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23/06/2022 | FRANCE | N°446656

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 23 juin 2022, 446656


Vu la procédure suivante :

Par une décision du 17 février 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de M. et Mme A... B... dirigées contre l'arrêt n° 18NC03432 du 24 septembre 2020 de la cour administrative d'appel de Nancy, en tant seulement que cet arrêt statue sur les pénalités mises à leur charge.

des impôts.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir e

ntendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Nissen, maître des requêtes en service extraordinai...

Vu la procédure suivante :

Par une décision du 17 février 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de M. et Mme A... B... dirigées contre l'arrêt n° 18NC03432 du 24 septembre 2020 de la cour administrative d'appel de Nancy, en tant seulement que cet arrêt statue sur les pénalités mises à leur charge.

des impôts.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Nissen, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de M. et Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité de l'EURL Better Life, dont M. B... est le gérant et l'unique associé, M. et Mme B... ont fait l'objet d'un contrôle sur pièces à l'issue duquel l'administration leur a notifié, par deux propositions de rectifications des 11 décembre 2014 et 24 avril 2015, des rehaussements dans la catégorie des traitements et salaires à raison de prélèvements inscrits au débit du compte courant d'associé détenu par M. B... dans les écritures de l'EURL Better Life. Par un jugement du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de M. et Mme B... tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2011 à 2013. Par un arrêt du 24 septembre 2020, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté la requête formée par M. et Mme B... contre ce jugement. Par une décision du 17 février 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de M. et Mme B... dirigées contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy, en tant seulement que cet arrêt statue sur les pénalités mises à leur charge.

2. D'une part, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs (...) la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration. " Il résulte de ces dispositions que la pénalité pour manquement délibéré a pour seul objet de sanctionner la méconnaissance par le contribuable de ses obligations déclaratives. Pour établir un tel manquement, l'administration doit apporter la preuve, d'une part, de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations et, d'autre part, de l'intention de l'intéressé d'éluder l'impôt. Pour établir le caractère intentionnel du manquement du contribuable à son obligation déclarative, l'administration doit se placer au moment de la déclaration ou de la présentation de l'acte comportant l'indication des éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt.

3. D'autre part, les constatations de fait qui sont le support nécessaire d'un jugement définitif rendu par juge pénal s'imposent au juge de l'impôt. En revanche, l'autorité de la chose jugée par la juridiction pénale ne saurait s'attacher aux motifs d'une décision de relaxe tirés de ce que les faits reprochés au contribuable ne sont pas établis et de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité et, notamment, sur la nature des opérations effectuées. Par suite, en présence d'un jugement définitif de relaxe rendu par le juge répressif, il appartient au juge de l'impôt, avant de porter lui-même une appréciation sur la matérialité et la qualification des faits au regard de la loi fiscale, de rechercher si cette relaxe était ou non fondée sur des constatations de fait qui s'imposent à lui.

4. Il ressort des énonciations du jugement du 24 mai 2018 du tribunal de grande instance de Strasbourg, statuant en matière correctionnelle, que le juge pénal a relaxé M. B... des fins de poursuites intentées contre lui pour fraude fiscale au motif qu'il ne connaissait pas la qualification de ses sommes au moment de la passation des écritures et de son obligation déclarative. Le tribunal correctionnel relève à ce titre que le contribuable ignorait, jusqu'au mois d'octobre 2014, que les prélèvements effectués en 2011, 2012 et 2013 figurant au débit de son compte courant d'associé ouvert dans les écritures de l'EURL Better Life avaient donné lieu, à l'initiative de son comptable, à une écriture de régularisation inscrite au débit du compte de rémunération. Ces constatations de fait, qui sont revêtues de l'autorité de la chose jugée, sont de nature à lier le juge de l'impôt. Par suite, en jugeant que l'administration fiscale avait à bon droit infligé à M. et Mme B... la pénalité pour manquement délibéré prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts, au double motif que M. B... n'avait pu ignorer que lesdits prélèvements constituaient des revenus imposables dans la catégorie des traitements et salaires, et que les constations du tribunal correctionnel de Strasbourg ne s'imposaient pas au juge de l'impôt dès lors qu'elles ne concernaient pas l'intention des contribuables d'éluder l'impôt au titre des années 2011, 2012 et 2013, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit. Cet arrêt doit, dès lors, être annulé, en tant qu'il statue sur les pénalités mises à la charge de M. et Mme B... sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 ci-dessus que les constatations du juge pénal selon lesquelles M. B... ignorait le caractère imposable des prélèvements inscrits au débit de son compte courant d'associé lors de ses déclarations concernant ses revenus réalisés de 2011 à 2013, s'imposent au juge de l'impôt. Par suite, l'administration n'établit pas le caractère intentionnel des manquements de M. et Mme B... à leurs obligations déclaratives.

7. Toutefois, l'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de justifier d'une pénalité en en modifiant le fondement juridique, à la double condition que la substitution de base légale ainsi opérée ne prive le contribuable d'aucune des garanties de procédure prévues par la loi et que l'administration invoque, au soutien de la demande de substitution de base légale, des faits qu'elle avait retenus pour motiver la pénalité initialement appliquée.

8. Aux termes de l'article 1758 A du code général des impôts : " I. - Le retard ou le défaut de souscription des déclarations qui doivent être déposées en vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu ainsi que les inexactitudes ou les omissions relevées dans ces déclarations, qui ont pour effet de minorer l'impôt dû par le contribuable ou de majorer une créance à son profit, donnent lieu au versement d'une majoration égale à 10 % des droits supplémentaires ou de la créance indue. (...) "

9. Il résulte des termes des propositions de rectification des 11 décembre 2014 et 24 avril 2015 que, pour assujettir M. et Mme B... à des pénalités pour manquement délibéré, l'administration s'est notamment fondée sur la circonstance que les prélèvements opérés sur le compte courant d'associé de M. B... n'avaient fait l'objet d'aucune déclaration. Un tel défaut de souscription, compte tenu du caractère imposable des sommes en cause, était de nature à justifier légalement l'application de la pénalité prévue par le I de l'article 1758 A du code général des impôts, auquel les propositions de rectification des 11 décembre 2014 et 24 avril 2015 se réfèrent d'ailleurs expressément et qui est exclusif de toute appréciation du caractère intentionnel ou non du manquement imputable au contribuable. Il s'ensuit que le ministre est fondé à demander, sur le fondement des dispositions du I de l'article 1758 A du code général des impôts, l'application d'une majoration de 10 % par substitution à la majoration de 40 % appliquée initialement, dès lors que cette substitution ne prive les contribuables d'aucune garantie.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs conclusions tendant à la décharge des pénalités auxquelles ils ont été assujettis. Il y a toutefois lieu, eu égard à ce qui a été exposé aux points 7 à 9 ci-dessus, de ramener la pénalité infligée aux intéressés à un montant égal à 10 % des droits éludés.

11. Enfin, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. et Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 24 septembre 2020 est annulé en tant qu'il statue sur les pénalités mises à la charge de M. et Mme B....

Article 2 : Les pénalités de 40 % mises à la charge de M. et Mme B... au titre des années 2011, 2012 et 2013 sont ramenées à un montant égal à 10 % des droits éludés.

Article 3 : Le jugement n° 1603554 du tribunal administratif de Strasbourg du 23 octobre 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : L'Etat versera à M. et Mme B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 446656
Date de la décision : 23/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 23 jui. 2022, n° 446656
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Nissen
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:446656.20220623
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