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20/05/2022 | FRANCE | N°448794

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 20 mai 2022, 448794


Vu la procédure suivante :

La société civile immobilière (SCI) Les Greniers de Sophie a demandé au tribunal administratif de Pau de prononcer la décharge, d'une part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2010 à 2012 et des pénalités correspondantes et, d'autre part, des droits de taxe sur les véhicules de tourisme utilisés par les sociétés qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2012, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jug

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Vu la procédure suivante :

La société civile immobilière (SCI) Les Greniers de Sophie a demandé au tribunal administratif de Pau de prononcer la décharge, d'une part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2010 à 2012 et des pénalités correspondantes et, d'autre part, des droits de taxe sur les véhicules de tourisme utilisés par les sociétés qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2012, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement nos 1601528, 1601529 du 24 mai 2018, le tribunal administratif de Pau a rejeté ses demandes.

Par un arrêt nos 18BX02959, 18BX02960 du 17 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Bordeaux a partiellement déchargé la SCI Les Greniers de Sophie du montant des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mis à sa charge au titre des exercices clos de 2010 à 2012, réformé le jugement précité en ce qu'il avait de contraire et rejeté le surplus des conclusions de la société.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 janvier, 19 avril et 21 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SCI Les Greniers de Sophie demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il lui est défavorable ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire entièrement droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le décret n° 2009-707 du 16 juin 2009 ;

- l'arrêté du 21 mars 2006 portant réorganisation des postes comptables de la direction générale des impôts ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. A... B... de Lagarde, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de la SCI Les Greniers de Sophie ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société civile immobilière (SCI) Les Greniers de Sophie, qui a pour objet l'acquisition, la gestion et l'administration de biens immobiliers et qui a opté pour l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration l'a assujettie, selon la procédure de taxation d'office en l'absence de dépôt des déclarations requises, à des cotisations d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos de 2010 à 2012 et à des droits de taxe sur les véhicules de société au titre de la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2012. La société a demandé la décharge de ces impositions au tribunal administratif de Pau, qui a rejeté ses demandes par un jugement du 24 mai 2018. Par un arrêt du 17 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Bordeaux l'a partiellement déchargée du montant des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mis à sa charge au titre des exercices clos de 2010 à 2012 et rejeté le surplus de ses conclusions. La SCI se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il n'a pas fait entièrement droit à son appel.

Sur l'arrêt en tant qu'il porte sur la régularité de la procédure d'imposition :

En ce qui concerne la compétence du vérificateur :

2. D'une part, aux termes de l'article 350 terdecies de l'annexe III au code général des impôts : " I. Sous réserve des dispositions des articles 409 et 410 de l'annexe II au code général des impôts, seuls les fonctionnaires de la direction générale des impôts appartenant à des corps des catégories A et B peuvent fixer les bases d'imposition et liquider les impôts, taxes et redevances ainsi que proposer les rectifications. / (...) II. Les fonctionnaires mentionnés au premier alinéa du I peuvent exercer les attributions que ces dispositions leur confèrent à l'égard des personnes physiques ou morales ou groupements de personne de droit ou de fait qui ont déposé ou auraient dû déposer dans le ressort territorial du service déconcentré ou du service à compétence nationale dans lequel ils sont affectés une déclaration, un acte ou tout autre document ainsi qu'à l'égard des personnes ou groupements qui, en l'absence d'obligation déclarative, y ont été ou auraient dû y être imposés ou qui y ont leur résidence principale, leur siège ou leur principal établissement ". Aux termes du IV de l'article 38 de la même annexe: " Les déclarations et les documents qui y sont joints doivent être remis en double exemplaire au service des impôts du siège de la direction de l'entreprise ou, à défaut, du lieu du principal établissement. / (...)". En vertu du I de l'article 406 bis de la même annexe, la déclaration prévue à l'article 1010 du code général des impôts, en matière de taxe sur les véhicules de tourisme utilisés par les sociétés, est déposée " au service des impôts du lieu où doit être établie la déclaration de résultats de l'entreprise ".

3. Après avoir relevé, en premier lieu, que la gérante de la société requérante depuis 2008 ainsi que son principal associé étaient domiciliés dans les Pyrénées-Atlantiques, en deuxième lieu, que les immeubles qu'elle détient, les agences bancaires hébergeant ses comptes, ses établissements prêteurs ainsi que son cabinet comptable sont situés dans ce même département, et en troisième lieu, que la société y exerce l'ensemble de son activité commerciale et y signe tous ses contrats, la cour a pu, sans dénaturer les pièces du dossier ni commettre d'erreur de droit, en déduire que la société avait dans ce département, même si son siège social n'y était pas situé, son principal lieu d'établissement. Dès lors, en outre, qu'il n'était pas contesté que la brigade de vérification qui a opéré le contrôle était compétente pour l'ensemble du département des Pyrénées-Atlantiques, elle a pu en déduire, sans avoir à déterminer au sein de celui-ci la commune où était situé le principal lieu d'établissement de la société, que les agents de cette brigade étaient territorialement compétents pour procéder aux contrôles et notifier les impositions correspondantes.

En ce qui concerne la compétence du comptable public :

4. D'une part, aux termes de l'article 218 A du code général des impôts : " 1. L'impôt sur les sociétés est établi au lieu du principal établissement de la personne morale. / Toutefois, l'administration peut désigner comme lieu d'imposition : / soit celui où est assurée la direction effective de la société ; / soit celui de son siège social. / (...) ". Aux termes de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public compétent à tout redevable des sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité. / (...) / L'avis de mise en recouvrement est individuel. Il est signé et rendu exécutoire par l'autorité administrative désignée par décret. Les pouvoirs de l'autorité administrative susmentionnée sont également exercés par le comptable public compétent. / (...) ". Aux termes de l'article L. 257 A du même livre, dans sa rédaction applicable au litige : " Les avis de mises en recouvrement peuvent être signés et rendus exécutoires (...), sous l'autorité et la responsabilité du comptable public compétent, par les agents du service ayant reçu délégation ". Aux termes de l'article R. 256-8 du même livre, dans sa rédaction applicable au litige : " Le comptable mentionné aux premier, deuxième et troisième alinéas de l'article L. 256 est le comptable de la direction générale des finances publiques (...). / Le comptable public compétent pour établir l'avis de mise en recouvrement est soit celui du lieu de déclaration ou d'imposition du redevable, soit, dans le cas où ce lieu a été ou aurait dû être modifié, celui compétent à l'issue de ce changement, même si les sommes dues se rapportent à la période antérieure à ce changement. / (...) ".

5. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 16 juin 2009 relatif aux services déconcentrés de la direction générale des finances publiques : " Les services déconcentrés de la direction générale des finances publiques sont constitués des directions départementales des finances publiques, des directions régionales des finances publiques, des directions spécialisées des finances publiques et des directions locales des finances publiques. ". Aux termes de l'article 2 de ce décret : " Les directions départementales des finances publiques assurent la mise en œuvre, dans le ressort territorial du département, sans préjudice des compétences dévolues à d'autres services déconcentrés et services à compétence nationale de la direction générale des finances publiques, des missions dévolues à cette direction générale en ce qui concerne notamment : / 1° L'assiette et le contrôle des impôts, droits, cotisations et taxes de toute nature et ceux d'autres recettes publiques ; / 2° Le recouvrement des impôts, droits, cotisations et taxes de toute nature et celui d'autres recettes publiques (...) ". Aux termes de l'article 7 de ce décret : " Les directions mentionnées à l'article 1er comprennent des services et des postes comptables, notamment des services des impôts des particuliers et des pôles de recouvrement spécialisé, dont la liste, les attributions, l'organisation et, en tant que de besoin et pour ce qui concerne les missions liées au recouvrement de l'impôt des particuliers, à la publicité foncière et à la gestion financière et comptable des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, le ressort territorial sont fixés par arrêté du ministre chargé du budget ". En vertu de l'article 2 de l'arrêté du 21 mars 2006 portant réorganisation des postes comptables de la direction générale des impôts, ceux d'entre eux qui étaient jusqu'alors appelée " recettes des impôts " ont pris la dénomination de " services des impôts des entreprises ".

6. Il résulte des dispositions précitées que le chef du service comptable d'un service des impôts des entreprises (SIE), ainsi que ceux de ses agents à qui une délégation a été donnée, sont compétents, dans les limites du ressort territorial de ce service, pour signer les avis de mise en recouvrement prévus par l'article L. 256 du livre des procédures fiscales.

7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la gérante de la société requérante depuis 2008 est domiciliée à Lescar, commune située dans le ressort territorial du SIE de Pau, tandis que l'avis de mise en recouvrement du 27 mars 2014 qui a mis les impositions litigieuses à la charge de la société requérante a été signé par le chef du service comptable du SIE de Biarritz, dont le ressort territorial est distinct. Pour écarter le moyen tiré de l'incompétence territoriale de ce signataire, la cour, après avoir relevé que le précédent gérant, toujours actionnaire majoritaire de la société, résidait à Biarritz, s'est fondée sur l'unique motif tiré de ce que le changement de gérant n'avait pas ôté au comptable public, territorialement compétent auparavant, sa compétence pour établir l'avis de mise en recouvrement. Alors qu'un tel motif ne correspond à aucun des critères posés par les dispositions citées au point 4, la cour a, ce faisant, commis une erreur de droit.

8. Toutefois, aux termes de l'article L. 206 du livre des procédures fiscales : " En ce qui concerne l'impôt sur le revenu et les taxes assimilées et l'impôt sur les sociétés, les contestations relatives au lieu d'imposition ne peuvent, en aucun cas, entraîner l'annulation de l'imposition ". Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires, qu'elles font obstacle à ce que le contribuable obtienne la décharge de l'une des impositions qu'elle mentionne au seul motif que l'avis de mise en recouvrement qui l'a établie aurait été signé par une autorité territorialement incompétente.

9. Il y a lieu, ainsi que le soutient le ministre, de substituer, pour ce qui est des cotisations litigieuses en matière d'impôt sur les sociétés, ce motif de pur droit, au motif précité de l'arrêt attaqué dont il justifie le dispositif sur ce point. Par suite, sont, dans cette mesure, inopérants à l'encontre de ces cotisations les moyens tirés de ce que la cour aurait entaché son arrêt d'une contradiction de motifs, insuffisamment motivé son arrêt, dénaturé les pièces du dossier et commis une erreur de droit en jugeant que le comptable public du service des impôts des entreprises de Biarritz était territorialement compétent pour établir l'avis de mise en recouvrement en litige.

Sur l'arrêt en tant qu'il porte sur le bien-fondé des suppléments d'impôt sur les sociétés :

10. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juge du fond que, contrairement à ce que soutient le ministre en défense, la société requérante a produit pour la première fois en appel, dans son mémoire enregistré le 27 septembre 2020, un contrat de prêt conclu le 10 juillet 2003 avec la société Expanso, pour un montant de 1 270 000 euros. Par suite, en estimant que, s'agissant de ce prêt, la SCI s'était bornée à produire des tableaux d'amortissement et un récapitulatif bancaire de décomptes d'intérêts, la cour a dénaturé les pièces du dossier.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Les Greniers de Sophie n'est fondée à demander l'arrêt qu'elle attaque qu'en tant qu'il statue sur les droits de taxe sur les véhicules de tourisme utilisés par les sociétés, ainsi que, s'agissant des cotisations d'impôt sur les sociétés, sur les charges relatives à l'emprunt de 1 270 000 euros.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme 3 000 euros à verser à la SCI Les Greniers de Sophie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 17 novembre 2020 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé en tant qu'il statue sur les droits de taxe sur les véhicules de tourisme utilisés par les sociétés ainsi que, s'agissant des cotisations d'impôt sur les sociétés, sur les charges relatives à l'emprunt de 1 270 000 euros consenti par la société Expanso.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 3 : L'Etat versera à la SCI Les Greniers de Sophie la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société civile immobilière Les Greniers de Sophie et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 avril 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Frédéric Aladjidi, M. Bertrand Dacosta, présidents de chambre ; Mme Anne Egerszegi, M. Thomas Andrieu, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. François Weil, conseillers d'Etat et M. Cyril Martin de Lagarde, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 20 mai 2022.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Cyril Martin de Lagarde

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 448794
Date de la décision : 20/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 20 mai. 2022, n° 448794
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyril Martin de Lagarde
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SCP THOUIN-PALAT, BOUCARD

Origine de la décision
Date de l'import : 31/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:448794.20220520
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