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14/04/2022 | FRANCE | N°454266

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 14 avril 2022, 454266


Vu la procédure suivante :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Pau de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2010 et 2011 ainsi que de la cotisation supplémentaire de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2011. Par un jugement n° 1701972 du 7 février 2019, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19BX01267 du 4 mai 2021, la cour administrative d'appel de Bo

rdeaux a rejeté l'appel formé par Mme D... A... et ses héritiers contre ce juge...

Vu la procédure suivante :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Pau de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2010 et 2011 ainsi que de la cotisation supplémentaire de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2011. Par un jugement n° 1701972 du 7 février 2019, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19BX01267 du 4 mai 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par Mme D... A... et ses héritiers contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 juillet 2021, 5 octobre 2021 et 31 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les héritiers de Mme A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, avocat des héritiers de Mme A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A... était associée des sociétés civiles Verte Forêt et Océane qui exercent une activité de gestion d'un portefeuille mobilier constitué pour l'essentiel de contrats de capitalisations souscrits auprès de compagnies d'assurance et sont soumises au régime fiscal des sociétés de personnes. La société Verte Forêt a procédé au rachat partiel de quatre contrats de capitalisation en 2010 et de deux autres contrats en 2011 et la société Océane a procédé au rachat d'un contrat en 2011. Par des résolutions des assemblées générales ordinaires annuelles de la société du 30 juin 2011 et 28 juin 2012, les comptes de la société Verte Forêt ont été approuvés aux 31 décembre 2010 et 2011 et les bénéfices de cette société, arrêtés conformément à l'article 18 de ses statuts, c'est-à-dire en fonction de la variation de l'actif net de la société entre l'ouverture et la clôture de l'exercice en tenant compte de la valeur réelle des éléments le composant, ont été répartis par inscription sur le compte courant de chaque associé, au prorata de ses droits sociaux. Par ailleurs, par une résolution de l'assemblée générale ordinaire annuelle de la société du 28 juin 2012, les comptes de la société Océane ont été approuvés au 31 décembre 2011 et les bénéfices de cette société, arrêtés conformément à ses statuts selon la même méthode que ceux de la société Verte Forêt, ont été répartis par inscription sur le compte courant de chaque associé, au prorata de ses droits sociaux. Par une proposition de rectification du 29 novembre 2013, l'administration a réintégré les sommes correspondant à ces bénéfices, au prorata de ses droits sociaux, dans les revenus imposables de chaque associé puis a, en conséquence, mis à la charge de Mme A... des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre des années 2010 et 2011 ainsi qu'une cotisation supplémentaire de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus au titre de l'année 2011. Le 1er août 2017, l'administration fiscale a rejeté la réclamation contentieuse par laquelle Mme A... a contesté l'ensemble de ces impositions supplémentaires tout en lui accordant un dégrèvement partiel. Par jugement du 7 février 2019, le tribunal administratif de Pau a rejeté la demande Mme A... a tendant à la décharge des impositions supplémentaires auxquelles elle a été assujettie. Les héritiers de Mme A..., décédée en cours d'instance d'appel, se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 4 mai 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.

Sur les impositions établies au titre de l'exercice 2010 :

2. Aux termes de l'article 125-0 A du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - 1° Les produits attachés aux bons ou contrats de capitalisation ainsi qu'aux placements de même nature souscrits auprès d'entreprises d'assurance établies en France sont, lors du dénouement du contrat, soumis à l'impôt sur le revenu (...) Les produits en cause sont constitués par la différence entre les sommes remboursées au bénéficiaire et le montant des primes versées (...) II. - Les dispositions de l'article 125 A, à l'exception des II à IV de cet article, sont applicables aux produits prévus au I (...) III. Le prélèvement est établi, liquidé et recouvré sous les mêmes garanties et sanctions que celui mentionné à l'article 125 A (...) ".

3. Aux termes de l'article 125 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. Sous réserve des dispositions du 1 de l'article 119 bis et de l'article 125 B, les personnes physiques qui bénéficient d'intérêts, arrérages et produits de toute nature de fonds d'Etat, obligations, titres participatifs, bons et autres titres de créances, dépôts, cautionnements et comptes courants, peuvent opter pour leur assujettissement à un prélèvement qui libère les revenus auxquels il s'applique de l'impôt sur le revenu, lorsque la personne qui assure le paiement de ces revenus est établie en France (...) ". Le second alinéa de l'article 41 duodecies E de l'annexe III au code général des impôts précise que : " L'option, qui est irrévocable, est exercée au plus tard lors de l'encaissement des revenus ".

4. En application de ces dispositions, une faculté d'option est ouverte aux contribuables personnes physiques qui, pour l'imposition des revenus qu'elles visent, peuvent choisir de les intégrer dans leur revenu global annuel soumis à l'impôt sur le revenu selon le barème progressif ou de les assujettir à un prélèvement forfaitaire libératoire de l'impôt sur le revenu. Ce prélèvement est opéré à la source par le débiteur ou par la personne qui assure le paiement des revenus, de sorte qu'il ne peut résulter que d'un choix exprimé par le bénéficiaire des produits au plus tard au moment de ce paiement.

5. La cour a relevé que si Mme A... soutenait que la société civile Verte Forêt avait versé au Trésor public, par virement du 15 juillet 2011, la somme de 108 995 euros correspondant au prélèvement forfaitaire libératoire dû à raison des gains de rachat partiel de quatre contrats de capitalisation en 2010 et produisait une attestation bancaire indiquant qu'un virement de ce montant avait été réalisé à cette date, l'administration faisait valoir qu'elle n'avait trouvé trace ni d'une déclaration d'option formée au plus tard lors de l'encaissement des revenus en litige, ni du paiement de ce prélèvement. Elle a estimé que cette seule attestation, qui n'était corroborée par aucun autre élément de l'instruction, ne suffisait pas à établir que la contribuable avait opté pour le prélèvement forfaitaire libératoire en temps utile et l'avait acquitté. Elle a, à cet égard, écarté comme dépourvue d'incidence la circonstance qu'une autre société civile dont Mme A... était associée se serait acquittée du prélèvement forfaitaire libératoire à la même date à raison d'autres opérations de rachat partiel de contrats de capitalisation. En statuant ainsi, la cour administrative d'appel a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation. Elle a pu, sans erreur de droit et sans insuffisance de motivation, en déduire que les requérants ne pouvaient contester le redressement effectué par le service en se prévalant de ce que Mme A... se serait acquittée du prélèvement forfaitaire libératoire.

Sur les impositions établies au titre de l'année 2011 :

6. Aux termes de l'article 8 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions de l'article 6, les associés des sociétés en nom collectif et les commandités des sociétés en commandite simple sont, lorsque ces sociétés n'ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société. (...) / Il en est de même, sous les mêmes conditions : / 1° Des membres des sociétés civiles qui ne revêtent pas, en droit ou en fait, l'une des formes de sociétés visées au 1 de l'article 206 et qui, sous réserve des exceptions prévues à l'article 239 ter, ne se livrent pas à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 (...) ". Il résulte de ces dispositions que les bénéfices réalisés par une société civile qui n'a pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux sont soumis à l'impôt sur le revenu entre les mains des associés, qui sont ainsi réputés avoir personnellement réalisé une part de ces bénéfices. La quote-part du bénéfice d'une telle société doit être regardée comme ayant été, dès que ce bénéfice a été constaté au niveau de la société, acquise par l'associé, sans qu'il y ait lieu de rechercher si celui-ci a ou non perçu les sommes correspondantes.

7. Aux termes de l'article 238 bis K du même code : " I. Lorsque des droits dans une société ou un groupement mentionnés aux articles 8, 239 quater, 239 quater B ou 239 quater C sont inscrits à l'actif d'une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun ou d'une entreprise industrielle, commerciale, artisanale ou agricole imposable à l'impôt sur le revenu de plein droit selon un régime de bénéfice réel, la part de bénéfice correspondant à ces droits est déterminée selon les règles applicables au bénéfice réalisé par la personne ou l'entreprise qui détient ces droits (...) / II. Dans tous les autres cas, la part de bénéfice ainsi que les profits résultant de la cession des droits sociaux sont déterminés et imposés en tenant compte de la nature de l'activité et du montant des recettes de la société ou du groupement ".

8. Après avoir relevé que les comptes des sociétés Verte Forêt et Océane avaient été approuvés au 31 décembre 2011 et que les bénéfices de ces sociétés, arrêtés conformément l'article 18 de leurs statuts respectifs, avaient été répartis entre les associés par inscription au crédit de leur compte courant au prorata de leurs droits sociaux, la cour administrative d'appel a jugé que les bénéfices ainsi déterminés, y compris la part de gains latents qu'ils comportaient du fait de ce mode de calcul statutaire dès lors que la répartition avait fait disparaître ce caractère latent, devaient être inclus, à concurrence de la quote-part de chaque associé, dans ses revenus imposables au titre de l'année en cause. En statuant ainsi, alors que les sociétés Verte Forêt et Océane n'avaient pas opté pour leur assujettissement à l'impôt sur les sociétés et que l'ensemble de leurs associés relevaient du II de l'article 238 bis K du code général des impôts, de sorte que ces derniers étaient soumis à l'impôt sur le revenu à concurrence de leur quote-part des revenus des sociétés déterminés en application des dispositions de l'article 125-0 A du code général des impôts, indépendamment de la répartition de ces revenus et sans qu'aient d'incidence à cet égard les modalités de calcul du résultat que les sociétés étaient statutairement tenue de déterminer à seule fin d'information de ces mêmes associés, la cour a commis une erreur de droit. Les héritiers de Mme A... sont, par suite, fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent, en tant qu'il statue sur les impositions établies au titre de l'année 2011.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

10. Il résulte de l'instruction que, compte tenu du dégrèvement prononcé par l'administration préalablement à la saisine du tribunal administratif par Mme A... en vue de tenir compte de ce qu'avait été soumise à l'impôt entre ses mains sa quote-part des gains de rachats de contrats de capitalisation perçus par les sociétés au cours de l'année 2011, ne sont en litige que les impositions supplémentaires procédant de la taxation de la différence entre la quote-part de la contribuable dans les bénéfices des sociétés Verte Forêt et Océane arrêtés conformément à l'article 18 de leurs statuts et la quote-part des revenus de ces sociétés déterminés en application des dispositions de l'article 125-0 A du code général des impôts. Il résulte, par suite, de ce qui a été dit au point 8 que les héritiers de Mme A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement qu'ils attaquent, le tribunal administratif a rejeté la demande de Mme A... tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires.

11. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser aux héritiers de Mme A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 4 mai 2021 de la cour administrative d'appel de Bordeaux et le jugement du 7 février 2019 du tribunal administratif de Pau sont annulés en tant qu'ils statuent sur les impositions établies au titre de l'année 2011.

Article 2 : Mme A... est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de prélèvements sociaux et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2011.

Article 3 : L'Etat versera aux héritiers de Mme A... une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi des héritiers de Mme A... est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée aux héritiers de Mme D... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré à l'issue de la séance du 4 avril 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. K... E..., M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. I... M..., M. F... L..., M. J... H..., M. C... N..., M. Jonathan Bosredon, conseillers d'Etat et M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 14 avril 2022.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Alexandre Lapierre

La secrétaire :

Signé : Mme B... G...


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 454266
Date de la décision : 14/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 14 avr. 2022, n° 454266
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Alexandre Lapierre
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : sarl CABINET BRIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 19/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:454266.20220414
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