pour la requête n° 464250 ;

Considérant ce qui suit :

1. Les questions prioritaires de constitutionnalité et requêtes de l'association Génération Harkis et de M. H... E..., du Comité Harkis et Vérite et de M. A... I..., de Mme B... I..., de M. C... I... et de M. G... F... sont dirigées contre les mêmes dispositions législatives et réglementaires. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur l'intervention de M. J... I... :

2. M. J... I..., en sa qualité d'enfant de harki, doit être regardé comme justifiant d'un intérêt lui donnant qualité pour intervenir au soutien de la requête de M. C... I.... Ses interventions sont, par suite, recevables.

Sur les questions prioritaires de constitutionnalité :

3. L'article 1er de la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français dispose que : " La Nation exprime sa reconnaissance envers les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie et qu'elle a abandonnés. / Elle reconnaît sa responsabilité du fait de l'indignité des conditions d'accueil et de vie sur son territoire, à la suite des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 relatives à l'Algérie, des personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et des membres de leurs familles, hébergés dans des structures de toute nature où ils ont été soumis à des conditions de vie particulièrement précaires ainsi qu'à des privations et à des atteintes aux libertés individuelles qui ont été source d'exclusion, de souffrances et de traumatismes durables ". En vertu de son article 3 : " Les personnes mentionnées à l'article 1er, leurs conjoints et leurs enfants qui ont séjourné, entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975, dans l'une des structures destinées à les accueillir et dont la liste est fixée par décret peuvent obtenir réparation des préjudices résultant de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans ces structures. / La réparation prend la forme d'une somme forfaitaire tenant compte de la durée du séjour dans ces structures, versée dans des conditions et selon un barème fixés par décret. Son montant est réputé couvrir l'ensemble des préjudices de toute nature subis en raison de ce séjour. En sont déduites, le cas échéant, les sommes déjà perçues en réparation des mêmes chefs de préjudice ". L'article 4 de cette même loi institue une commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement sous statut civil de droit local et les membres de leurs familles, qui est chargée notamment de statuer sur les demandes de réparation présentées sur le fondement de l'article 3.

4. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

5. Les requérants soutiennent que ces dispositions, citées au point 3 de la loi du 23 février 2022, qui excluent toute mise en cause de la responsabilité de l'Etat à raison de l'abandon des harkis à leur propre sort en Algérie, méconnaissent la faculté d'agir en responsabilité protégée par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et le droit à un recours juridictionnel effectif protégé par son article 16, et qu'elles portent atteinte au droit de propriété protégé par ses articles 2 et 17 ainsi qu'au principe d'égalité protégé par son article 6.

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 :

6. En adoptant les dispositions contestées, le législateur, à qui il est à tout moment loisible, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel, a souhaité, d'une part, exprimer solennellement la reconnaissance de la Nation envers les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie et qu'elle a abandonnés, et d'autre part, instituer un mécanisme de réparation forfaitaire des préjudices subis par ces mêmes personnes et leurs familles résultant de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans les structures dans lesquelles ils ont été accueillis sur le territoire national, à raison de la responsabilité fautive de l'Etat.

7. Ce régime légal de responsabilité pour faute de l'Etat a pour objectif de permettre l'indemnisation du préjudice lié à la très grande précarité matérielle dans laquelle ont vécu ces personnes et leurs familles, parfois pendant de très longues années, et aux atteintes qui ont été portées à leurs libertés individuelles ainsi qu'aux privations diverses qu'elles ont subies dans le cadre de leur séjour dans les structures où elles ont été accueillies. Son caractère forfaitaire dispense les personnes concernées d'établir l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité entre ce préjudice et la faute de l'administration. La loi du 23 février 2022 fait également obstacle à ce que l'Etat puisse opposer la prescription sur le fondement des dispositions de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics.

8. Les requérants invoquent l'atteinte disproportionnée que porteraient ces dispositions au droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, ainsi que la faculté d'agir en responsabilité, garantie par son article 4, au motif qu'elles ne prévoient pas, par ailleurs, de mécanisme de réparation pour les préjudices liés aux représailles et aux massacres dont les supplétifs de l'armée française en Algérie et leurs familles ont été victimes sur le territoire algérien, après le cessez-le-feu du 18 mars 1962 et la proclamation de l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet 1962, et à leur absence de rapatriement en France. Toutefois, un grief tiré de ce que des dispositions législatives seraient entachées d'incompétence négative ne peut être utilement présenté qu'à la condition de contester les insuffisances du dispositif qu'elles instaurent et non pour revendiquer la création d'un régime dédié. Or, le grief tiré de ce que les dispositions législatives en cause porteraient une atteinte excessive au droit à un recours juridictionnel, en ce qu'elles ne créent pas un dispositif de réparation de préjudices qui, tant par leur cause que leur nature, ne sauraient être assimilés à ceux qu'elles régissent, doit être analysé comme reprochant à ces dispositions d'être, à cet égard, entachées d'incompétence négative faute d'avoir créé un régime de responsabilité dédié à la réparation de ces préjudices distincts. Ce grief est, par suite, inopérant.

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 :

9. Si le droit à réparation instauré par l'article 3 de la loi du 23 février 2022, qui a vocation à indemniser les personnes qui ont séjourné, entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975, dans les structures dont la liste est fixée par décret, pour les préjudices résultant de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans ces structures, est soumis à la condition que les bénéficiaires justifient de leur séjour effectif dans de telles structures, ce qui exclut leurs ayants-droit, et revêt un caractère forfaitaire, l'institution d'un tel dispositif d'indemnisation pour des créances qui seraient prescrites en application du droit commun ne saurait, en tout état de cause, être regardée comme portant atteinte au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 6 de la Déclaration du des droits de l'homme et du citoyen 26 août 1789 :

10. Les requérants ne sauraient soutenir utilement que le législateur, en ne prévoyant pas au bénéfice des personnes visées par la loi du 23 février 2022 un régime de réparation identique à celui qui s'applique, sur le fondement de l'article 149 du code de procédure pénale, aux personnes qui ont fait l'objet d'une détention provisoire avant d'être relaxées ou acquittées, aurait méconnu le principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, eu égard aux différences de situation entre les unes et les autres.

11. Il résulte de ce qui précède que les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées, qui ne sont pas nouvelles, ne présentent pas de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de les renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur la légalité externe des deux décrets attaqués :

12. En premier lieu, si, en vertu du b) du 4° de l'article L. 611-3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre est chargé de donner son avis sur les projets de décret concernant ses ressortissants, il résulte des dispositions de l'article L. 611-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et de son annexe que les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil, leurs conjoints et leurs enfants n'ont pas la qualité de ressortissants de l'Office. Le moyen tiré de ce que les décrets attaqués seraient, en raison de l'absence de consultation de l'Office, entachés d'un vice de procédure ne peut, par suite, qu'être écarté. Il en va de même du moyen tiré de l'absence de consultation des organismes de sécurité sociale, aucune disposition n'imposant que les décrets leur soient soumis pour avis.

13. En second lieu, les décrets attaqués, contrairement à ce que soutiennent les requérants, n'avaient pas à être soumis au contreseing des ministres chargés de la sécurité sociale et des affaires sociales, en l'absence de mesure d'exécution à prendre de leur part.

Sur la légalité interne du décret n° 2022-393 du 18 mars 2022 :

14. L'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Par dérogation à l'article L. 231-1, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet : / (...) 2° Si la demande présente un caractère financier (...) ; ". En vertu de l'article L. 231-6 du même code, " lorsque l'urgence ou la complexité de la procédure le justifie, un délai différent de ceux prévus aux articles L. 231-1 et L. 231-4 peut être fixé par décret en Conseil d'Etat ".

15. L'article 1er du décret n° 2022-393 du 18 mars 2022 relatif aux mesures d'indemnisation des préjudices et aux mesures d'aide sociale en faveur des harkis, des autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et de leurs familles fixe à six mois le délai à l'expiration duquel le silence gardé par la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles sur les demandes de réparation qui lui sont adressées vaut décision de rejet.

16. Le dispositif de réparation instauré par l'article 3 de la loi du 23 février 2022 est ouvert aux personnes qui ont séjourné entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975 dans l'une des structures destinées à les accueillir et dont la liste est fixée par décret, afin de permettre à ces personnes d'obtenir mécaniquement réparation des préjudices liés aux conditions dans lesquelles elles ont été accueillies dans ces structures et y ont séjourné. D'une part, l'ancienneté des faits couverts par le dispositif de réparation et la difficulté pour les personnes concernées de réunir les pièces justificatives permettant d'attester de leur séjour dans une telle structure, et en particulier, de la durée de ce séjour, et d'autre part, l'existence de pouvoirs importants d'instruction complémentaire qui sont conférés à la commission nationale indépendante de réparation qui statue de manière collégiale, et qui peut en particulier demander à l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre de procéder à tout complément d'instruction utile, qui peut également entendre le demandeur ainsi que toute personne et solliciter un avis ou une consultation de tout tiers qualifié, donnent à la procédure ainsi mise en place le caractère de complexité justifiant la fixation d'un délai dérogatoire de six mois, d'ailleurs plus favorable pour les intéressés que le délai de droit commun de deux mois prévu par les dispositions citées au point 14 de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration. Ce délai, justifié par un motif d'intérêt général, ne méconnaît pas, en tout état de cause, le principe d'égalité des usagers devant le service public.

Sur la légalité interne du décret n° 2022-394 du 18 mars 2022 :

17. En premier lieu, la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation instituée par l'article 4 de la loi du 23 février 2022, qui est placée auprès du Premier ministre, est assistée par l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre, qui assure son secrétariat et instruit les demandes de réparation qui lui sont adressées. En vertu de l'article 1er du décret n° 2022-394, les membres de la commission ne reçoivent aucune instruction dans l'exercice de leurs attributions. Ni les modalités de désignation des membres de la commission, ni sa composition, pas davantage que les missions qui lui sont attribuées ne sont de nature à remettre en cause son indépendance. Par suite, les moyens tirés de ce que les dispositions du décret n° 2022-394 seraient de nature à méconnaître " l'exigence d'indépendance " de cette instance chargée de statuer sur les demandes de réparation ou une quelconque stipulation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou un prétendu principe général du droit relatif à l'indépendance des autorités chargées de statuer sur les demandes de réparation d'un préjudice né d'une faute de la puissance publique, ne peuvent, en tout état de cause, qu'être écartés.

18. En deuxième lieu, d'une part, dès lors que le caractère forfaitaire de la réparation dont le montant est prévu par l'article 9 du décret n° 2022-394 est déterminé à l'article 3 de la loi du 23 février 2022 pour l'application de laquelle ce décret a été pris et que cette même loi prévoit également que seules les personnes ayant séjourné dans les structures d'accueil pendant la période considérée peuvent demander réparation de leur préjudice, il ne peut être utilement reproché au pouvoir réglementaire d'avoir limité l'indemnisation des personnes à ce titre et d'en avoir exclu leurs ayants-droit ou héritiers. Par suite, le moyen tiré de ce que ce décret serait à ce titre entaché d'illégalité ne peut qu'être écarté.

19. En troisième lieu, la circonstance que les dispositions législatives sur le fondement desquelles a été pris le décret attaqué instaurent une réparation forfaitaire à laquelle les ayants-droit des personnes concernées ne peuvent pas prétendre n'induit pas en elle-même une méconnaissance des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

20. En dernier lieu, en prévoyant que le montant de la réparation mentionnée à l'article 3 de la loi du 23 février 2022 susvisée comporte une somme minimale, fixée à 2 000 euros lorsque le demandeur a séjourné dans les structures évoquées à ce même article pendant une durée inférieure à trois mois et à 3 000 euros pour une durée supérieure, ainsi qu'une somme proportionnelle à la durée effective du séjour, correspondant à 1 000 euros pour chaque année passée par le demandeur au sein de ces structures, le Premier ministre n'a pas entaché le décret d'erreur manifeste d'appréciation.

21. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes de Mme B... I..., M. A... I... et le Comité Harkis et Vérité, M. C... I..., M. H... E... et l'association Génération Harkis et M. G... F... doivent être rejetées.

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les interventions de M. J... I... au soutien de la requête n° 464252 sont admises.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par Mme B... I..., M. A... I... et le Comité Harkis et Vérité, M. C... I..., M. H... E... et l'association Génération Harkis et par M. G... F....

Article 3 : Les requêtes de Mme B... I..., M. A... I... et le Comité Harkis et Vérité, M. C... I..., M. H... E... et l'association Génération Harkis, et de M. G... F... sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B... I..., M. A... I... et au Comité Harkis et Vérité, à M. C... I..., à M. H... E... et à l'association Génération Harkis, à M. G... F..., au ministre des armées et à M. J... I....

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 décembre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat ; M. David Moreau, maître des requêtes et Mme Christelle Thomas, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 22 décembre 2022.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Christelle Thomas

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 464247
Date de la décision : 22/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 déc. 2022, n° 464247
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Christelle Thomas
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:464247.20221222
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