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21/06/2022 | FRANCE | N°448996

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 21 juin 2022, 448996


Vu la procédure suivante :

La société Air France a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 26 janvier 2018 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un jugement n° 1804929/3-3 du 5 février 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19PA01228 du 27 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Paris a réduit le montant de l'amende

prononcée contre la société Air France à 5 000 euros, réformé le jugement du trib...

Vu la procédure suivante :

La société Air France a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 26 janvier 2018 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un jugement n° 1804929/3-3 du 5 février 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19PA01228 du 27 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Paris a réduit le montant de l'amende prononcée contre la société Air France à 5 000 euros, réformé le jugement du tribunal administratif de Paris en ce qu'il avait de contraire à cet arrêt, et rejeté le surplus des conclusions présentées devant elle.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 janvier 2021 et 13 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de rejeter l'ensemble des conclusions présentées par la société Air France.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des transports ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sébastien Gauthier, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Air France ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues. " Aux termes de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige, devenu l'article L. 821-6 du même code : " Est punie d'une amende d'un montant maximum de 10 000 € l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un Etat avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen, un étranger non ressortissant d'un Etat de l'Union européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité. / Est punie de la même amende l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque, dans le cadre du transit, un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne et démuni du document de voyage ou du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable compte tenu de sa nationalité et de sa destination. " Aux termes de l'article L. 625-5 du même code, devenu l'article L. 821-8 : " les amendes prévues aux articles L. 625-1, L. 625-3 et L. 625-4 ne sont pas infligées : 1° Lorsque l'étranger a été admis sur le territoire français au titre d'une demande d'asile qui n'était pas manifestement infondée ; / 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste. "

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 26 janvier 2018, le ministre de l'intérieur a infligé à la société Air France une amende de 10 000 euros, sur le fondement des dispositions précédemment citées, pour avoir, le 25 juillet 2017, débarqué sur le territoire français une ressortissante chinoise, Mlle A... B..., en provenance de Pékin, dépourvue de document de voyage. Par un jugement du 5 février 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande d'annulation de cette sanction présentée par la société Air France. Le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 27 novembre 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a réduit à 5 000 euros le montant de l'amende.

3. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision infligeant une amende à une entreprise de transport aérien sur le fondement des dispositions législatives précitées, de statuer sur le bien-fondé de la décision attaquée et de réduire, le cas échéant, le montant de l'amende infligée, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

4. La constatation et la caractérisation de l'irrégularité qu'il est reproché au transporteur de ne pas avoir décelée relèvent, dès lors qu'elles sont exemptes de dénaturation, du pouvoir souverain des juges du fond. Si le caractère manifeste de ces irrégularités, dont l'absence de détection constitue un manquement du transporteur à ses obligations de contrôle de nature à justifier le prononcé d'une amende, est susceptible de faire l'objet d'un contrôle de qualification juridique de la part du juge de cassation, l'appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des manquements constatés et des circonstances de l'espèce relève, pour sa part, de l'appréciation des juges du fond et n'est susceptible d'être remise en cause par le juge de cassation que dans le cas où la solution retenue est hors de proportion.

5. Il ressort des pièces du dossier que, pour réduire le montant de l'amende, la cour administrative d'appel de Paris a souverainement considéré que si l'intéressée, qui participait à un voyage scolaire, avait effectivement débarqué sans document de voyage, il était vraisemblable, comme en attestait notamment la circonstance que les accompagnateurs du voyage étaient en possession d'une photocopie de son passeport, que l'intéressée avait égaré celui-ci postérieurement à l'embarquement. Ce faisant, et alors qu'une telle analyse était également corroborée par la délivrance, à l'intéressée, par les services de police à la frontière d'un visa à la frontière dans le but de lui permettre de se rendre à l'ambassade de la République populaire de Chine, qui lui a délivré un nouveau passeport en urgence afin qu'elle puisse poursuivre son voyage, la cour, qui a pris en considération des circonstances qui étaient susceptibles de justifier une réduction du montant de l'amende, n'a commis ni erreur de droit, ni erreur de qualification juridique des faits. Le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir qu'en réduisant dans les circonstances de l'espèce le montant de l'amende à 5 000 euros, la cour aurait retenu une solution hors de proportion avec le manquement constaté.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros à la société Air France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'intérieur est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à la société Air France une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et à la société Air France.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 21 jui. 2022, n° 448996
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Sébastien Gauthier
Rapporteur public ?: M. Clément Malverti
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO et GOULET

Origine de la décision
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Date de la décision : 21/06/2022
Date de l'import : 28/06/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 448996
Numéro NOR : CETATEXT000045952355 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2022-06-21;448996 ?
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