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13/04/2022 | FRANCE | N°439220

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 13 avril 2022, 439220


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er mars, 1er mai et le 14 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2019-1594 du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l'Etat ;

2°) le cas échéant, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel afin de déterminer si les dispositions du paragraphe 1 de l'article 19 du traité sur l'Un

ion européenne doivent être interprétées en ce sens qu'elles autorisent, restreignent,...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er mars, 1er mai et le 14 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2019-1594 du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l'Etat ;

2°) le cas échéant, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel afin de déterminer si les dispositions du paragraphe 1 de l'article 19 du traité sur l'Union européenne doivent être interprétées en ce sens qu'elles autorisent, restreignent, conditionnent ou interdisent la possibilité pour un magistrat ou un agent public investi d'une mission juridictionnelle, d'accomplir, pendant le déroulement de sa carrière professionnelle, des périodes de détachement plaçant ce magistrat ou cet agent au service du Gouvernement.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur l'Union européenne ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 ;

- l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 ;

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- le décret n° 2009-940 du 29 juillet 2009 ;

- le décret n° 2012-225 du 16 février 2012 ;

- la décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, du 14 octobre 2020, refusant de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A... ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " sauf dérogation prévue par une disposition législative, les emplois civils permanents de l'Etat, (...) et de leurs établissements publics à caractère administratif sont, à l'exception de ceux réservés aux magistrats de l'ordre judiciaire et aux fonctionnaires des assemblées parlementaires, occupés soit par des fonctionnaires régis par le présent titre, soit par des fonctionnaires des assemblées parlementaires, des magistrats de l'ordre judiciaire ou des militaires dans les conditions prévues par leur statut ". Le premier alinéa de l'article 16 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique prévoit l'ouverture des emplois de direction de l'Etat aux personnes n'ayant pas la qualité de fonctionnaires, par l'introduction d'un 1° bis à l'article 3 de la loi du 11 janvier 1984 portant statut de la fonction publique de l'Etat aux termes duquel : " Les emplois permanents de l'Etat et des établissements publics de l'Etat énumérés ci-après ne sont pas soumis à la règle énoncée à l'article 3 du titre Ier du statut général : (...) 1° bis Les emplois de direction de l'Etat. Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent 1° bis, notamment la liste des emplois concernés, les modalités de sélection permettant de garantir l'égal accès aux emplois publics ainsi que les conditions d'emploi et de rémunération des personnes recrutées en application du présent 1° bis. Les agents contractuels nommés à ces emplois suivent une formation les préparant à leurs nouvelles fonctions, notamment en matière de déontologie ainsi que d'organisation et de fonctionnement des services publics. L'accès d'agents contractuels à ces emplois n'entraîne pas leur titularisation dans un corps de l'administration ou du service ni, au terme du contrat, qui doit être conclu pour une durée déterminée, la reconduction de ce dernier en contrat à durée indéterminée (...). "

2. Le décret du 31 décembre 2019 pris en application du 1° bis de l'article 3 de la loi du 11 janvier 1984 cité au point précédent, prévoit les dispositions communes à l'ensemble des emplois de direction de l'Etat, fixe la liste des emplois concernés et les modalités de sélection des candidats à ces emplois qui peuvent être occupés par des fonctionnaires, des magistrats judiciaires ou des militaires, en position de détachement, ou par des agents contractuels. M. A..., magistrat judiciaire, demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

Sur la légalité externe :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 22 de la Constitution : " Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ". S'agissant d'un acte réglementaire, les ministres chargés de son exécution sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution de cet acte. Il résulte des dispositions du décret attaqué du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l'Etat, comme des règles applicables au détachement des fonctionnaires, que le décret attaqué n'appelait, par lui-même, aucune mesure réglementaire ou individuelle d'exécution de la part du garde des sceaux, ministre de la justice. Dès lors, le moyen tiré du défaut de contreseing du décret attaqué par le garde des sceaux, ministre de la justice doit être écarté.

4. En deuxième lieu, il ressort de la copie de la minute de la section de l'administration du Conseil d'Etat versée au dossier par la ministre de la transformation et de la fonction publiques que le texte publié ne contient pas de dispositions qui diffèreraient à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par le Conseil d'Etat. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait, pour ce motif, été pris à l'issue d'une procédure irrégulière doit être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 2 du décret du 16 février 2012 relatif au Conseil supérieur de la fonction publique d'Etat, " I. - Le Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat est saisi pour avis : (...)5° Des projets de décret comportant des dispositions statutaires communes à plusieurs corps de fonctionnaires de l'Etat lorsque ces projets relèvent de la compétence de plusieurs comités techniques ; / 6° Des projets de décret qui modifient ou abrogent, de manière coordonnée par des dispositions ayant le même objet, plusieurs décrets de nature statutaire et indiciaire, ou plusieurs décrets régissant des emplois, lorsque ces projets relèvent de la compétence de plusieurs comités techniques ; (...) La consultation du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat, lorsqu'elle est obligatoire en application des dispositions du présent décret ou de toute autre disposition législative ou réglementaire, remplace celle du ou des comités techniques compétents, sauf si la consultation de l'un et l'autre de ces deux types d'organismes consultatifs est expressément prévue dans le même texte. " Il ressort des visas du décret attaqué que celui-ci a été soumis pour avis au Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat. Dès lors, il n'y avait pas lieu de consulter le conseil supérieur du Conseil économique, social et environnemental, au demeurant représenté au sein du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat.

6. En dernier lieu, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose le visa du bureau des assemblées parlementaires pour un acte du pouvoir réglementaire.

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne l'application des dispositions attaquées aux fonctionnaires parlementaires :

7. Si, en vertu de l'article 8 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, le bureau de chaque assemblée parlementaire est seul compétent pour déterminer, dans le respect des principes généraux du droit et des garanties fondamentales reconnues à l'ensemble des fonctionnaires de l'Etat, le statut des fonctionnaires titulaires de cette assemblée, les dispositions du décret attaqué n'ont ni pour objet ni pour effet de modifier le statut de ces fonctionnaires et se bornent à prévoir la possibilité qu'ils puissent occuper des emplois de direction de l'Etat, en position de détachement, dans le respect des dispositions de leurs statuts. Dès lors le moyen tiré de la méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs doit être écarté.

En ce qui concerne l'application des dispositions attaquées aux magistrats :

8. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 68 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature : " Les dispositions du statut général des fonctionnaires concernant les positions (...) s'appliquent aux magistrats dans la mesure où elles ne sont pas contraires aux règles statutaires du corps judiciaire et sous réserve des dérogations ci-après. " D'autre part, les articles 12, 70, 72, 72-2, 76-2 et 76-3 de cette même ordonnance encadrent les possibilités de détachement des magistrats judiciaires. Il résulte de ces dispositions que les magistrats judiciaires placés en position de détachement se voient appliquer les règles du statut général des fonctionnaires sous réserve qu'elles ne soient pas contraires aux dispositions statutaires spécifiques. Ainsi, contrairement à ce que soutient le requérant, le pouvoir réglementaire pouvait prévoir, en application de la loi du 6 août 2019 citée au point 1, que les règles de détachement dans les emplois de direction de l'Etat s'appliquent également aux magistrats judiciaires, dans le respect des dispositions particulières du statut de la magistrature mentionnées ci-dessus, qui garantissent le principe d'indépendance de la justice et d'impartialité des magistrats.

9. En deuxième lieu, le décret attaqué ne modifie pas, contrairement à ce que soutient le requérant, la règle du placement en position de détachement des magistrats exerçant des fonctions de direction au sein de l'administration centrale du ministère de la justice, emplois qui ne sont pas, au demeurant, réservés aux magistrats de l'ordre judiciaire.

10. En dernier lieu, les modalités de rémunération des magistrats placés en position de détachement pour occuper des emplois de direction de l'Etat prévues à l'article 14 du décret attaqué, lues en combinaison avec les articles de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature mentionnés au point 8 garantissent qu'un magistrat de retour de détachement ne soit pas pénalisé dans sa carrière ni ne puisse bénéficier d'un changement de grade du fait de ce détachement sans l'avis conforme du conseil supérieur de la magistrature, prévu à l'article 28 de cette même ordonnance.

11. Il résulte de ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à soutenir que le décret attaqué méconnaitrait l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature.

En ce qui concerne l'application des dispositions aux fonctionnaires de l'Etat :

12. En premier lieu, aux termes de l'article 12 de la loi du 13 juillet 1983 : " le grade est distinct de l'emploi. Le grade est le titre qui confère à son titulaire vocation à occuper l'un des emplois qui lui correspondent. " L'article 45 de la loi du 11 janvier 1984 dispose que " le détachement est la position du fonctionnaire placé hors de son corps d'origine (...). / (...) / Le fonctionnaire détaché est soumis aux règles régissant la fonction qu'il exerce par l'effet de son détachement (...) ". Le décret attaqué s'est borné, comme le permettaient les dispositions précitées à poser, dans l'intérêt du service, les règles propres aux emplois de direction de l'Etat, qui regroupent plusieurs statuts d'emploi, et prévoit que ceux-ci sont pourvus par voie de détachement en dehors de tout rattachement à un corps. En posant de telles règles, en particulier celles établissant une période probatoire, le décret attaqué n'a méconnu ni le principe de la distinction du grade et de l'emploi ni aucune autre disposition législative.

13. En deuxième lieu, aux termes de l'article 13 bis de la loi du 13 juillet 1983, " tous les corps et cadres d'emplois sont accessibles aux fonctionnaires civils régis par le présent titre par la voie du détachement suivi, le cas échéant, d'une intégration, ou par la voie de l'intégration directe, nonobstant l'absence de dispositions ou toute disposition contraire prévue par leurs statuts particuliers. " Contrairement à ce qu'affirme le requérant, ces dispositions ne posent pas le principe d'une obligation d'intégration à l'issue d'un détachement.

14. En dernier lieu, en précisant à l'article 17 du décret attaqué que " Les dispositions du présent titre sont applicables aux emplois suivants : / 1° Emplois de chef de service et de sous-directeur mentionnés à l'article 19 ; / 2° Emplois d'expert de haut niveau et de directeur de projet mentionnés à l'article 27 ; / 3° Emplois de direction de l'administration territoriale de l'Etat mentionnés à l'article 34 ; / 4° Emplois de direction mentionnés à l'annexe II ", le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu le champ du 1° bis de l'article 3 de la loi du 11 janvier 1984, relatif aux emplois de direction de l'Etat.

15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel afin de déterminer si les dispositions du paragraphe 1 de l'article 19 du traité sur l'Union européenne doivent être interprétées en ce sens qu'elles autorisent, restreignent, conditionnent ou interdisent la possibilité pour un magistrat ou un agent public investi d'une mission juridictionnelle, d'accomplir, pendant le déroulement de sa carrière professionnelle, des périodes de détachement plaçant ce magistrat ou cet agent au service du gouvernement, que le requérant n'est pas fondé à demander l'annulation du décret qu'il attaque.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., au Premier ministre, à la ministre de la transformation et de la fonction publiques.

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur, au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 mars 2022 où siégeaient : M. Fabien Raynaud, président de chambre, présidant ; Mme Suzanne von Coester, conseillère d'Etat et Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 13 avril 2022.

Le président :

Signé : M. Fabien Raynaud

La rapporteure :

Signé : Mme Rozen Noguellou

La secrétaire :

Signé : Mme C... D...


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 439220
Date de la décision : 13/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 avr. 2022, n° 439220
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Rozen Noguellou
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck

Origine de la décision
Date de l'import : 19/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:439220.20220413
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