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31/05/2022 | FRANCE | N°457984

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 31 mai 2022, 457984


Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au juge des référés du Versailles d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 15 septembre 2021 par laquelle la directrice des ressources humaines du groupe hospitalier Nord Essonne l'a suspendue de ses fonctions. Par une ordonnance n° 2108368 du 13 octobre 2021, le juge des référés a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 octobre et 12 novembre 2021 au secrétariat du conte

ntieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annu...

Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au juge des référés du Versailles d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 15 septembre 2021 par laquelle la directrice des ressources humaines du groupe hospitalier Nord Essonne l'a suspendue de ses fonctions. Par une ordonnance n° 2108368 du 13 octobre 2021, le juge des référés a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 octobre et 12 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge du groupe hospitalier Nord Essonne la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 6-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général de la fonction publique ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ségolène Cavaliere, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Richard, avocat de Mme A... et à la SCP Foussard, Froger, avocat du groupe hospitalier Nord-Essonne.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Versailles que, par une décision du 15 septembre 2021, la directrice des ressources humaines du groupe hospitalier Nord Essonne a suspendu Mme A..., adjointe administrative en fonction au sein de cet établissement de santé, jusqu'à ce qu'elle satisfasse à l'obligation de vaccination contre la covid-19 prévue par l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Mme A... se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 13 octobre 2021 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande de suspension de l'exécution de cette décision, présentée sur le fondement des dispositions, citées ci-dessus, de l'article L. 521-1 du code de justice administrative. Par un mémoire distinct, présenté sur le fondement de l'article R. 771-16 du même code, elle demande l'annulation du refus opposé par le juge des référés à sa demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité.

3. Il résulte des termes de l'ordonnance attaquée que, pour rejeter la demande de Mme A... au motif que la condition d'urgence requise par les dispositions de l'article L.521-1 du code de justice administrative n'était pas remplie, le juge des référés s'est fondé sur ce qu'en refusant de satisfaire à l'obligation vaccinale, l'intéressée avait, par son comportement, provoqué l'interruption de son traitement et créé elle-même la situation d'urgence qu'elle invoquait. En statuant ainsi, alors que Mme A... ne pouvait éviter d'être suspendue de ses fonctions et donc de perdre ses ressources qu'en satisfaisant, de manière irréversible, à l'obligation vaccinale que son action en référé avait justement pour objet d'éviter, le juge des référés a commis une erreur de droit.

4. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, Mme A... est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque, y compris, par voie de conséquence, en tant que, par cette ordonnance, le juge des référés est réputé avoir refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant lui.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au titre de la procédure de référé.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

6. A l'appui de sa demande tendant à ce que soit ordonnée en référé la suspension de l'exécution de la décision contestée du 15 septembre 2021, Mme A... soutient que les dispositions des articles 12, 13 et du B du I et du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, qui sont applicables au litige, portent atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.

En ce qui concerne l'article 13 :

7. Les griefs tirés de ce que les dispositions de l'article 13 de la loi du 5 août 2021 porteraient une atteinte au principe d'égalité, au droit au travail, au droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence en cas d'incapacité de travailler et aux dispositions de l'article 53 de la Constitution, ne sont pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.

En ce qui concerne l'article 12 et du B du I et III de l'article 14 :

8. En premier lieu, le grief tiré de ce que les dispositions de l'article 12 et du B du I et du III de l'article 14 de cette même loi porteraient atteinte au droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

9. En deuxième lieu, si les dispositions contestées font peser sur les personnes exerçant une activité au sein des établissements de santé une obligation vaccinale qui n'est imposée ni à l'ensemble de la population ni à l'ensemble des agents de la fonction publique, la différence de traitement ainsi instituée est, compte tenu des missions des établissements de santé et de la vulnérabilité des personnes qui y sont admises, en rapport avec cette différence de situation et n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Mme A... n'est, par suite, pas fondée à soutenir qu'elles méconnaissent le principe d'égalité.

10. En troisième lieu, les dispositions contestées ne portent par elles-mêmes aucune atteinte au droit à l'emploi qui résulte des dispositions du 5ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 pour des personnes qui n'étaient pas encore employées dans un établissement public de santé à la date d'entrée en vigueur de la loi. S'agissant des personnes qui y étaient employées à cette date et qui refusent de se soumettre, en dehors des motifs prévus par la loi, à l'obligation vaccinale, elles prévoient non pas la rupture de leur contrat de travail ou la cessation de leurs fonctions, mais la suspension du contrat de travail ou des fonctions exercées jusqu'à ce que l'agent produise les justificatifs requis. Dans ces conditions, elles opèrent une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles qui découlent du 5ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et celles du droit à la protection de la santé.

11. Enfin, si la requérante soutient que les dispositions litigieuses sont contraires à l'article 53 de la Constitution en ce qu'elles méconnaîtraient, selon elle, certains accords internationaux, un tel moyen ne saurait être utilement invoqué au soutien d'une question prioritaire de constitutionnalité.

12. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la requérante.

Sur les autres moyens :

13. Pour demander la suspension de la décision contestée, Mme A... soutient également qu'elle est signée par une autorité incompétente, qu'aucune affectation alternative ne lui a été proposée, que les garanties prévues par les dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, désormais reprises à l'article L. 531-1 du code général de la fonction publique, n'ont pas été respectées et que l'obligation vaccinale contre la covid-19 porte atteinte à la liberté de disposer de son corps, au droit au respect de la vie privée et familiale, au droit à l'emploi et au principe d'égalité.

14. Aucun de ces moyens n'est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée. Dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'une situation d'urgence, la demande de Mme A... tendant à la suspension de cette décision doit être rejetée.

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du groupe hospitalier Nord Essonne qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... la somme que demande le groupe hospitalier Nord Essonne au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 13 octobre 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Versailles est annulée.

Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le juge des référés du tribunal administratif de Lyon est rejetée.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A....

Article 4 : Les conclusions présentées par les parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et au groupe hospitalier Nord Essonne.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la ministre de la santé et de la prévention.

Délibéré à l'issue de la séance du 18 mai 2022 où siégeaient : M. Denis Piveteau, président de chambre, présidant ; M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat et Mme Ségolène Cavaliere, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 31 mai 2022.

Le président :

Signé : M. Denis Piveteau

La rapporteure :

Signé : Mme Ségolène Cavaliere

La secrétaire :

Signé : Mme Anne-Lise Calvaire


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 31 mai. 2022, n° 457984
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Ségolène Cavaliere
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SCP RICHARD ; SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Formation : 5ème chambre
Date de la décision : 31/05/2022
Date de l'import : 19/07/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 457984
Numéro NOR : CETATEXT000045892021 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2022-05-31;457984 ?
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