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08/08/2022 | FRANCE | N°466355

France | France, Conseil d'État, 08 août 2022, 466355


Vu la procédure suivante :

M. B... C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nancy, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et d'enjoindre au président du conseil départemental de la Meuse d'assurer son hébergement, sa sécurité, sa vêture, sa nourriture, jusqu'à la décision du juge des enfants de D..., dans un délai de 10 heures à compter de l'ordonnance, sous astreinte de 200 euros A... jour de retard. A... une ordonnance n° 2202020

du 19 juillet 2022, le juge des référés a admis le requérant au bénéfic...

Vu la procédure suivante :

M. B... C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nancy, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et d'enjoindre au président du conseil départemental de la Meuse d'assurer son hébergement, sa sécurité, sa vêture, sa nourriture, jusqu'à la décision du juge des enfants de D..., dans un délai de 10 heures à compter de l'ordonnance, sous astreinte de 200 euros A... jour de retard. A... une ordonnance n° 2202020 du 19 juillet 2022, le juge des référés a admis le requérant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et enjoint au département de la Meuse de le mettre à l'abri dans un délai de 24 heures jusqu'à la notification de la décision à intervenir du juge pour enfants du tribunal judiciaire de D....

A... une requête, enregistrée le 3 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département de la Meuse demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'annuler cette ordonnance et de rejeter la demande de première instance de M. C...

Il soutient que :

- l'ordonnance est irrégulière en la forme dès lors que le juge des référés s'est fondé sur une pièce, présentée comme l'acte de naissance original de M. C..., qui n'a été produite A... la partie adverse qu'à l'audience, alors qu'il lui incombait de prolonger l'instruction afin de soumettre cette pièce au débat contradictoire des parties ;

- ce document ne présente aucune valeur probante, les examens osseux auxquels il a été procédé démontrant que M. C... est majeur et que, A... suite, il n'est porté atteinte à aucune liberté fondamentale ;

- les pièces versées au dossier n'établissent pas l'existence d'une situation d'urgence eu égard à leur caractère lacunaire et à leur imprécision.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée A... l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. " En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, A... une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Il résulte de l'instruction menée devant le juge des référés du tribunal administratif de Nancy que M. C..., ressortissant camerounais se disant né le 13 octobre 2005 et dénué d'attaches familiales connues en France, a été pris en charge à compter du 19 janvier 2022 A... le service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Meuse. A la suite de doutes exprimés quant à l'âge réel de l'intéressé, le président du conseil général de la Meuse a mis fin à cette prise en charge. M. C... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nancy, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative cité ci-dessus. A... une ordonnance du 19 juillet 2022, le juge des référés, après avoir admis M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a ordonné au département de la Meuse de mettre l'intéressé à l'abri jusqu'à ce que le juge des enfants ait statué sur sa situation. Le département de la Meuse fait appel de cette ordonnance.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

3. Pour retenir que M. C... n'était pas majeur, le juge des référés s'est fondé sur un document produit à l'audience A... l'avocat de l'intéressé et présenté comme son acte de naissance original. Si, après avoir été produite A... le requérant au cours de l'audience, cette pièce pouvait être prise en considération A... le juge des référés, c'était à la condition que l'administration en ait eu la communication contradictoire à l'occasion de la partie orale de la procédure et ait été mise à même avant la clôture de l'instruction d'en contester les énonciations. La réalité de cette communication contradictoire ressort des mentions de l'ordonnance attaquée, qui établissent notamment qu'après avoir pris connaissance de la pièce en cause, la représentante du département de la Meuse s'est bornée à indiquer que ses services n'en connaissaient pas l'existence, sans émettre le moindre doute sur son authenticité. Ainsi, le moyen pris de ce que l'ordonnance attaquée aurait été rendue sur une procédure irrégulière doit être écarté.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

Sur l'atteinte portée à une liberté fondamentale :

4. L'article 375 du code civil dispose que : " Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées A... justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public (...) ". Aux termes de l'article 375-3 du même code : " Si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier : / (...) 3° A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance (...) ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article 373-5 du même code : " A titre provisoire mais à charge d'appel, le juge peut, pendant l'instance, soit ordonner la remise provisoire du mineur à un centre d'accueil ou d'observation, soit prendre l'une des mesures prévues aux articles 375-3 et 375-4. / En cas d'urgence, le procureur de la République du lieu où le mineur a été trouvé a le même pouvoir, à charge de saisir dans les huit jours le juge compétent, qui maintiendra, modifiera ou rapportera la mesure. Si la situation de l'enfant le permet, le procureur de la République fixe la nature et la fréquence du droit de correspondance, de visite et d'hébergement des parents, sauf à les réserver si l'intérêt de l'enfant l'exige ".

5. L'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (...) / ; 3° Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés au 1° du présent article ; / 4° Pourvoir à l'ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation (...) ". L'article L. 222-5 du même code prévoit que : " Sont pris en charge A... le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) / 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l'article 375-3 du code civil (...) ". L'article L. 223-2 de ce code dispose que : " Sauf si un enfant est confié au service A... décision judiciaire ou s'il s'agit de prestations en espèces, aucune décision sur le principe ou les modalités de l'admission dans le service de l'aide sociale à l'enfance ne peut être prise sans l'accord écrit des représentants légaux ou du représentant légal du mineur ou du bénéficiaire lui-même s'il est mineur émancipé. / En cas d'urgence et lorsque le représentant légal du mineur est dans l'impossibilité de donner son accord, l'enfant est recueilli provisoirement A... le service qui en avise immédiatement le procureur de la République. / (...) Si, dans le cas prévu au deuxième alinéa du présent article, l'enfant n'a pas pu être remis à sa famille ou le représentant légal n'a pas pu ou a refusé de donner son accord dans un délai de cinq jours, le service saisit également l'autorité judiciaire en vue de l'application de l'article 375-5 du code civil. ". L'article R. 221-11 du même code dispose que : " I. - Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence d'une durée de cinq jours, à compter du premier jour de sa prise en charge, selon les conditions prévues aux deuxième et quatrième alinéas de l'article L. 223-2. / II. - Au cours de la période d'accueil provisoire d'urgence, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires en vue d'évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. (...) / IV. - Au terme du délai mentionné au I, ou avant l'expiration de ce délai si l'évaluation a été conduite avant son terme, le président du conseil départemental saisit le procureur de la République en vertu du quatrième alinéa de l'article L. 223-2 et du second alinéa de l'article 375-5 du code civil. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I se prolonge tant que n'intervient pas une décision de l'autorité judiciaire. / S'il estime que la situation de la personne mentionnée au présent article ne justifie pas la saisine de l'autorité judiciaire, il notifie à cette personne une décision de refus de prise en charge délivrée dans les conditions des articles L. 222-5 et R. 223-2. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I prend fin ".

6. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe aux autorités du département, le cas échéant dans les conditions prévues A... la décision du juge des enfants ou A... le procureur de la République ayant ordonné en urgence une mesure de placement provisoire, de prendre en charge l'hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l'aide sociale à l'enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu'un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il incombe au juge des référés d'apprécier, dans chaque cas, les diligences accomplies A... l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

7. Il en résulte également que, lorsqu'il est saisi A... un mineur d'une demande d'admission à l'aide sociale à l'enfance, le président du conseil départemental peut seulement, au-delà de la période provisoire de cinq jours prévue A... l'article L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles, décider de saisir l'autorité judiciaire mais ne peut, en aucun cas, décider d'admettre le mineur à l'aide sociale à l'enfance sans que l'autorité judiciaire l'ait ordonné. L'article 375 du code civil autorise le mineur à solliciter lui-même le juge judiciaire pour que soient prononcées, le cas échéant, les mesures d'assistance éducative que sa situation nécessite. Lorsque le département refuse de saisir l'autorité judiciaire à l'issue de l'évaluation mentionnée au point 5, au motif que l'intéressé n'aurait pas la qualité de mineur isolé, l'existence d'une voie de recours devant le juge des enfants A... laquelle le mineur peut obtenir son admission à l'aide sociale rend irrecevable le recours formé devant le juge administratif contre la décision du département.

8. Il appartient toutefois au juge du référé, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2, lorsqu'il lui apparaît que l'appréciation portée A... le département sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en en danger de sa santé ou de sa sécurité, d'enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire.

9. Si le département de la Meuse soutient que l'acte de naissance produit A... M. C... en première instance n'est pas revêtu du cachet officiel de l'arrondissement de Douala, où il aurait été établi, ni de la signature du déclarant, ces éléments ne suffisent pas à établir que ce document serait un faux. L'âge attribué A... ce document à M. C... n'est A... ailleurs pas incompatible avec les tests osseux auxquels il a été soumis.

Sur l'urgence :

10. M. C... a suffisamment démontré, en première instance, notamment A... la production d'une main-courante qu'il a déposée le 11 juillet 2022 au commissariat de Bar-le-Duc, qu'il se trouvait dans une situation de grave danger, aux prises avec des individus se livrant à la consommation et au trafic de stupéfiants. Le département de la Meuse se borne, en cause d'appel comme en première instance, à critiquer l'imprécision des documents produits au soutien de ce récit, sans apporter lui-même aucun élément de nature à en mettre en doute la véracité.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la requête du département de la Meuse doit être rejetée, ce qu'il y a lieu de faire selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête du département de la Meuse est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au département de la Meuse.

Copie en sera adressée à M. B... C....

Fait à Paris, le 8 août 2022

Signé : Alain Seban


Synthèse
Numéro d'arrêt : 466355
Date de la décision : 08/08/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 08 aoû. 2022, n° 466355
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SARL DELVOLVE ET TRICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:466355.20220808
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