La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/04/2022 | FRANCE | N°450015

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 26 avril 2022, 450015


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 22 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... F..., agissant à titre personnel et en qualité de représentante légale de ses fils mineurs, M. A... D... et J... D..., et M. C... I..., agissant à titre personnel et en qualité de représentant légal de sa fille mineure, Mme H... I..., demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le a) du 1° et le 9° de l'article 2 du décret n° 2021-31 du 15 janvier 2021 modifiant les décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et

n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires p...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 22 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... F..., agissant à titre personnel et en qualité de représentante légale de ses fils mineurs, M. A... D... et J... D..., et M. C... I..., agissant à titre personnel et en qualité de représentant légal de sa fille mineure, Mme H... I..., demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le a) du 1° et le 9° de l'article 2 du décret n° 2021-31 du 15 janvier 2021 modifiant les décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention des Nations-Unies relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 et publiée par décret du 8 octobre 1990 ;

- le code de la santé publique, notamment son article L. 3131-15 ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de l'éducation ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ;

- la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;

- la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 ;

- le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;

- le décret n° 2020-1319 du 29 octobre 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Collin, Stoclet et Associés, avocat de Mme F... et de M. I... ;

Considérant ce qui suit :

1. La loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a créé un régime d'état d'urgence sanitaire aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique et déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020, prorogée par la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions jusqu'au 10 juillet 2020 inclus. L'évolution de la situation sanitaire a permis, en application de la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire, un assouplissement des mesures à compter du 10 juillet 2020. Une nouvelle progression de l'épidémie a toutefois conduit à l'adoption d'un décret du 14 octobre 2020 déclarant l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020 sur l'ensemble du territoire national sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, dont la prorogation a été autorisée par la loi du 14 novembre 2020, puis la loi du 15 février 2021, jusqu'au 1er juin 2021 inclus. La loi du 14 novembre 2020 a porté, outre la prorogation de l'état d'urgence sanitaire, modification de dispositions de l'article 1er de loi du 9 juillet 2020, applicable hors périodes d'état d'urgence sanitaire.

2. Aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population. ". L'article L. 3131-13 du même code précise que : " L'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (...) / La prorogation de l'état d'urgence sanitaire au-delà d'un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l'article L. 3131-19 ". Aux termes de l'article L. 3131-15 du même code, dans sa version issue de la loi du 9 juillet 2020 : " I.- Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (...) / 5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l'ouverture, y compris les conditions d'accès et de présence, d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ; (...) III. Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. ".

3. Sur le fondement de ces dispositions, le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, tel que modifié par le a) du 1° et le 9° de l'article 2 du décret n° 2021-31 du 15 janvier 2021, dispose au premier alinéa du I de son article 4 que : " I. - Tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence est interdit entre 18 heures et 6 heures du matin à l'exception des déplacements pour les motifs suivants, en évitant tout regroupement de personnes : (...) ". Par ailleurs, aux termes de son article 42, " I. Les établissements relevant des catégories mentionnées par le règlement pris en application de l'article R. 123-12 du code de la construction et de l'habitation figurant ci-après ne peuvent accueillir du public : / 1° Etablissements de type X : Etablissements sportifs couverts ; / 2° Etablissements de type PA : Etablissements de plein air, à l'exception de ceux au sein desquels est pratiquée la pêche en eau douce. / II. Par dérogation, les établissements mentionnés au 1° du I peuvent continuer à accueillir du public pour : / -l'activité des sportifs professionnels et de haut niveau ; / -les groupes scolaires et périscolaires, sauf pour leurs activités physiques et sportives, et les activités sportives participant à la formation universitaire ou professionnelle ; / -les activités physiques des personnes munies d'une prescription médicale ou présentant un handicap reconnu par la maison départementale des personnes handicapées ; / -les formations continues ou des entraînements nécessaires pour le maintien des compétences professionnelles ; / -les activités encadrées à destination exclusive des personnes mineures, à l'exception des activités physiques et sportives. / Les établissements sportifs de plein air peuvent accueillir du public pour ces mêmes activités, ainsi que pour : / -les activités physiques et sportives des groupes scolaires et périscolaires ; / -les activités physiques et sportives à destination exclusive des personnes mineures ; / -les activités physiques et sportives des personnes majeures, à l'exception des sports collectifs et des sports de combat. / III. Les hippodromes ne peuvent recevoir que les seules personnes nécessaires à l'organisation de courses de chevaux et en l'absence de tout public ".

4. Le Premier ministre a, par ces dispositions, réglementé les déplacements en dehors du domicile et l'accès aux établissements de type X et de type PA, interdisant notamment tout exercice d'activités physiques et sportives des mineurs dans les établissements sportifs couverts et toute pratique d'une telle activité, même en extérieur, entre 18 heures et 6 heures.

5. En premier lieu, dès lors que les dispositions du décret contesté ont été adoptées en période d'état d'urgence sanitaire, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, les requérants ne sauraient invoquer utilement la méconnaissance de l'article 1er de la loi du 9 juillet 2020.

6. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que les dispositions contestées ont été adoptées dans des circonstances exceptionnelles, caractérisées, alors que la vaccination était circonscrite aux populations les plus à risque, par une situation épidémiologique et hospitalière en forte dégradation sur le territoire métropolitain, telle qu'attestée par les données scientifiques disponibles relatives au nombre de cas quotidiennement confirmés, à l'évolution du taux d'incidence dans toutes les classes d'âge, au nombre de nouvelles hospitalisations et admissions en réanimation, conduisant à une tension persistante du système hospitalier dans l'ensemble des régions, à des déprogrammations d'opération dans les établissements et à des évacuations sanitaires de patients. Cette augmentation s'accompagnait de la découverte de nouveaux variants au niveau international, requérant une surveillance accrue eu égard à leur virulence. Par ailleurs, il ressort des avis du Haut conseil de la santé publique des 24 avril 2020 relatif à l'adaptation des mesures barrière et de distanciation sociale à mettre en œuvre pour maîtriser la diffusion du SARS-CoV-2, 23 juillet et 22 novembre 2020 relatifs à l'actualisation des connaissances scientifiques sur la transmission du virus SARS-CoV-2 par aérosols, ainsi que des recommandations de l'Organisation mondiale de la santé, que le virus peut se transmettre par gouttelettes respiratoires, par contacts et par voie aéroportée, que l'infectiosité du SARS-Co V2 peut se maintenir plusieurs heures dans des aérosols en milieu clos, que les personnes peuvent être contagieuses sans le savoir notamment pendant la phase pré-symptomatique et que le port du masque est déconseillé pour les pratiques sportives. Ainsi, le respect des gestes barrière n'apparaît pas adapté s'agissant des activités sportives se déroulant dans un espace clos. Enfin, la mesure contestée n'a ni pour objet ni pour effet d'interdire aux enfants toute pratique sportive et si des exceptions sont prévues en ce qui concerne notamment les sportifs de haut niveau et les activités sportives sur prescription médicale, le nombre de personnes concernées par ces exceptions est sans commune mesure avec celui des enfants scolarisés, concernés par la suspension de la mesure litigieuse, étant précisé que si les enfants de 6 à 11 ans sont moins susceptibles de développer des formes graves du virus, ils n'en sont néanmoins pas immunisés et restent contaminants. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les restrictions résultant des dispositions contestées, en conformité avec le III de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, ne présentent pas un caractère disproportionné aux risques sanitaires encourus et inapproprié aux circonstances de temps et de lieu.

7. Par suite, les moyens tirés de ce que le a) du 1° et le 9° de l'article 2 du décret contesté sont entachés d'erreur manifeste d'appréciation et d'erreur de droit, en méconnaissance de l'article 1er de la loi du 9 juillet 2020, en ce qu'ils réglementent les conditions de l'éducation physique et sportive en considération des circonstances de son exercice et en ce que les mesures qu'ils prévoient ne sont ni proportionnées, ni appropriées, doit être écarté.

8. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs que ceux mentionnés au point 6, les moyens tirés de la méconnaissance, d'une part, du droit à l'éducation garanti par les articles 28-1 et 29-1 de la convention des Nations-Unies relative aux droits de l'enfant, l'article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 111-1 du code de l'éducation, et, d'autre part, de l'intérêt supérieur de l'enfant constitutionnellement protégé par les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ainsi que par l'article 3 de la convention des Nations-Unies susmentionnée, doivent être écartés.

9. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret du 15 janvier 2021.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mme F... et de M. C... I... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B... F..., premier requérant dénommé, au Premier ministre et au ministre des solidarités et de la santé.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 mars 2022 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; M. Alexandre Lallet, conseiller d'Etat et Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 26 avril 2022.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

La rapporteure :

Signé : Mme Myriam Benlolo Carabot

La secrétaire : Mme E... G...


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 450015
Date de la décision : 26/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 avr. 2022, n° 450015
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Myriam Benlolo Carabot
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:450015.20220426
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award