La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/04/2022 | FRANCE | N°454748

France | France, Conseil d'État, 8ème chambre, 22 avril 2022, 454748


Vu la procédure suivante :

La société en nom collectif (SNC) Hyper 19 a demandé au tribunal administratif de Limoges de prononcer la décharge des cotisations de taxe d'enlèvement sur les ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014 dans les rôles de la commune de Malemort-sur-Corrèze (Corrèze). Par un jugement nos 1501365, 1601004 du 23 juin 2017, ce tribunal a rejeté ses demandes.

Par une décision n° 413574 du 12 octobre 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé ce jugement et renvoyé les affaires au tribu

nal administratif de Limoges.

Par un jugement n° 1801623 du 20 mai 2021, la m...

Vu la procédure suivante :

La société en nom collectif (SNC) Hyper 19 a demandé au tribunal administratif de Limoges de prononcer la décharge des cotisations de taxe d'enlèvement sur les ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014 dans les rôles de la commune de Malemort-sur-Corrèze (Corrèze). Par un jugement nos 1501365, 1601004 du 23 juin 2017, ce tribunal a rejeté ses demandes.

Par une décision n° 413574 du 12 octobre 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé ce jugement et renvoyé les affaires au tribunal administratif de Limoges.

Par un jugement n° 1801623 du 20 mai 2021, la magistrate désignée par le président de ce tribunal a rejeté les demandes de la société Hyper 19.

Par un pourvoi, enregistré le 19 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Hyper 19 demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses demandes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de la société Hyper 19 ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, par décision du 12 octobre 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé le jugement du 23 juin 2017 du tribunal administratif de Limoges rejetant les demandes de la société Hyper 19 tendant à la décharge des cotisations de taxe d'enlèvement des ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014 dans les rôles de la commune Malemort-sur-Corrèze (Corrèze) et a renvoyé les affaires à ce tribunal. La société Hyper 19 se pourvoit en cassation contre le jugement du 20 mai 2021 par lequel le tribunal administratif de Limoges a, de nouveau, rejeté ses demandes.

2. D'une part, aux termes des dispositions du I de l'article 1520 du code général des impôts, applicable aux établissements publics de coopération intercommunale, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " Les communes qui assurent au moins la collecte des déchets des ménages peuvent instituer une taxe destinée à pourvoir aux dépenses du service dans la mesure où celles-ci ne sont pas couvertes par des recettes ordinaires n'ayant pas le caractère fiscal (...) ". La taxe d'enlèvement des ordures ménagères n'a pas le caractère d'un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l'ensemble des dépenses budgétaires, mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées par la commune pour assurer l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères et non couvertes par des recettes non fiscales. Ces dépenses sont constituées de la somme de toutes les dépenses de fonctionnement réelles exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des dotations aux amortissements des immobilisations qui lui sont affectées. Il en résulte que le produit de cette taxe et, par voie de conséquence, son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant de telles dépenses, tel qu'il peut être estimé à la date du vote de la délibération fixant ce taux.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 2333-78 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) A compter du 1er janvier 1993, les communes, les établissements publics de coopération intercommunale ainsi que les syndicats mixtes qui n'ont pas institué la redevance prévue à l'article L. 2333-76 créent une redevance spéciale afin d'assurer l'élimination des déchets visés à l'article L. 2224-14 (...) Cette redevance est calculée en fonction de l'importance du service rendu et notamment de la quantité des déchets éliminés. Elle peut toutefois être fixée de manière forfaitaire pour l'élimination de petites quantités de déchets. (...) ". Les déchets mentionnés à l'article L. 2224-14 du même code sont les déchets non ménagers que ces collectivités peuvent, eu égard à leurs caractéristiques et aux quantités produites, collecter et traiter sans sujétions techniques particulières. Il résulte de ces dispositions, d'une part, que l'instauration de la redevance spéciale est obligatoire en l'absence de redevance d'enlèvement des ordures ménagères, d'autre part, que, compte tenu de ce qui a été dit au point 2, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères n'a pas pour objet de financer l'élimination des déchets non ménagers, alors même que la redevance spéciale n'aurait pas été instituée.

4. Il résulte de ce qui précède qu'il appartient au juge de l'impôt, pour apprécier la légalité d'une délibération fixant le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, que la collectivité ait ou non institué la redevance spéciale prévue par l'article L. 2333-78 du code général des collectivités territoriales et quel qu'en soit le produit, de rechercher si le produit de la taxe, tel qu'estimé à la date de l'adoption de la délibération, n'est pas manifestement disproportionné par rapport au coût de collecte et de traitement des seuls déchets ménagers, tel qu'il pouvait être estimé à cette même date, non couvert par les recettes non fiscales affectées à ces opérations, c'est-à-dire n'incluant pas le produit de la redevance spéciale lorsque celle-ci a été instituée.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le conseil communautaire de la communauté d'agglomération du bassin de Brive a fixé les taux de taxe d'enlèvement des ordures ménagères applicables dans l'ensemble des communes membres, dont celle de Malemort-sur-Corrèze, par des délibérations du 11 avril 2013 pour l'année 2013 et du 28 avril 2014 pour l'année 2014, à partir des éléments prévisionnels de dépenses arrêtés au cours de ses séances respectives des 8 avril 2013 et 18 mars 2014. Pour apprécier la légalité de ces délibérations et des taux qu'elles fixaient, le tribunal administratif s'est fondé sur une comparaison entre, d'une part, le montant total des dépenses de fonctionnement prévues au budget primitif, dont il a forfaitairement déduit, en l'absence d'élément plus précis, 20 % au titre des dépenses relatives à la prise en charge des déchets non ménagers et, d'autre part, le produit attendu de la taxe compte tenu des taux fixés.

6. En statuant ainsi alors, d'une part, qu'il ressortait des pièces du dossier que les dépenses de collecte et de traitement des déchets ménagers ainsi retenues incluaient des sommes correspondant à un virement à la section d'investissement destiné à financer cette section, qui ne pouvaient être prises en compte, et, d'autre part, qu'il en ressortait également que les opérations de collecte et de traitement des déchets ménagers étaient en partie financées par des recettes non fiscales, autres que la redevance spéciale, qui auraient dû être déduites des charges à couvrir par le produit de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

7. L'affaire faisant l'objet d'un second pourvoi en cassation, il y a lieu de la régler au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. S'agissant de l'année 2013, il résulte de l'instruction que le montant des dépenses de collecte et de traitement des déchets figurant au budget primitif du syndicat intercommunal de ramassage et de traitement des ordures ménagères de la région de Brive s'élève à 15 984 481 euros. Il convient de soustraire de ce montant la somme de 587 706 euros correspondant à un virement à la section d'investissement ainsi que le coût de traitement des déchets non ménagers. En l'absence de tout élément contraire apporté par l'administration, il y a lieu de retenir à ce titre une fraction de 20 % du total des dépenses de fonctionnement, ainsi que le soutient la société requérante sur le fondement d'un rapport de la Cour des comptes publié en 2011, soit 3 079 355 euros. Enfin, le montant prévisionnel des recettes non fiscales affectées au service de collecte et de traitement des déchets s'élève pour l'année 2013, hors redevance spéciale, à 2 911 124 euros. Il s'ensuit que les recettes prévisionnelles de taxe d'enlèvement des ordures ménagères pour l'année 2013, qui s'élèvent à 12 167 884 euros, excèdent de 29,4 % la fraction non couverte des dépenses prévisionnelles de collecte et de traitement des déchets ménagers, qui s'élève à 9 406 296 euros. La société requérante est par suite fondée à soutenir que le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères a été fixé à un niveau manifestement disproportionné pour l'année 2013.

9. S'agissant de l'année 2014, il résulte de l'instruction que le montant des dépenses de collecte et de traitement des déchets figurant au budget primitif est de 17 511 465 euros. Il convient de soustraire de ce montant la somme de 40 170 euros correspondant à un virement à la section d'investissement ainsi que le coût de traitement des déchets non ménagers, qui peut, pour les motifs exposés ci-dessus, être évalué à 20 % du total des dépenses de fonctionnement, soit 3 494 259 euros. Enfin, le montant prévisionnel des recettes non fiscales affectées au service de collecte et de traitement des déchets s'élève pour l'année 2014, hors redevance spéciale, à 2 865 942 euros. Il s'ensuit que les recettes prévisionnelles de taxe d'enlèvement des ordures ménagères pour l'année 2014, qui s'élèvent à 13 659 164 euros, excèdent de 22,9 % la fraction non couverte des dépenses prévisionnelles de collecte et de traitement des déchets ménagers, qui s'élève à 11 111 094 euros. La société requérante est par suite fondée à soutenir que le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères a été fixé à un niveau manifestement disproportionné pour l'année 2014.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Hyper 19 est fondée à soutenir que les délibérations du conseil communautaire de la communauté d'agglomération du bassin de Brive des 11 avril 2013 et 28 avril 2014 sont illégales en tant qu'elles fixent le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères pour les années 2013 et 2014. Elle est par suite fondée à se prévaloir, par la voie de l'exception, de cette illégalité pour demander la décharge des impositions en litige.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Hyper 19 au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 20 mai 2021 du tribunal administratif de Limoges est annulé.

Article 2 : La société Hyper 19 est déchargée des cotisations de taxe d'enlèvement sur les ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014.

Article 3 : L'Etat versera à la société Hyper 19 la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société en nom collectif Hyper 19 et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 mars 2022 où siégeaient : M. Pierre Collin, président de chambre, présidant ; M. Mathieu Herondart, conseiller d'Etat et M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 22 avril 2022.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Alexandre Lapierre

La secrétaire :

Signé : Mme B... A...


Synthèse
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 454748
Date de la décision : 22/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 22 avr. 2022, n° 454748
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Alexandre Lapierre
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE

Origine de la décision
Date de l'import : 26/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:454748.20220422
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award