La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/04/2022 | FRANCE | N°445861

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 26 avril 2022, 445861


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 445861, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 1er novembre 2020 et le 11 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... F... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 4 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, qui interdit tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence, en tant qu'il limite à une heure quotidienne et à un rayon maximal

d'un kilomètre autour du domicile la dérogation prévue pour, soit l'activité phy...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 445861, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 1er novembre 2020 et le 11 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... F... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 4 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, qui interdit tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence, en tant qu'il limite à une heure quotidienne et à un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile la dérogation prévue pour, soit l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d'autres personnes, soit la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit les besoins des animaux de compagnie ;

2°) à titre subsidiaire, si ces limitations étaient jugées inséparables du reste de l'article 4, l'annulation totale de celui-ci.

2° Sous le n° 445894, par une requête enregistrée le 1er novembre 2020 et un mémoire en réplique enregistré le 22 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le même article 4 en tant qu'il comprend les mêmes limitations ;

2°) d'annuler le même décret en tant qu'il impose, dans un rayon de 5 kilomètres autour du domicile, la présentation d'une attestation ;

3°) d'enjoindre au Premier ministre de modifier le décret dans le sens de ce qui précède.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;

- le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La requête de M. F... et la requête de M. B... sont dirigées contre les mêmes dispositions du 6° du I de l'article 4 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en tant qu'elles limitent les déplacements liés à l'activité physique individuelle des personnes, à la promenade ainsi qu'aux besoins des animaux de compagnie à une heure quotidienne dans un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile. M. B... demande en outre l'annulation du même décret en tant qu'il ne prévoit pas de dérogation, dans un rayon de cinq kilomètres, à l'obligation de se munir d'un justificatif du déplacement. Il y a lieu de joindre les deux requêtes pour statuer par une seule décision.

2. La situation épidémiologique au cours des mois de septembre et d'octobre 2020, caractérisée par une accélération du rythme de l'épidémie de covid-19, a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre 2020, sur le fondement de l'article L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020 sur l'ensemble du territoire national. Le 29 octobre 2020, le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. L'état d'urgence sanitaire a été prorogé jusqu'au 16 février 2021 inclus, puis jusqu'au 1er juin 2021 inclus, respectivement par la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire et la loi du 15 février 2021 prorogeant l'état d'urgence sanitaire.

3. Aux termes de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique : " I.- Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (...) / 2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ; / (...) ". Le I de l'article 4 du décret du 29 octobre 2020, dans sa rédaction applicable au litige, interdit les déplacements hors du lieu de résidence, sous réserve de certaines exceptions, dont, au 6°, les " déplacements brefs, dans la limite d'une heure quotidienne et dans un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile, liés soit à l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d'autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit aux besoins des animaux de compagnie ".

4. Il ressort des pièces du dossier qu'en septembre et octobre 2020, la circulation du virus sur le territoire métropolitain s'était fortement accélérée. Dans la semaine du 19 au 25 octobre, le nombre de cas atteignait 390 en 7 jours pour 100 000 habitants, le nombre d'hospitalisations s'élevait à 12 000 au lieu de 8 000 la semaine précédente, le nombre des admissions en réanimation à 1 800 contre 1 300 la semaine précédente et le nombre des décès à 1 300 au lieu de 870. Les avis scientifiques alors disponibles mettaient en évidence le risque d'une évolution quasi exponentielle du nombre de nouveaux cas et d'une saturation des capacités hospitalières. Ni les mesures dites de distanciation sociale, le port de masques ou l'emploi de gel hydroalcoolique, ni les restrictions édictées dans certaines zones puis renforcées et étendues, n'avaient empêché la vague épidémique de se généraliser sur tout le territoire. Le Gouvernement était ainsi fondé, au vu notamment de l'expérience du printemps 2020, à estimer qu'une stricte limitation des déplacements de personnes hors de leur domicile était seule susceptible d'enrayer la progression du virus.

5. Si le bénéfice des activités physiques pour la santé n'est pas contesté, et si les risques de contamination sont plus faibles en plein air, les circonstances justifiaient, afin de réduire au maximum les occasions d'interactions entre les personnes, de limiter aux déplacements indispensables les cas de dérogations. Les limites de durée et de distance répondaient aussi aux besoins d'un contrôle effectif, même s'il est vrai qu'elles étaient particulièrement contraignantes pour la pratique sportive. La simplicité et la lisibilité, nécessaires à leur bonne connaissance et à leur correcte application, faisaient obstacle à ce qu'elles soient modulées en fonction de la configuration des lieux ou de l'activité pratiquée. La circonstance qu'un mois plus tard, la situation s'étant améliorée, elles ont été portées à trois heures et vingt kilomètres, et qu'au printemps suivant, en présence d'une nouvelle vague épidémique, le Gouvernement a fait le choix d'un rayon de dix kilomètres, ne suffit pas à démontrer que les limites retenues en octobre 2020 étaient trop étroites. Par suite, et eu égard à la situation, à ses perspectives et à l'objectif de protection de la santé publique, ainsi qu'au caractère circonscrit dans le temps des mesures en cause, les dispositions contestées n'ont pas apporté, à la date à laquelle elles ont été édictées, une restriction disproportionnée à la liberté d'aller et venir, ni, en tout état de cause, au droit à la liberté garanti par l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation. Doivent également être écartés, pour les mêmes motifs, et en tout état de cause, les moyens tirés de ce que ces dispositions auraient porté atteinte au principe d'égalité dans l'accès à la nature et auraient eu pour effet d'instituer une discrimination au détriment des retraités.

6. Le II de l'article 4 du décret en litige prévoit, dans sa rédaction alors en vigueur, que les personnes souhaitant bénéficier de l'une des exceptions prévues au I " doivent se munir, lors de leurs déplacements hors de leur domicile, d'un document leur permettant de justifier que le déplacement considéré entre dans le champ de l'une de ces exceptions ". Contrairement à ce qui est soutenu, l'avis du 26 octobre 2020 du comité de scientifiques mentionné à l'article L. 3131-19 du code de la santé publique, qui avait conseillé un confinement dit " aménagé " en ce sens principalement que les écoles ne seraient pas fermées, n'a, en tout état de cause, pas préconisé ainsi que les déplacements restent libres de toute justification dans un rayon de cinq kilomètres. La présentation d'un justificatif était nécessaire à l'effectivité du contrôle. M. B... n'est donc pas fondé à soutenir que l'obligation édictée par le II aurait porté une atteinte excessive à la liberté d'aller et venir.

7. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes doivent être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes de M. F... et de M. B... sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... F..., à M. E... B... et au ministre des solidarités et de la santé.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 mars 2022 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; M. Alexandre Lallet, conseiller d'Etat et Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 26 avril 2022.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

La rapporteure :

Signé : Mme Myriam Benlolo Carabot

La secrétaire :

Signé : Mme C... D...


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 26 avr. 2022, n° 445861
Inédit au recueil Lebon
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Myriam Benlolo Carabot
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo

Origine de la décision
Formation : 10ème chambre
Date de la décision : 26/04/2022
Date de l'import : 30/04/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 445861
Numéro NOR : CETATEXT000045681042 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2022-04-26;445861 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award