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21/04/2022 | FRANCE | N°448141

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 21 avril 2022, 448141


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 448141, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 décembre 2020 et 4 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association One Voice demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 23 octobre 2020 de la ministre de la transition écologique et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation fixant le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée chaque année ;

2°) de mettre à la charge de l'Et

at la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administ...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 448141, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 décembre 2020 et 4 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association One Voice demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 23 octobre 2020 de la ministre de la transition écologique et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation fixant le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée chaque année ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 448203, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 décembre 2020 et 22 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 23 octobre 2020 de la ministre de la transition écologique et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation fixant le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée chaque année ;

2°) à titre subsidiaire, de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle relative à la conformité des dispositions de l'arrêté attaqué avec l'article 16 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le n° 448214, par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 29 décembre 2020 et 29 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association FERUS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 23 octobre 2020 de la ministre de la transition écologique et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation fixant le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée chaque année ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution et son Préambule ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;

- le code de l'environnement ;

- le décret n° 2018-786 du 12 septembre 2018 ;

- l'arrêt C-674/17 du 10 octobre 2019 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Airelle Niepce, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de l'association FERUS ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes nos 448141, 448203 et 448214 formées respectivement par l'association One Voice, l'Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) et l'association FERUS tendent à l'annulation pour excès de pouvoir du même arrêté du 23 octobre 2020 fixant le nombre maximum de spécimens de loup (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée chaque année. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué :

2. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement que la personne publique concernée doit mettre à la disposition du public des éléments suffisants pour que la consultation du public organisée, en vertu de ces dispositions, sur un projet de décision ayant une incidence sur l'environnement, puisse avoir lieu utilement. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué a fait l'objet d'une consultation du public sur le site internet dédié du ministère chargé de l'environnement entre le 17 août et le 13 septembre 2020, accompagné d'une note de présentation commune au projet d'arrêté fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup, exposant de façon précise et détaillée le cadre juridique applicable, l'objet et le bilan tiré de l'expérimentation menée en 2019 et 2020 en vue d'une évolution de ce cadre juridique, ainsi que les modifications envisagées. Contrairement à ce qui est soutenu, ces éléments étaient de nature à permettre au public de participer utilement à la consultation ainsi organisée. La circonstance qu'il n'aurait pas été tenu compte du sens de la majorité des observations formulées à l'occasion de cette consultation n'est, en tant que telle, pas de nature à entacher l'arrêté d'illégalité. De même, le défaut de publication de la synthèse des observations du public ainsi que des motifs de l'arrêté attaqué antérieurement ou concomitamment à sa publication est, par lui-même, sans incidence sur la légalité de celui-ci.

3. En second lieu, aux termes de l'article R. 134-28 du code de l'environnement, les membres du Conseil national de la protection de la nature " reçoivent, quinze jours au moins avant la date de la réunion, une convocation comportant l'ordre du jour et, le cas échéant, les documents nécessaires à l'examen des affaires qui y sont inscrites ". Il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qui est soutenu, les membres du Conseil national de la protection de la nature ont été destinataires, préalablement à la réunion de celui-ci, de tous les documents nécessaires à l'examen du projet d'arrêté attaqué. Par ailleurs, s'ils n'ont été convoqués que le 25 juin 2020, pour une réunion fixée au 2 juillet 2020, soit moins de quinze jours avant cette date, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une telle irrégularité aurait exercé une influence sur l'avis rendu le 12 juillet 2020 par le Conseil, ni qu'elle aurait privé les personnes intéressées d'une garantie. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait été adopté au terme d'une procédure irrégulière, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 134-28 du code de l'environnement doit être écarté.

Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué :

4. Aux termes de l'article 12 de la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive " Habitats " : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant : a) toute forme de capture ou de mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ; b) la perturbation intentionnelle de ces espèces, notamment durant la période de reproduction et de dépendance (...) ". Le loup est au nombre des espèces figurant au point a) de l'annexe IV de la directive. L'article 16 de la même directive énonce toutefois que : " 1. A condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les Etats membres peuvent déroger aux dispositions des articles 12, 13, 14 et de l'article 15 points a) et b) : (...) b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ".

5. Aux termes du I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition de la directive " Habitats " : " Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation (...) d'espèces animales non domestiques (...) et de leurs habitats, sont interdits : 1° (...) la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces (...) ". Aux termes du I de l'article L. 411-2 du même code, pris pour la transposition de l'article 16 de la même directive : " Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : 1° La liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques (...) ainsi protégés ; 2° La durée et les modalités de mise en œuvre des interdictions prises en application du I de l'article L. 411-1 ; 3° La partie du territoire sur laquelle elles s'appliquent (...) ; 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage (...) et à d'autres formes de propriété ".

6. Pour l'application de ces dernières dispositions, l'article R. 411-1 du code de l'environnement prévoit que la liste des espèces animales non domestiques faisant l'objet des interdictions définies à l'article L. 411-1 est établie par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et du ministre chargé de l'agriculture. L'article R. 411-6 du même code précise que : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 sont accordées par le préfet, sauf dans les cas prévus aux articles R. 411-7 et R. 411-8. / (...) ". Le 2° de son article R. 411-13 prévoit que les ministres chargés de la protection de la nature et de l'agriculture fixent par arrêté conjoint, pris après avis du Conseil national de la protection de la nature, " ... si nécessaire, pour certaines espèces dont l'aire de répartition excède le territoire d'un département, les conditions et limites dans lesquelles les dérogations sont accordées afin de garantir le respect des dispositions du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ".

7. Sur le fondement de ces dispositions, l'article 2 de l'arrêté du 23 octobre 2020 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup prévoit que : " I. - Le nombre maximum de spécimens de loups (mâles ou femelles, jeunes ou adultes) dont la destruction est autorisée, en application de l'ensemble des dérogations qui pourront être accordées par les préfets, est fixé chaque année selon des modalités prévues par arrêté ministériel. / II. - Les dispositions du présent arrêté sont mises en œuvre afin : / - d'éviter que le plafond de destruction mentionné au I soit atteint trop précocement en cours d'année ; / - de concentrer les moyens d'intervention sur les élevages ou territoires les plus touchés par la prédation, en particulier lorsque le plafond de destruction mentionné au I est proche d'être atteint. / III. - Le plafond de destruction mentionné au I sera diminué du nombre des animaux ayant fait l'objet d'actes de destruction volontaire constatés par les agents mentionnés à l'article L. 415-1 du code de l'environnement durant toute la période de validité de l'arrêté visé au premier alinéa du présent article ".

8. Dans ce cadre, l'article 1er de l'arrêté attaqué dispose que : " I. - Le nombre maximum de spécimens de loups (mâles ou femelles, jeunes ou adultes) dont la destruction est autorisée, en application de l'ensemble des dérogations qui pourront être accordées par les préfets, est fixé à 19 % de l'effectif moyen de loups estimé annuellement. / II. - Lorsqu'est atteint, avant la fin de l'année civile, le seuil de 17 % sur les 19 % prévu au I, seuls peuvent être mis en œuvre : / - les tirs de défense, simple et renforcée ; / - les tirs de prélèvement dans les zones définies à l'article 31 de l'arrêté du 23 octobre 2020 susvisé. / III. - En application de l'article 2 du décret du 12 septembre 2018 susvisé, lorsqu'est atteint, avant la fin de l'année civile, le seuil de 19 % prévu au I, le préfet coordonnateur du plan national d'actions sur le loup peut décider, par arrêté, que la mise en œuvre de tirs de défense simple pouvant conduire à l'abattage de spécimens de loups peut se poursuivre dans la limite de 2 % de l'effectif moyen de loups estimé annuellement ".

9. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier et en particulier d'une note technique conjointe de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage et du Muséum national d'histoire naturelle du 5 février 2019 que la population de loups en France a, parmi les différents modèles envisagés par l'expertise collective publiée par ces mêmes organes en mars 2017, suivi au cours des dernières années un " modèle à croissance exponentielle " caractérisé par un taux de croissance annuel moyen de 13 % malgré les différents facteurs de mortalité. L'effectif moyen de loups estimé est ainsi passé de 206 à 358 spécimens au terme de la saison 2015-2016, à 477 à 576 spécimens au début de l'année 2019. Notamment eu égard à ces éléments, la note technique précédemment citée a estimé que, par rapport au plafond de destructions de 10 % de l'effectif moyen estimé de loups fixé par l'arrêté du 19 février 2018 fixant le nombre maximum de spécimens de loups dont la destruction pourra être autorisée chaque année, la marge de manœuvre maximale pour réévaluer le nombre de destructions était de l'ordre de 13 % de l'effectif moyen de loups estimé annuellement, soit un plafond cumulé de prélèvement de 23 % pour garantir au moins une stabilité des effectifs de l'espèce. Dans ce contexte, deux arrêtés du 26 juillet 2019 et du 30 décembre 2019 portant expérimentation de diverses dispositions en matière de dérogations aux interdictions de destruction pouvant être accordées par les préfets concernant le loup ont porté, à compter de fin juillet 2019 ainsi que pour toute l'année 2020, à 17 % voire 19 % de l'effectif moyen de loups estimé annuellement le nombre maximum de spécimens dont la destruction pouvait être autorisée. Sur le fondement de ces dispositions, le préfet coordonnateur du plan national d'actions sur le loup a, par un arrêté du 12 septembre 2019, autorisé la poursuite de certains tirs de destruction dans la limite de 19 % de l'effectif moyen de loups estimé pour l'année 2019, soit un maximum 100 spécimens de loups, qui ont donné lieu à 99 destructions, dont 5 braconnages. En 2020, sur le fondement du nouveau plafond de destruction fixé à 19 % de l'effectif moyen de loups estimé prévu par l'arrêté attaqué, la destruction d'un nombre maximum de 110 spécimens de loups a été autorisée donnant lieu à 105 destructions, dont 8 braconnages.

10. Or, il ressort du rapport d'évaluation de l'expérimentation menée, établi en mai 2020, ainsi que des derniers bilans publiés par l'Office français de la biodiversité en juillet et décembre 2020 ainsi qu'en juillet 2021, que malgré l'importante augmentation du nombre de spécimens détruits, la population lupine était estimée à environ 580 spécimens à la fin de l'hiver 2019-2020, avec un intervalle de prédiction compris entre 528 et 633 spécimens, caractérisant un taux de croissance annuelle des effectifs de 9 % à comparer à 22 % l'année précédente. Ces bilans mettent également en évidence une poursuite de l'expansion spatiale du loup avec plus de 100 zones de présence permanente (ZPP) dont 81 constituées en meute à la fin de l'hiver 2019-2020. Ainsi, nonobstant une diminution de son rythme de croissance, la population de loups a continué à augmenter de façon sensible et a poursuivi son expansion géographique malgré un plafond de destruction fixé à 19 % en 2019 et en 2020.

11. La portée comme la légalité des plafonds de destruction autorisés par l'article 1er de l'arrêté attaqué doivent au demeurant être appréciées au regard de l'ensemble du dispositif réglementaire mis en place, et en particulier de l'arrêté du 23 octobre 2020 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup. A cet égard, pour chaque dérogation sollicitée, il appartient au préfet d'apprécier, en fonction des circonstances locales, si celle-ci peut être autorisée au regard des conditions posées à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, en vérifiant qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et que les mesures envisagées, qui doivent être proportionnées à l'objectif de protection des élevages, ne nuisent pas au maintien de la population des loups, au sein de son aire de répartition naturelle, dans un état de conservation favorable. En outre, à compter du 1er septembre et pour une période pouvant aller jusqu'au 31 décembre, le préfet coordonnateur du plan national d'actions sur le loup peut, en vertu des dispositions de l'article 1er du décret du 12 septembre 2018 susvisé, suspendre, sur les territoires qu'il détermine, les décisions des préfets de département relatives à la mise en œuvre des tirs de prélèvement et des tirs de défense renforcée.

12. Par suite, en l'état des données concernant la population de loups en France et des connaissances scientifiques et compte tenu du cadre réglementaire sur le fondement duquel les dérogations peuvent en pratique être accordées, en fixant à un plafond de 21 % de l'effectif moyen de loups estimé annuellement le nombre de spécimens de loups dont la destruction pourra être autorisée en application de l'ensemble des dérogations qui pourront être accordées par les préfets, l'arrêté attaqué ne méconnaît ni les objectifs de la directive du 21 mai 1992 précitée, ni les dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement imposant que de telles dérogations ne nuisent pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

13. En deuxième lieu, la notion de " fronts de colonisation " du loup à laquelle se réfère l'article 1er de l'arrêté attaqué n'est pas définie par cet arrêté mais à l'article 30 de l'arrêté du 23 octobre 2020 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup par référence aux dispositions de l'arrêté du 28 novembre 2019 relatif à l'opération de protection de l'environnement dans les espaces ruraux portant sur la protection des troupeaux contre la prédation. Par ailleurs, les modalités selon lesquelles des tirs de destruction peuvent être mis en œuvre dans certaines zones de ces " fronts de colonisation " sont précisées à l'article 31 de cet arrêté du 23 octobre 2020. Par suite, le moyen tiré de ce que ces modalités méconnaîtraient les dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ne peut être utilement invoqué.

14. En troisième lieu, aux termes de l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 2. La politique de l'Union dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l'Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur ". En vertu de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt C-674/17 du 10 octobre 2019, il découle du principe de précaution consacré par les stipulations précitées que si l'examen des meilleures données scientifiques disponibles laisse subsister une incertitude sur le point de savoir si une dérogation susceptible d'intervenir sur le fondement de l'article 16 de la directive du 21 mai 1992 précitée nuira ou non au maintien ou au rétablissement des populations d'une espèce menacée d'extinction dans un état de conservation favorable, l'État membre doit s'abstenir de l'adopter ou de la mettre en œuvre.

15. Si l'association One Voice soutient que les plafonds prévus par l'article 1er de l'arrêté attaqué méconnaissent le principe de précaution tel qu'énoncé par l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, il résulte des éléments, expertises scientifiques et données mentionnés plus haut que, ainsi qu'il a été dit, en l'état des données et connaissances scientifiques, la fixation du nombre maximum de spécimens de loups dont la destruction est autorisée pour une année civile donnée à 21 % de l'effectif moyen de loups estimé annuellement n'est pas de nature à nuire au maintien de l'espèce dans un état de conservation favorable. Il suit de là que le moyen doit être écarté. Par suite, pour les mêmes motifs, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de précaution défini au 2° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement doit en tout état de cause également être écarté.

16. En quatrième lieu, en adoptant les dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement citées ci-dessus, le législateur a entendu déroger à l'interdiction de destruction de certaines espèces protégées et de leurs habitats, posée par l'article L. 411-1 du même code, conformément aux objectifs et principes de la directive du 21 mai 1992, en précisant les conditions préalables à la délivrance d'une dérogation selon le motif invoqué. Ainsi, une dérogation ne peut être accordée que si elle répond à l'un des motifs limitativement énumérés à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, s'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et qu'elle ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. Par ailleurs, cet article renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer les conditions, notamment procédurales, de l'octroi d'une telle dérogation ainsi que les modalités de contrôle et d'évaluation de leurs effets. Ce faisant, le législateur a établi un cadre législatif et réglementaire ayant précisément pour objet de permettre, au regard des données scientifiques les plus récentes et dans le respect des conditions strictes qu'il pose, qu'il soit porté atteinte à une espèce protégée sans que son état de conservation favorable dans son aire de répartition naturelle soit mise en cause. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions générales du 9° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement posant le principe de non-régression de la protection de l'environnement doit en tout état de cause être écarté.

17. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, que les associations requérantes ne sont pas fondées à demander à l'annulation de l'arrêté attaqué. Par suite, leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes de l'association One Voice, de l'ASPAS et de l'association FERUS sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association One Voice, à l'Association pour la protection des animaux sauvages, à l'association FERUS, à la ministre de la transition écologique et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

Délibéré à l'issue de la séance du 23 mars 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. B... H..., M. Fabien Raynaud, présidents de chambre ; M. L... E..., Mme G... K..., M. F... I..., M. A... J..., Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, conseillers d'Etat et Mme Airelle Niepce, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 21 avril 2022.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Airelle Niepce

La secrétaire :

Signé : Mme D... C...


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 21 avr. 2022, n° 448141
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Airelle Niepce
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux

Origine de la décision
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Date de la décision : 21/04/2022
Date de l'import : 26/04/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 448141
Numéro NOR : CETATEXT000045640017 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2022-04-21;448141 ?
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