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11/05/2022 | FRANCE | N°443029

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 11 mai 2022, 443029


Vu la procédure suivante :

La société BGMGA a demandé au tribunal administratif de Bastia de prononcer la décharge de l'obligation de payer procédant de deux mises en demeure en date du 16 avril 2019 en vue du recouvrement des cotisations et majorations de taxe foncière sur les propriétés bâties dues par la société Orizonte, qu'elle a absorbée, au titre des années 2013 à 2015, pour un montant de 57 373,35 euros, et 2016 à 2018, pour un montant de 69 545 euros.

Par un jugement n° 1901111 du 25 juin 2020, après avoir prononcé un non-lieu à statuer sur les concl

usions de la société BGMGA tendant à la communication des rôles contestés et au...

Vu la procédure suivante :

La société BGMGA a demandé au tribunal administratif de Bastia de prononcer la décharge de l'obligation de payer procédant de deux mises en demeure en date du 16 avril 2019 en vue du recouvrement des cotisations et majorations de taxe foncière sur les propriétés bâties dues par la société Orizonte, qu'elle a absorbée, au titre des années 2013 à 2015, pour un montant de 57 373,35 euros, et 2016 à 2018, pour un montant de 69 545 euros.

Par un jugement n° 1901111 du 25 juin 2020, après avoir prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de la société BGMGA tendant à la communication des rôles contestés et au bénéfice du sursis de paiement, le tribunal administratif de Bastia a rejeté le surplus des conclusions de la demande de la société.

Par une ordonnance n° 20MA02938 du 18 août 2020, enregistrée le 19 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la cour administrative de Marseille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 16 août 2020 au greffe de cette cour, présenté par la société BGMGA.

Par ce pourvoi et par un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 novembre et 20 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société BGMGA demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Nissen, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la société BGMGA ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société BGMGA exploite un établissement hôtelier situé à Cervione (Corse), acquis en 2016 par l'absorption de la société civile immobilière (SCI) Orizonte. Le 16 avril 2019, la société BGMGA a été destinataire de deux mises en demeure de payer les cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties mises à la charge de la SCI Orizonte au titre des années 2013 à 2018, ainsi que des majorations correspondantes. À la suite du rejet de sa réclamation du 2 mai 2019, la société BGMGA a saisi le tribunal administratif de Bastia d'une demande tendant, notamment, à la décharge de l'obligation de payer la somme de 57 373,35 euros correspondant, en droits et pénalités, aux cotisations de taxes foncières réclamées au titre des années 2013, 2014 et 2015, ainsi que de l'obligation de payer la somme de 69 545 euros correspondant, en droits et pénalités, aux cotisations de taxes foncières dues au titre des années 2016, 2017 et 2018. La société BGMGA se pourvoit en cassation contre le jugement du 25 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Bastia a dit n'y avoir plus lieu à statuer sur ses conclusions tendant à la communication de la copie des rôles contestés et au sursis de paiement et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Sur l'étendue du litige :

2. Il ressort des pièces du dossier que par une décision du 13 décembre 2021, le directeur départemental des finances publiques de la Haute-Corse a accordé à la société BGMGA un dégrèvement d'un montant de 62 351 euros correspondant aux cotisations litigieuses de taxe foncière sur les propriétés bâties dues au titre des années 2015, 2016 et 2017. Les conclusions du pourvoi sont, dans cette mesure, devenues sans objet. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur le surplus des conclusions du pourvoi :

En ce qui concerne l'application de la prescription prévue à l'article L. 173 du livre des procédures fiscales :

3. En premier lieu, selon l'article 1658 du code général des impôts, les impôts directs et les taxes assimilées sont recouvrés en vertu de rôles rendus exécutoires. Aux termes du premier alinéa de l'article 1659 du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " La date de mise en recouvrement des rôles est fixée par l'autorité compétente pour les homologuer en application de l'article 1658 en accord avec le directeur départemental des finances publiques. Cette date est indiquée sur le rôle ainsi que sur les avis d'imposition délivrés aux contribuables. " Aux termes du premier alinéa de l'article L. 173 du livre des procédures fiscales : " Pour les impôts directs perçus au profit des collectivités locales (...), le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de l'année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due. "

4. Il résulte de ces dispositions que l'imposition est régulièrement établie, au regard des règles de prescription d'assiette, dès lors qu'elle a été mise en recouvrement avant l'expiration du délai de répétition, la date de mise en recouvrement à prendre en compte, dans le cas d'un impôt établi par voie de rôle, étant fixée par la décision administrative homologuant ce rôle. En cas de contestation portant sur la détermination de cette date, il appartient à l'administration de fournir des extraits, qu'ils soient ou non certifiés conformes, des décisions portant homologation du rôle et fixant la date de mise en recouvrement.

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué, d'ailleurs non entachées de dénaturation, que, d'une part, la date du 16 décembre 2019 correspond à celle de la certification des fiches de rôles produites par l'administration devant le tribunal administratif mais, d'autre part, que les rôles de taxe foncière pour les années 2013 à 2018 qui ont été homologués fixaient au 31 août de chacune des années d'imposition la date de mise en recouvrement. En jugeant sans incidence sur le droit de reprise de l'administration le fait que la société n'aurait pas reçu les avis d'imposition relatifs à la taxe foncière en litige dès lors que la mise en recouvrement des cotisations correspondantes avait été fixée avant l'expiration du délai de prescription, le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit.

En ce qui concerne l'application de la prescription prévue à l'article L. 274 du livre des procédures fiscales :

6. En second lieu, aux termes de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales : " Les comptables publics des administrations fiscales qui n'ont fait aucune poursuite contre un redevable pendant quatre années consécutives à compter du jour de la mise en recouvrement du rôle ou de l'envoi de l'avis de mise en recouvrement sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable. " Aux termes de l'article L. 253 du livre des procédures fiscales, dans sa version applicable : " Un avis d'imposition est adressé sous pli fermé à tout contribuable inscrit au rôle des impôts directs (...) dans les conditions prévues aux articles 1658 à 1659 A du même code. L'avis d'imposition mentionne le total par nature d'impôt des sommes à acquitter, les conditions d'exigibilité, la date de mise en recouvrement et la date limite de paiement. (...) " Enfin, aux termes de l'article 1663 du code général des impôts : " 1. Les impôts directs, produits et taxes assimilés, visés par le présent code, sont exigibles trente jours après la date de la mise en recouvrement du rôle. (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'exigibilité des impôts directs est subordonnée à la condition que le contribuable ait été avisé, avant la date d'exigibilité, de la mise en recouvrement des impositions auxquelles il a été assujetti. En outre, la prescription en matière de recouvrement est interrompue notamment par le versement, par le tiers saisi, des sommes exigées par un avis à tiers détenteur.

7. En jugeant que la prescription encourue en matière de recouvrement a été interrompue par les deux versements effectués les 19 janvier et 5 novembre 2016 par la banque Société générale en exécution d'un avis à tiers détenteur du 15 octobre 2015, alors qu'il relevait sans dénaturation au point 4 de son jugement que les avis d'imposition des taxes foncières 2013 et 2014 avaient été adressées à l'adresse de Nice, seule déclarée par la société à ces dates, le tribunal n'a pas entaché son jugement d'erreur de droit.

En ce qui concerne l'adresse à laquelle a été notifié l'avis d'imposition à la taxe foncière au titre de l'année 2018 :

8. Aux termes de l'article L. 123-9 du code de commerce : " La personne assujettie à immatriculation ne peut, dans l'exercice de son activité, opposer ni aux tiers ni aux administrations publiques, qui peuvent toutefois s'en prévaloir, les faits et actes sujets à mention que si ces derniers ont été publiés au registre. / (...) Les dispositions des alinéas précédents sont applicables aux faits ou actes sujets à mention ou à dépôt même s'ils ont fait l'objet d'une autre publicité légale. Ne peuvent toutefois s'en prévaloir les tiers et administrations qui avaient personnellement connaissance de ces faits et actes. " Il résulte de ces dispositions que les faits ou actes qui doivent être mentionnés au registre du commerce et des sociétés ou déposés en annexe à ce registre sont opposables aux administrations qui en ont eu connaissance, alors même que les faits ou actes en cause n'auraient pas fait l'objet de la formalité correspondante.

9. Il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond et il n'est d'ailleurs pas contesté que le service des impôts des entreprises (SIE) de Bastia a été informé du transfert du siège social de la société Orizonte de Nice à Bastia le 6 juillet 2015, sans que cette information soit transmise au service des impôts des particuliers (SIP) chargé de l'établissement des rôles de taxe foncière. Pour juger que la société BGMGA ne pouvait utilement se prévaloir de la circonstance que les avis d'imposition afférents à la taxe foncière due de 2013 à 2018 avaient été envoyés à l'adresse du siège niçois de la SCI Orizonte, le tribunal a relevé qu'il n'était ni établi ni même soutenu que cette société avait communiqué la nouvelle adresse de son siège aux services fiscaux. En statuant ainsi, alors que l'administration fiscale devait être regardée comme ayant eu connaissance de ce changement d'adresse, et que cette modification lui était opposable même en l'absence, le cas échéant, de publication au registre du commerce et des sociétés, le tribunal a commis une erreur de droit. Il y a lieu, par suite, d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il statue sur la taxe foncière pour 2018 et de régler dans cette mesure l'affaire au fond, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

10. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la contestation formée le 14 mai 2019 devant l'administration fiscale par la société BGMGA portait exclusivement, au titre de l'année 2018, sur la majoration de 10 % qui lui était réclamée. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance est par suite fondé à soutenir qu'en application de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales, les conclusions de la demande portées directement devant le tribunal administratif de Bastia à l'encontre de l'obligation de payer les cotisations de taxe foncière dues pour l'année 2018 ne sont pas recevables.

11. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 9 que l'administration fiscale doit être réputée avoir eu connaissance de la nouvelle adresse de la société, à Bastia, dès juillet 2015 et que, par suite, c'est à une adresse erronée, à Nice, qu'elle a envoyé à la société l'avis d'imposition à la taxe foncière pour 2018. Il y a lieu, par suite, de prononcer la décharge de l'obligation de payer la majoration de 10 % de taxe foncière pour 2018.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi de la société BGMGA relatives à l'obligation de payer les cotisations de taxe foncière, en droits et pénalités, dues au titre des années 2015, 2016 et 2017.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 25 juin 2020 est annulé en tant qu'il rejette la contestation de la société BGMGA relative à la taxe foncière au titre de l'année 2018.

Article 3 : La société BGMGA est déchargée de l'obligation de payer la majoration de 10% de taxe foncière au titre de l'année 2018.

Article 4 : Le surplus des conclusions de demande de la société BGMGA devant le Conseil d'Etat et le tribunal administratif de Bastia est rejeté.

Article 5 : L'Etat versera à la société BGMGA une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société BGMGA et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré à l'issue de la séance du 21 avril 2022 où siégeaient : M. Thomas Andrieu, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Anne Egerszegi, conseillère d'Etat et Mme Cécile Nissen, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 11 mai 2022.

Le président :

Signé : M. Thomas Andrieu

La rapporteure :

Signé : Mme Cécile Nissen

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 443029
Date de la décision : 11/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 mai. 2022, n° 443029
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Nissen
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:443029.20220511
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